S’il reste un excellent jeu, Fallout 3 ne renouvelait pourtant pas l’exploit immersif de son prédécesseur (chef-d’oeuvre absolu), trop préoccupé sans doute à tempérer la complexité de ses arcanes pour le grand public. New Vegas clame une ambition inverse. Avec Obsidian, studio responsable de Fallout 2 (mais évincé du 3), à nouveau aux manettes, Bethesda réoriente sa licence et se repend devant ses fans les plus illustres. Plus qu’un appel du pied à sa communauté originelle, New Vegas apparait comme un repoussoir à tout néophyte casual : le jeu n’a subi aucune refonte, emploie le même moteur graphique (celui d’Oblivion, donc bien daté) et la même interface. Esthétiquement pauvre, le jeu semble rétif à la plastique next-gen, comme figé dans un archaïsme orgueilleux, en écho à son univers post-nucléaire. Pire : le design général apparait même moins audacieux que Fallout 3, les décors se complaisant dans un style feignasse, avec textures baveuses dignes d’une 32-bits. Ce premier contact, rêche, occulte néanmoins l’atout d’un grand soft : Fallout new Vegas est avant tout un trompe-l’oeil, une forme antithétique à la densité de son potentiel.

De la 2D isométrique à la perspective subjective, la franchise amorçait certes un glissement dangereux vers l’action pure. Il n’en est rien : le temps réel du combat, et sa cohérence, sont sous contrôle absolu de la stratégie. Avec son option permettant de geler le temps et d’attribuer ses tirs sur tel organe du corps de l’ennemi, ce faux FPS (ou FPS malade ?) s’avère une contamination jouissive du RPG sur un genre en vogue, doublée d’un hommage au tour par tour de ses aînés. Deuxième illusion : New Vegas ressemble à une simple extension de Fallout 3, tout comme Fallout 2 pouvait l’être au premier. Il s’avère en réalité le paroxysme quintessentiel de ses postulats, une sorte d’apogée. Plus retorse, la logique rôlesque puise dans tous les classiques : les Elder scroll pour son foisonnement de quêtes scénarisées au cordeau, les Star Wars : Knight of the old republic pour ses choix moraux (les Factions, et leurs relations diplomatiques dépendant de chaque action), les Mass effect pour l’écriture et le dynamisme de ses dialogues. Mais New Vegas n’est pas qu’un pot pourri anar de plusieurs influences. Le mode Hardcore, avec son obligation de se nourrir et de reposer et ses variantes artisanales (cuisiner son gibier, désosser une arme pour en customiser une autre), pousse le gameplay dans des retranchements réalistes des plus immersifs.

Mais la plus belle forfaiture du jeu reste bien la (fausse) modestie de son environnement diégétique. La saga n’a jamais eu de cesse de questionner le mythe américain de l’Etat de nature, via son prisme post-apocalyptique et ses rednecks irradiés. Transposer l’intrigue dans cette New Vegas, projection gomorrhéenne de la cité du divertissement, soulève brillamment la porosité morale du rêve yankee. Mais la force du scénario est bien, comme avec le titre de Rockstar, d’avoir su ménager l’équilibre entre la quête principale et les chemins de traverses parallèles. Bien souvent, l’historiette intime (plus d’une centaine à résoudre) d’un autochtone éploré passe avant le déroulement égocentrique de la trame. Celle-ci vaut finalement moins pour son intérêt vigilante (assouvir une vengeance pour finir le jeu) que l’excuse à jouer les Rastignac (accepter tous les services, jouer les mercenaires sans discernements moraux), pour y parvenir. Après Red dead redemption, New Vegas est le deuxième open-world de l’année à transformer, paradoxe magnifique, la lande désertique en réservoir narratif gargantuesque. Sous son masque nihilo-punk, Fallout new Vegas a certes la gueule cassée, mais il a une bonne excuse : son souffle romanesque, digne d’une saga balzacienne au carbone 14.