Si l’on demandait jusqu’ici au joueur français lambda ce qu’il retenait des RPG nippons, sa moue dubitative et son regard évasif cachaient mal qu’il avait retenu aussi peu de choses de l’imaginaire du Soleil Levant qu’une fourchette dans un bol de soupe chinoise. Avec Jade Cocoon, chez les conservateurs du jeu de rôles à l’occidental, beaucoup de certitudes et d’a priori risquent de s’effondrer. Dès que la galette est dans le gaufrier, la première chose qui saute aux yeux, ou plutôt ici, aux esgourdes, est que ces japonais sont vraiment capables de tout pour s’imposer sur le marché des jeux, même de s’exprimer dans la langue de Jean d’Ormesson (l’équivalent contemporain quantitatif, en bouffonneries, de Molière). Par bonheur, la localisation en français n’est pas, pour une fois, source de railleries et de regrets… après tout, une V.F. pour un jeu vidéo est aussi primordiale qu’une V.O.S.T. pour le cinéma. Ici, Crave n’a pas distribué les rôles à ses salariés rêvant de faire du « cinéma » afin d’éviter une dépense fastidieuse avec un casting professionnel (contre-exemple : Metal gear solid où la niaiserie de l’adaptation dépassait l’entendement du joueur de 5 ans). Tout de suite, le joueur, guidé magistralement dans cet univers débridé, n’a de cesse de vouloir progresser dans l’aventure. Et des aventures, il va lui en arriver.

Tout commence dans son village natal envahi par un nuage d’Onibubus, sauterelles maléfiques, contaminant les villageois. En digne héritier de la caste des Maîtres des Cocons, vous devez trouver la source de ce Mal avec l’aide de votre femme, de la tribu des Nagis, sorcières et guérisseuses. De la magie à foison, des créatures démoniaques, des légendes ancestrales et pourtant le tout baigne dans une ambiance féérico-enfantine. On est plutôt loin de la mode actuelle qui voudrait que tous les jeux « d’aventure » soient habillés d’un voile couleur noir-ténèbres et rouge sanguin. Et ce n’est pas forcément désagréable… Ici, tous les personnages que vous croisez, bons ou mauvais, ont ce petit aspect décalé qui trahit les origines du soft. D’ailleurs, si habituellement les RPG sont à réserver à un public averti -essentiellement à cause du mode de combat tour par tour où il faut jongler dans les menus pour lancer le moindre sort-, Jade Cocoon simplifie le tout pour éviter au joueur de se noyer dans les possibilités offertes. La traduction, même des menus, y est peut-être pour beaucoup mais on sent que l’objectif est de toucher un public encore réticent au genre. Ainsi, dans les nombreux combats auxquels vous prenez part (il est heureusement possible de contourner l’adversaire pour avancer plus rapidement), vous ne pouvez qu’attaquer ou vous défendre sans autres précisions.

Mais la grosse innovation vient de la magie. Si votre personnage ne peut, au départ, lancer des sorts, il peut par contre capturer les créatures qu’il a blessées dans un cocon et les utiliser dans les combats suivants pour éviter de se fatiguer. Comble de bonheur, grâce à votre épouse, vous pouvez aussi jouer à l’apprenti sorcier en croisant différentes races de monstres pour en obtenir des hybrides plus puissants… et mine de rien on se retrouve face à une espèce de Tamagochi-RPG bien pensé et surtout superbement réalisé. Que ce soit les musiques ou les graph’ (les décors sont en précalc’ et les perso en 3D), tout est fait pour que vous soyez emportés au cœur de l’aventure sans avoir à faire trop d’efforts. Il y a de quoi être fier de son élevage en batterie de petites bestioles guerrières ! Si jamais vous avez un ami aussi accro que vous à ce parfum de Création, vous pourrez en plus organiser des joutes entre vos bébés respectifs pour savoir lequel mérite le titre d’Eleveur de l’Année. Des dizaines d’heures de jeu en perspective, même si la partie aventure risque d’être bouclée un peu trop rapidement au goût des plus affranchis.