A l’heure où tout coopératif est universellement pensé comme un révélateur d’entraide et de solidarité, peu sont les prétendants à avancer l’argument contraire, celui du fardeau imposé.

Comme son nom l’indique (un peu), dans Helldivers, l’enfer, c’est (souvent) les autres. La première réussite du titre est de savoir camoufler cette théorie, supposément aigrie, derrière une façade contradictoire, mais ironique. Situé dans un futur improbable, son scénario entrevoit une guerre de conquête de l’univers par la super-Terre (notre prochaine planète) qui, parce qu’elle se sent menacée par la prolifération extraterrestre autour d’elle, dépêche des millions de soldats conscrits pour aller pacifier les planètes voisines, au nom de la survie de l’Humanité.

Avec ses ennemis arachnides et ses vidéos d’introduction propagandiste singeant l’effort de guerre morale, c’est bien l’esprit de Verhoeven et son Starship Troopers que le jeu invoque ici, preuve supplémentaire de sa volonté d’ambivalence. Tout d’abord, la guerre ludique selon Helldivers évolue en flux tendu et persistant: chaque mission, chaque planète conquise par une escouade de joueurs (4 maximum), s’ajoute à un tableau des scores global, qui fait évoluer une grande campagne dynamique, modifie ses objectifs et crée des événements ponctuels au jour le jour, selon les résultats antérieurs. Sur le terrain, l’escouade en question doit donc se coordonner pour avancer à l’unisson et remplir plusieurs objectifs thématiques, tout en résistant aux vagues ennemies qu’ils rencontrent en chemin. En plus de son armement attitré, chacun peut commander un soutien logistique (tourelle, robots, munitions), directement largué depuis le ciel. Sadisme ultime : pour obtenir ces soutiens, dits Stratagèmes, il faut d’abord effectuer une manipulation au pad, à la manière d’un cheat code à l’ancienne, dont la contrainte se fait aussi un admirable révélateur de gestion de stress face à un ennemi de plus en plus oppressant.

Très arcade, le jeu ne cherche pourtant jamais la complication, sa prise en main, immédiate, fonctionne sur une base de shooter en vue de dessus et de sièges improvisées digne d’un Fort Alamo, version space rangers, aimant à démultiplier sa tension de survie, en surchargeant l’écran de menaces venant de toutes part. Mais là où Helldivers frappe encore plus fort, c’est que chaque allié reste aussi une menace potentielle. La moindre balle perdue peut être mortelle, le parachutage d’un Stratagème (ou d’un joueur ressuscité par les autres) peut écraser un allié inattentif, quand ce n’est pas tout simplement la lenteur d’un joueur désorienté qui va mettre en péril le groupe en fuite face à un ennemi en surnombre, en bloquant la caméra sur lui.

Si le level design est pensé comme un assemblage de petits terrains tactiques, la première arène d’affrontement reste le groupe lui-même, qui peut s’autodétruire très vite, en cas de mauvaise communication ou d’individualisme. Bien entendu, ce genre d’expérience souffre de sa condition première : s’adresser avant tout aux adeptes du jeu de soirée entre potes, ou à un public d’initiés, entrainés aux protocoles de coopération et disciplinés aux codes tacites du jouer-ensemble.

Paradoxalement, s’il reste jouable en solo, il en en perd alors tout intérêt. C’est justement cet équilibre à faire du jouer-ensemble un mal nécessaire, à se trainer comme un boulet pour espérer survivre, qui fait la force de Helldivers. Avec son art de l’économie bluffant, quelques arènes, quelques monstres, quelques idées (mais toutes brillantes), le jeu laisse une place de choix à un large éventail tactique, mais surtout émotionnel entre ses joueurs, où chacun doit se faire bon samaritain et monstre d’orgueil et de cupidité, qui ne vaut mieux que celui qu’il attaque. Encore une fois, on reste raccord avec Verhoeven.