Quel destin pour les jeux de seconde catégorie ? La course à l’échalote technologique a laissé sur le carreau de nombreux prétendants dauphins. Comme si entre blockbusters et DLC, la voie était maintenant bouchée. C’est ici, las mais volontaire, que voudrait se situer Majin and The Forsaken kingdom, dernière production originale de Game Republic pour Namco. Piloté par Yoshiki Okamoto, ex grande figure de Capcom et auteur de classiques comme Time pilot, Side arms, 1942, Forgotten worlds ou Pang (excusez du peu), le jeu a de quoi attiser la curiosité avec un tel CV. Mais le studio d’Okamoto, puisque Game Republic, c’est d’abord lui, n’a jamais brillé. Et Majin, bien que plus ambitieux, ne contredira pas cette réputation.

On l’a déjà dit ici, le jeu vidéo est une industrie du recyclage intensif. Les clones, les copies, sont partout, depuis toujours. Ils sont dans la nature du médium digital, conçu sur le copier-coller. On ne pourra donc pas reprocher à Majin d’emprunter à Miyamoto (pour Zelda) et Nintendo (pour Metroid) ou, plus encore, à Fumito Ueda (Ico, Shadow of the colossus). Puis un jeu d’action réflexion en coop, dans un univers fantasy, avec le soutien de pareilles références, après tout pourquoi pas. Sauf qu’il y a le talent. On peut tout recopier, mais quand on se mesure à pareils colosses, sans un minimum de savoir faire, le gouffre de la honte n’est pas loin. Et Majin cumule plutôt approximations, faiblesses techniques, manque de vrai cachet et détails qui fâchent. Exemple : la voix d’attardé que se coltine l’acolyte du joueur, à la syntaxe façon maître Yoda, pas très arrangée par la v.f. il est vrai (v.o. anglaise possible en basculant l’OS, sur PS3 en tous cas). Ce seul personnage, supposé assumer l’analogie avec Ueda (comme si le héros d’Ico devait se coltiner un colosse de Shadow of the colossus), est à la fois sa plus proche référence et son antithèse. Là où chez Ueda règne la subtilité du silence, l’absence quasi totale de dialogue, dans Majin, c’est l’inverse : le sidekick parle, trop, tout le temps, pour se fendre de commentaires débiles ; et quand ce n’est pas lui ce sont des bestioles croisées en chemin. Tout le concept repose sur lui et ses multiples interactions possibles (combats, puzzles, plate-formes), et l’envie de le faire taire, voire s’en débarrasser, arrive très tôt. Problématique pour un jeu supposé s’appuyer sur l’empathie, l’altruisme, l’entraide etc.

Il y a dix ans, on aurait applaudi le charme de Majin, on aurait salué son univers post miyazakien ou son système de coop, pas si mal fichu que ça d’ailleurs, tout comme celui d’upgrade. Aujourd’hui, c’est plus dur. Il n’y a plus de place, ou presque, pour les outsiders. Tout est ici trop balisé et fade, sans réels enjeux ni ambitions. Majin n’a pourtant rien d’antipathique, mais à vouloir jouer dans la cour des grands, voire du plus grand (Ueda), l’écart est trop important ; et les reproches qu’on ne voulait lui faire finissent par s’imposer. C’est la différence entre un jeu de genre s’appliquant à répéter des codes établis (le shoot, le versus), et le même principe dans le cadre du jeu d’auteur. On peut excuser le premier, puisqu’il repose d’abord sur des mécaniques empiriques ; et à partir du moment où celles-ci fonctionnent correctement, l’adéquation industrielle du titre avec son gameplay est acceptable. Mais lorsque on les reprend avec l’idée, finalement, de mécaniser aussi l’âme d’un jeu qui doit tout à la vision de son auteur, le système s’effondre. On ne voit plus que la copie, ou sa trahison, son opportunisme, son incapacité à faire aussi bien. Majin arrive après, et c’est son drame. Doublement puisqu’il le sait. Il ne peut donc être supérieur à l’original car l’hommage devient négatif. Cela tient aussi à une chose, rare dans le jeu vidéo et qui fait la spécificité de Ueda : un regard. Celui d’un Shadow of the colossus sonde le nôtre, Majin lui se contente d’observer le fonctionnement de pixels.