L’éternel problème de toute simulation sportive actuelle – d’où leur absence logique dans notre cher magazine – reste de se borner à une pure rhétorique graphique. Quand elle n’est pas inexistante, toute autre visée ambitieuse s’avère souvent accessoire devant l’exploit photo-réaliste. Une politique de non-Auteur, en somme, semble avoir été démocratisée depuis le quasi-trust d’Electronic Arts sur la plupart des licences sportives. Au demeurant, Fight night champion pourrait être de celles-ci. Pire : à n’avoir jamais souffert de concurrence directe (à la différence d’un FIFA qui doit ses améliorations à sa guéguerre avec PES), la licence, comme gavée d’aise de son monopole, ne proposait avec ses dernières moutures que de timides customisations, sans jamais réviser ses fondements. Plus beau, plus réaliste, plus tout, ce cinquième épisode l’est assurément. Le développement technique, poussé au taquet, a ripoliné les moindres détails : foules, impacts de sang et sueur sur les shorts, etc. La motion capture, quasi parfaite, continue d’ébahir avec ses modélisations et animations, jusqu’aux déformations faciales au ralenti, véritables déflagrations de chair, repassées en boucle avec un même plaisir coupable. En dépit de ces prouesses, cet épisode ose peu de changements dans ses contenus : les modes carrières en solo et multi s’avèrent plus dynamique (une constante chez EA), avec notamment la possibilité de se regrouper en gymnases-guildes et d’organiser des tournois de bourre-pif sur plusieurs jours.

Mais, à l’origine, Fight night c’était avant tout le succès d’une proposition de gameplay : l’incarnation du boxeur par inclinaison du joystick comme extension directrice de ses poings. Nouveauté ici : ces combinaisons se voient aussi transposées sur les boutons, afin de garantir une ergonomie plus accessible. Le système de garde, autrefois challenge de réflexe à maîtriser, bénéficie lui aussi d’un nivellement de facilité, l’ordinateur orientant à présent les gants vers la partie corporelle à défendre. Si cette interface arcade reste à déplorer pour tout habitué de la série, elle apporte en revanche une nervosité des échanges plus adaptée au public néophyte. Donc, finalement, rien de nouveau sur le ring ? Rien de bien révolutionnaire, c’est certain.

Pourtant, EA inaugure ici une dimension paradoxale, presque contradictoire à sa croisade du tout-réalisme, mais tellement salvatrice face aux griefs de redite. Pour la première fois, la saga propose une carrière romancée. Le scénario suit le parcours d’un film de boxe lambda (gloire-chute-rédemption), à travers la carrière d’un jeune prodige refusant de se compromettre avec les méthodes mafieuses d’un requin de la finance (et accessoirement manager). Malgré son cheminement ultra-balisé, le récit enchaine élégamment combats classiques sur ring, entrecoupés de cinématiques et phases de combats plus sauvages (le personnage se retrouve en prison), jurant avec le protocole habituel du noble art. Grâce à cette traverse fictive un poil grandiloquente – la simulation se voyant malmenée par les règles d’une narration scriptée – EA s’accorde néanmoins une extrapolation passionnante. Plus qu’un vulgaire calque des codes de success story, ce mode scénarisé reste un admirable tutorial pour appréhender les subtilités du soft. Si la castagne en prison s’avère décevante (trop de proximité avec un beat’em-all, sans le fun), le reste des combats reste suffisamment varié pour orienter chacun des joueurs (à la manière d’un RPG), vers ses skills appropriés (préférer la distance ou le combat rapproché, etc.). Pour chaque combat se lie un chapitre théorique sur les lois complexes du pugilat, basé sur un handicap différent : main droite brisée (obligation de combattre du gauche), arcade sourcilière endommagée (ne pas encaisser plus de 20 directs à la tête), arbitre corrompu par le big boss mafieux, etc. L’apothéose restant le combat précédant le match final, pur démonstration de sadisme par les développeurs : incarner son futur adversaire (une brutasse hybride entre Yvan Drago et The Rock) dans un pur exercice de pilonnage d’un pauvre boxeur inexpérimenté. Les puristes de la simulation pourront râler devant cette manipulation roublarde (d’autres parleraient de pur suspense en action), ce serait mal qualifier cette régénérescence, déstabilisante concédons-le, d’un principe qui sonnait trop comme un refrain.

Mais on pourrait tout aussi bien envisager Fight night comme un hommage, voire un manifeste cinéphile, au mythe Rocky. Difficile de ne pas penser, devant les embûches dressées par le scénario, à cette « politique de l’effort » (le background prolo en moins) qui parcourait les grandioses premier et sixième volets de la saga de Stallone. Le parcours maso de l’avatar s’affiche en pur héritage de Balboa : n’avoir d’autre vie que celle sur le ring (les cinématiques montrent un monde extérieur invivable, gangrené par les tractations mafieuses), s’en prendre plein la gueule et s’imposer une souffrance comme seul purgatoire existentiel (le combat final ressemblant à un calvaire christique). Si cette quête scénarisée s’avère trop courte et manichéenne, elle reste néanmoins pour la saga un admirable défi à cesser sa course à l’échalote technique pour mieux s’épancher sur l’âme de ses colosses en short. Pourvu que cette pause romanesque ne soit pas une erreur éphémère dans un sillon tout tracé.