Tous à bord du serpent céleste, être primordial et grand ordonnateur du cosmos, de l’infiniment petit à l’infiniment grand !

Nouvel épisode dans la série « Sony loves indies », Hohokum n’est pas la proposition conceptuelle la plus inintéressante du lot. Imaginez plutôt le snake de nos portables Nokia d’il y a quinze ans soudain transfiguré en un ruban multicolore et joueur, insufflant vie et chaos dans des mondes-bulles psychédéliques que n’auraient pas renié les Beatles période Yellow Submarine. Conçu par le studio britannique Honeyslug en collaboration avec l’artiste Richard Hogg, le jeu se veut avant tout une œuvre interactive à explorer, entre expérience synesthésique et grand huit figuratif. « Jouer à Hohokum », nous dit son concepteur, « c’est comme faire des ronds avec un cerf-volant. »

Passée une première séquence de mise en route qui – avec ses vermicelles de toutes les couleurs et ses cercles qu’on étreint – fait fortement référence au processus de fécondation, l’esthétique singulière de Hohokum naît devant nous, chatoyante et loufoque. Le trip perceptif est une réussite totale, convoquant pêle-mêle civilisations primitives (Amérique, Égypte), faune surréaliste (éléphants féroces, abeilles endormies) et architectures excentriques (le village gallois de Portmeirion, rendu célèbre par la série sixties Le Prisonnier, a servi d’influence) à travers des tableaux faits d’aplats de couleurs vives et de silhouettes sans contour. Dirigez votre serpent sur ces étranges personnages et les voilà qui s’animent où s’accrochent à votre queue ; faites des zigzags autour du décor et celui-ci se met soudain en marche, tel un château gonflable. À ceci s’ajoute un travail méticuleux sur les interactions entre l’environnement et la piste sonore, qui rapproche  Hohokum des platformers musicaux en vogue (au niveau de l’aspect comme du gameplay, le jeu est un cousin évident de Sound Shapes). Les pistes musicales sont empruntées au label electro Ghostly International : on prend un plaisir intense à se lover dans les boucles synthétiques du grand Matthew Dear alors que notre serpent dessine des arabesques sur du papier millimétré… Pour peu qu’on accepte les scories de cette touche excessivement arty, la première session de jeu sera une extase pour les sens. Car le héros ici, c’est évidemment le Grand Serpent cosmique, figure récurrente de l’univers (de la torsade de l’A.D.N. aux spirales de la Voie lactée), celui que les chamans amazoniens ont l’habitude de reconnaître lorsqu’ils ingèrent des psychotropes.

Redescendons un peu sur terre. On pourrait croire que Hohokum se résumerait à une promenade, un « notgame » à la manière de Proteus, une exploration ouverte aux surprises des événements et des interactions. C’est également ce que veulent nous faire penser les concepteurs en répétant qu’il n’y a aucun besoin de chercher des objectifs, qu’il faut se laisser aller à la contemplation. Néanmoins, au bout de quelques dizaines de minutes, des interactions hasardeuses déclenchent une séquence animée : nous venons de sauver un autre serpent coloré, désigné par un prénom humain, et nous comprenons alors que le jeu est une quête. En parcourant le monde, nous visiterons 17 tableaux majeurs dans lesquels il faudra libérer 17 compagnons afin de voir le générique de fin. Chaque niveau repose sur des mécaniques spécifiques et une « énigme » que l’on résout par tâtonnement, avec le peu de moyens que nous avons (le serpent ne peut qu’accélérer et tourner). En définitive, le design de Hohokum n’est pas si éloigné de celui du P.T. (Silent Hills) d’Hideo Kojima : des actions limitées, des puzzles qui ne disent pas leur nom pour mieux préserver l’effet de surprise, s’enfermant souvent dans des mécanismes trop arbitraires et obscurs pour être réellement plaisants.

Car Hohokum est un jeu qui n’assume pas d’être un jeu. Au lieu de produire du flow et de l’intuitivité, son absence de texte et d’indicateurs replie l’expérience sur un flou artistique. Ainsi, les passages les plus réussis sont généralement ceux qui se raccrochent le plus au jeu vidéo, comme cette séquence de shooter contre un boss pachyderme. On alterne avec des moments rébarbatifs, comme lorsqu’il faut transporter des dizaines de personnages d’un bout à l’autre d’une carte bien trop grande afin de débloquer la suite. Enfin, on s’épuise parfois à strier l’écran avec notre serpentin en espérant que quelque chose advienne. À l’image de son protagoniste, Hohokum zigzague ainsi entre des moments de grâce et des crevasses d’ennui. Dommage, car la proposition d’appliquer le modèle du platformer musical au jeu d’aventure et d’énigmes est un geste original dont on aimerait voir bientôt de nouveaux exemples, cette fois assumant pleinement leur statut de jeu vidéo.