C’est le plus beau jeu du monde… Non pas parce qu’il use et abuse de lens-flare, de motion-blur, de bump-mapping, ou toute autre supercherie visuelle superflue. C’est juste un des jeux les plus enchanteurs et les plus poétiques qu’on ait pu voir dans cette ère vidéoludique soi-disant propice à l’uniformisation. Un des plus inhabituels, aussi, ce qui explique, sans doute, ses faibles performances commerciales au Japon et aux Etats-Unis. Pourtant, à première vue, Ico ne paye pas de mine : un jeune garçon cornu, Ico, et une fillette luminescente, Yorda, sont retenus prisonniers dans une immense forteresse moyenâgeuse : l’un parce que ses attributs bovins déplaisent fortement à son voisinage, l’autre pour des raisons nettement plus obscures. Ico et Yorda ne parlent pas la même langue. Tous deux utilisent un babil franchement incompréhensible, mais l’un est sous-titré normalement, l’autre par des hiéroglyphes un tantinet fantaisistes. Ils communiquent par des signes, des interjections immédiates, ils s’entraident pour sortir de leur gigantesque prison malgré leurs disparités culturelles. Scénario minimal-techno de rigueur.

Le principal aspect d’Ico, c’est donc l’entraide. Vous dirigez le garçon, intrépide et habile, apte à escalader certaines parois, grimper à la corde, sauter par-dessus d’immenses ravins. Yorda, craintive et beaucoup moins délurée, se contente de quelques sauts en longueur, à condition que vous soyez de l’autre côté pour la rattraper. Ico devra prendre de l’avance et préparer le terrain pour que Yorda puisse la suivre sans heurts. D’autant plus indispensable qu’elle seule détient le pouvoir nécessaire à l’ouverture de certaines portes magiques qui bloquent l’accès aux salles suivantes. Seul problème : Yorda est poursuivie par des spectres dirigés par une mystérieuse Reines des Ténèbres, des ombres noires et nébuleuses qui n’auront cesse de l’attirer de force dans les sombres vortex qui leur tiennent lieu de repaires. Si Yorda est aspirée par un de ces trous noirs, vous mourrez sur le coup. Laisser la jeune fille trop longtemps seule tient donc souvent du crève-coeur, compte tenu de la menace constante qui pèse sur son petit corps frêle et gracile. D’autant que les spectres sont particulièrement vifs, rapides et esquivent à merveille vos coups de bâton désespérés et chaotiques.

Des réminiscences évidentes de Prince of Persia, un système de combat bourrin et confus, des énigmes à l’ancienne, on pourrait presque assimiler Ico à une belle tentative de recuisiner les vieux gimmicks old-school de la fausse trilogie Another world / Flashback / Heart of darkness. Pas tout à fait faux, mais Ico introduit aussi la notion d’empathie beaucoup moins rabâchée dans l’univers proto-machiste des jeux vidéo. Avec un seul bouton, vous pouvez communiquer avec Yorda : l’appeler et la repérer lorsqu’elle est loin, la tenir par la main lorsqu’elle est proche. Le besoin de protéger l' »autre » s’accentue au fur et à mesure que les liens entre les deux protagonistes deviennent plus forts. De plus, ce qui ne gâche rien, Yorda est loin d’être un légume passif et obéissant. Souvent rêveuse, têtue lorsqu’on voudrait lui faire franchir certains passages délicats, elle n’hésite pas à essayer de vous montrer la bonne voie à grands renforts de petits cris et de gestes appropriés lorsque vous tardez trop à trouver la marche à suivre pour résoudre une énigme. Les développeurs d’Ico ont su faire de ce lien affectif qui unit un PJ et un PNJ un argument principal à leur création, quasiment un trademark qui fera de nombreux émules. Avec un génie du game-design qui transparaît idéalement à travers le système de sauvegarde, un banc de pierre sur lequel nos deux héros s’assoupissent… jusqu’à la prochaine partie.

Vieilles pierres, dimensions cyclopéennes, luminosités crépusculaires, la forteresse-prison, à l’instar de la petite ville décrépie de Silent Hill, semble vouloir tirer la couverture à elle, comme un troisième protagoniste, granitique et imperturbable. Effrayant et imposant, mais aussi apaisant et onirique, le château d’Ico pose une atmosphère qui séduit, par petits à-coups. Malgré l’inévitable répétitivité des textures, caillouteuses et grisouillantes la plupart du temps, et un traitement d’image plutôt inhabituel, comme en constante sur-exposition, les décors médiévistes et bucoliques d’Ico finissent par emporter l’adhésion. Une immersion totale et une extase contemplative qui poussent à s’attacher aux détails futiles : la beauté des arbres dont les feuilles balancent au gré du vent, les colombes d’une blancheur éclatante et cette magnifique lumière de fin d’après-midi. Ico est une expérience unique, et surprenante sur une machine aussi ouvertement grand public que la PS2. Un peu court, n’évitant pas toujours l’écueil de la redite -architecture symétrique de la prison oblige-, Ico est un des meilleurs jeux de la console de Sony, une alternative belle et onirique aux ambiances cyber-militaires du monopolisant Metal gear solid 2.