Il y a, chez Capcom, une sorte d’obsession compulsive pour étirer un concept jusqu’à épuisement. Jusqu’à ne plus interpeller que quelques happy-fews atteints de collectionnite aiguë. C’est le cas de la licence Street fighter II qui s’est multiplié ad nauseam sous formes diverses et variées qui font de Capcom un des derniers résistants de la baston 2D. Mais l’éditeur détient un autre filon juteux, le Resident evil-like. En dehors des inévitables sequels, des remakes officiels -le premier épisode de la saga subit en ce moment même un lifting de choc sur la GameCube-, Capcom nous a gratifié d’un « survival-dino » (Dino crisis 1 & 2)… Puis d’un « samouraï-horror » (Onimusha warlords) dans lequel, enfin, la maniabilité habituellement rigide s’assouplissait considérablement. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? On nous annonçait Devil may cry comme un beat’em-up ultime, un concentré d’action étourdissant. En fait, il s’agit d’une variation subtile d’Onimusha dont il reprend et améliore la plupart des innovations : l’upgrade très RPG-like des caractéristiques du personnage, le système des orbes. Et le maniement de l’épée, mixé cette fois-ci avec l’utilisation d’armes à feu de plus longue portée. Génial, Capcom a inventé le « survival-Max Payne-horror » ! La partie énigmes a été réduite au quasi-néant, bien qu’il subsiste quelques gentillettes réminiscences. Chercher la clef qui ouvrira la porte, rien de bien bluffant.

Alors, c’est vrai, la maniabilité du personnage principal est désormais jubilatoire. Les deux types d’armes se complètent parfaitement. Notre détective-nettoyeur ès-démons, Dante, peut sauter, rouler, tout en mitraillant des créatures diaboliques ou en les charcutant à grands coups de katanas surdimensionnés. Pas vraiment de problèmes de ce côté-là. Malheureusement, les reliquats des constantes du survival-horror viennent entacher un tableau jusque-là idyllique. Si la caméra est beaucoup plus mouvante, 3D temps réel oblige, elle suit toujours un trajet pré-determiné. De gros efforts ont été faits pour améliorer la visibilité –certains éléments du décor peuvent devenir translucides-, mais rien y fait, il arrive souvent que la bestiole à shooter soit hors-cadre. Et puis il y a ce découpage en missions qui peut paraître un brin superficiel et redondant, d’autant que les objectifs à atteindre sont parfois d’une inanité consternante. Du genre, votre mission : ouvrir la porte du démon. On voudrait ressentir le même choc que le reste de la presse spécialisée, hélas, on reste circonspect : Devil may cry est sans aucun doute un jeu honorable, l’accomplissement paradoxalement inachevé d’un genre qui commence légèrement à gonfler.

Il faut avouer que le jeu n’est pas aidé par une conversion européenne en dessous de tout. Affichage 50 Hz non optimisé (grosses bandes noires, image écrasée, ralentissement de l’animation) de rigueur, l’éditeur ne s’est pas foulé. Il a bien raison, Devil may cry se vendra comme des petits pains sur sa réputation. Du coup, on perd sans doute ce qui fait la substantifique moelle du jeu : la frénésie et l’esthétique. Parce qu’on peut au moins reconnaître que Devil may cry est un des plus beaux jeux vus sur PS2, un mètre-étalon technique, à n’en point douter. Les décors en temps réels atteignent presque le niveau de détails des antédiluviens fonds bitmaps qui servaient de background aux productions de ce genre. Et le héros a indubitablement la classe. Dommage du coup que Devil may cry soit plus agréable à regarder qu’à jouer. Connaissant Capcom, on peut s’attendre à un Devil may cry 2… et 3, 4, 5, etc. D’ici là, on peut garder la foi, Capcom aura trouvé la formule gagnante et Devil may cry touchera peut-être enfin au sublime.