Le dernier grand frisson, pour vous, c’était quand ? Vous savez, ce moment étrange et saisissant où le geste sûr du joueur accompagne dans un souffle héroïque sa volonté. Une fuite groupée dans une grotte traquenard avec les Pikmins ? Une course-poursuite en BMX un jour d’émeute à Los Santos ? La destruction totale d’un boss de 80 tonnes dans Gradius V ?

Quand ça prend aux tripes, c’est généralement grâce à la fécondité des proposition de gameplay et à la maîtrise du beau geste, rares sont ceux dont l’intérêt repose ailleurs. Et ce n’est pas faute d’essayer, la déferlante des « films dont vous êtes le héros » en tête. Créer des personnages charismatiques, scénarios hollywoodiens à base de rebondissements, caméras dynamiques, mises en scène chocs. Tous les moyens « hors-jeu » sont bons pour sauver les réalisations sans proposition forte d’un bide public mérité. Maintenant, imaginez un jeu sans gameplay notoire, au scénario usé et dont les personnages valent à peine ceux des téléfilms SF de TF6 et vous aurez une idée assez fidèle de Killzone. Un jeu qui avait tout contre lui, y compris sa date de sortie : Killzone arrive après la bataille entre deux mythes revisités (Halo 2 et Metroid prime 2).

Faut il encore sauver le soldat Killzone ? Une nuance s’impose, ne serait-ce que pour légitimer un constat bêtement empirique. Il est difficile de lâcher le pad et de rendre les armes sur Killzone. On a beau pester contre la maniabilité approximative ou la stupidité de ses compagnons d’armes, regretter des choix de level-design stériles et pantouflards, hurler à l’arnaque quand la portée des armes des ennemis diminue de moitié une fois entre nos mains, remercier, à contrecoeur, l’hébétude soudaine et prostrée de certains ennemis… Las… Le plaisir (ou quelque chose d’équivalent) est quand même là. On enchaîne les niveaux de ce baroud de la honte repu de l’obsédante question : « mais qu’est ce que je fous là ? ». La réponse ne se trouve pas dans la formulation sibylline des missions. Encore moins dans l’architecture copiée-collée de chaque périple. Non, car Killzone reste sourd au grand cri de l’angoisse existentielle du joueur. Absolument sourd… mais en aucun cas, muet. Killzone est un sphinx qui répond à ses propres questions. C’est là son unique mais splendide mystification. Voici un jeu qui semble se contrefoutre d’être joué ou non. Il existe. En déplacement du je vers le ça. Un jeu stérile (humiliant le je du joueur) dans un environnement auto-suffisant (CA existe, par l’évidente immersion d’un monde qui tyrannise l’attention).

Il est là le grand mérite du studio Guerilla. Shellshock : Nam’ 67 flanquait déjà un piètre jeu de shoot d’une poésie barbare à la rime inimitable. Ou comment réduire Apocalypse now à deux trois hélicoptères et un champignon de napalm. Second opus de cette exploration sensorielle au coeur de la guerre totale, Killzone synthétise un vécu. Et c’est par la vue, l’ouïe et la vibration que se joue la symphonie du métal. Esthétiquement, le soft rassemble avec une fulgurance tenace cinquante ans de ce que la télévision nous a appris sur le champ de bataille. Ce que l’on sait d’un trou d’obus, d’une tranchée ou d’un cadavre pris dans les barbelés. Le bruit d’un rassemblement au loin, un silence puis la déflagration d’un tir de char. Le sifflement de la balle qui pénètre et désole le mur à 10 centimètres de ma pauvre tête et ce sniper introuvable. Killzone ne nous apprend rien. Il nous rappelle la guerre avec la mémoire jubilatoire d’un ancien bourreau de bunker. Et une précision maniaque. C’est aussi là l’occasion d’une polémique ratée. Trop occupés à sauver la Terre des Covenants, ou Ether des Ings, peu de confrères ont réellement mesuré à quel point Guerilla aime la guerre. Killzone est un fantasme de guerre totale qui jamais ne désavoue sa complaisante poésie. Il n’est jamais question de « gagner » ou de vaincre, encore moins de restaurer la paix. Guerilla bombarde le joueur de son arsenal sensoriel dans l’unique contemplation du conflit. Cette fascination morbide et assumée est le réel moteur du jeu. La guerre n’est plus inévitable ou nécessaire ; elle est le lieu où le « je » existe et jouit, fasciné par sa propre puissance comme par celle de ses ennemis. De fait, on imagine le tollé qu’aurait produit Killzone s’il avait reposé sur un contexte de conflit existant. Parce qu’avec une force d’évocation aussi forte et une passion aussi évidente pour les armes à feu, Guerilla vient de se mettre en première ligne des créateurs d’expérience marquante. Qu’on ne s’y trompe pas, Killzone est un mauvais jeu, mais son chant d’amour à la déflagration et aux gravats en fait l’expérience armée la plus hypnotique du moment.