Certains jeunes, on le sait, s’exilent. Ils partent faire le djihad, en Syrie, en Irak, après s’être fait lavé le cerveau. Hier encore, on prétendait nous rappeler que le jeu vidéo était à reprocher dans cette tragédie – humaine et sociale avant tout – preuve d’une indécence sans commune mesure de la part de l’intelligentsia. Alain Bauer, spécialiste de la criminalité qui a eu l’oreille de Sarkozy ou de Valls, déclarait en effet à VSD que Call of Duty servait de plateforme d’entrainement aux jeunes français partant faire le djihad. Une information vite reprise par les médias, mais surtout contredite par les soldats du califat eux-mêmes.. Mais c’est bien naturel, à chaque fois on cherche le bouc-émissaire facile, celui qu’on peut se permettre de sacrifier sur l’autel public sans vergogne. On veut l’effet placébo à peu de frais, on se rassure en érigeant des hommes de paille.

Derrière cette mascarade médiatique se cache pourtant un vrai sujet. Le choix dans nos représentations de la guerre n’est pas anodin, il traduit un héritage, une pensée. Call of Duty ou Medal of Honor n’ont par exemple pas grand-chose à voir avec le devoir ou l’honneur, mais exorcisent plutôt les pulsions conquérantes et va-t-en-guerre d’un conservatisme d’Etat dont le cri de guerre s’appelle sécurité nationale. La série Final Fantasy, elle, s’est souvent faite le miroir de la crainte japonaise de l’instrumentalisation politique des conflits.

On pourra donc trouver dans l’épisode Type-0 un certain écho aux événements récents. Dans les pas de l’épisode VIII, cette nouvelle itération nous met aux commandes d’adolescents membres d’un commando d’élite au service d’une nation à l’idéologie – on le découvrira – douteuse. Ils sont quatorze à s’entrainer dans l’académie qui servira de quartier général au joueur. Bien loin des amourettes d’un Persona, ici, la jeunesse éduquée part au front. Sans broncher, ils exécutent chaque ordre de mission. D’abord, il s’agit de résister à l’envahisseur, puis viendra la contre-offensive, menée par la petite porte, à coups de sabotages et d’infiltrations stratégiques dans le camp adverse. Sur fond de conflit globalisé et de course à l’armement (arme atomique, mécanisation, etc), Type-0 raconte l’histoire classique d’une génération qu’on envoie à l’abattoir accomplir le sale boulot ordonné par les vieux aigris du gouvernement, que cela arrange bien.

Cette résonance contemporaine, Hajime Tabata est allé la puiser à la source, dans le documentaire Centuries of Picture (NHK) qui retrace le déroulement des conflits qui ont marqué le vingtième siècle. Le nouvel homme fort de Square Enix en a repris les codes, évacuant les subtilités macro-politiques (nombre de morts, les dégâts matériels, les famines) de son récit dans quelques cinématiques en sépia montées comme un reportage d’archive de la BBC, pour ensuite se concentrer sur la tragédie humaine : la pénibilité s’exprime par le jeu.

Chaque assignation donnée occasionne une laborieuse suite de combats meurtriers durant lesquels, petit à petit, notre roster de combattants s’amenuise. Jusqu’à cet affrontement fatidique contre le boss, où, à bout de souffle – et de précieuses ressources – on arrache une victoire au goût amer. Mais pour qui, pour quoi s’est-on sacrifié ? La nation, l’idéal, la hiérarchie ? Pas de réponse, on rentre à la maison, et on remet ça, encore et encore. Quarante heures durant, on exécute la routine crade et docile de soldats de plomb. On incarne les pions, les ignorants, la précieuse chair à canon. Ainsi à hauteur d’homme, Tabata prend le temps de dérouler son argumentaire contre le dévouement aveugle, lui préférant la valeur du deuil et du devoir de mémoire éclairé. Il formule un réquisitoire contre la militarisation des relations internationales autant qu’il narre, intimiste, l’angoisse existentielle d’enfants soldats confrontés à la peur de l’oubli.

Si Type-0 n’est en soi pas un très bon jeu – on ne peut pas dire qu’il soit « fun » à jouer – son parti-pris compréhensif et dépassionné sur les affres de la guerre en font une de ces œuvres claudicantes qu’on ne peut pas totalement ranger au rang des déceptions. On en garde fatalement un bout d’idée, une émotion, même maladroite. Et c’est bien tout ce qu’on demande.