A de rares exceptions, le survival a construit son idéologie sur l’idée que si ce n’est pas la superstition (Silent hill 1, 3 et 5), ou la technologie (des virus vaccins armes ni très « bio » ni très logiques comme dans Dead rising ou Resident evil) c’est le libéralisme économique qui nous mènera à notre perte. Le survival est le théâtre de la solitude des hommes qui doivent supporter le spectacle et l’agression inhumaine d’une société effondrée sous le poids de son extase désorientée. De ce nihilisme, Dead space pousse dans tous les sens du terme le bouchon plus loin.

Là où la cupidité des grands consortiums et l’irresponsabilité de l’exploitation des ressources naturelles font de notre planète une terre brûlée, la religion elle-même au lieu de représenter une alternative spirituelle réparatrice précipite le millénarisme et achève notre déclin. A cette accélération de la catastrophe survival, Dead space répond par sa propulsion dans l’espace. Et si le premier épisode nous enfermait au purgatoire des colonisateurs complices au premier degré de la catastrophe, Dead space 2 nous invite à contempler la remontée de ses effets, sa contamination à un niveau plus terrestre. C’est désormais dans les fondations de la société spatiale que la mauvaise nouvelle nécromorphe s’est propagée.

Après un passage à vide de trois ans, Isaac, l’ingénieur et héros du premier épisode, s’extrait d’un trou, celui de sa cellule et retourne à la civilisation. Cette entrée en fanfare le propulse hors de l’oeuf, les bras engoncés dans une camisole et n’ayant que ses jambes à prendre à son cou. Poursuivi par des visions de sa femme décédée, Isaac traverse la station Titan 4, à coup d’armes tranchantes ses habitants fraîchement décimés et ses lieux commerciaux, habitables, spirituels et fonctionnels. Outre les dizaines de messages et transmissions éparpillés, les traces de sang, les macabres mises en scène, les affiches publicitaires, sans égaler le génie des concepteurs de Rapture (Bioshock), Visceral Games renforce le contexte de sa saga par une représentation originale du colonialisme spatial. Exemple les plus frappants : La visite d’une église d’Unitologie (la secte millénariste co-responsable du fléau) ponctuée d’allusion mordante à la scientologie (malgré un déni des développeurs du jeu) et sectes technophiles, d’un centre commercial pour enfants-rois jouxtant l’école maternelle rempli (ô symbole !) de bébé bombes.

Plus linéaire dans son cheminement que son prédécesseur mais aussi plus efficace, Dead space 2 concentre ses effets par une mise en scène nerveuse (pas si éloignée du chef d’oeuvre dans le domaine cinégame : Uncharted 2) ponctuée à l’occasion de cliffhangers « QTEsques » over the top et de vertigineuses séquences en jet pack. Si une nouvelle fois, Visceral Games maîtrise à la perfection l’économie flux tendus du survival en affamant rapidement son joueur en munition (pour encourager sûrement le nouveau pouvoir consistant à se servir des membres déjà découpés comme projectiles), il oublie pourtant cruellement de varier les situations de combat notamment en enlisant le joueur, dans la deuxième partie de l’aventure, dans de constante attaques surprises à 2 mètres de lui (et à deux balles) ou en l’enfermant dans des arènes infestées dont il est temporairement prisonnier. Vraiment inédit pour le coup, le mode en ligne initie l’amateur aux joies d’incarner du nécromorphe dans une série de « contre mission » (empêcher les humains de remplir des objectifs) et a le bon goût de ne pas déséquilibrer l’aventure solo (singularisée par le sentiment de solitude) par l’adjonction tristement courante du coop, cache-misère créatif des modes en ligne à l’ère de la HD.

Au final, si Dead space 2 demeure un excellent divertissement d’horreur porté par une réalisation et un doublage français de hautes volées, on regrettera tout de même que jamais il ne réalise, faute d’en saisir la portée, les véritables possibles contemplatifs et oniriques des scènes qu’il convoque. Il faudra se contenter par exemple de cette ahurissante descente dans un silo glacial, noir comme la suie, donnant à regarder par ses vitres une vision lointaine mais lumineuse et décalée de Saturne comme baignée dans un rayon joyeux d’éternel été… Tout en regrettant d’avance que la prochaine salle sera un traquenard routinier isolant cette précédente fulgurance, la coupant de sa beauté, niant le sens fécond de son contraste. Sombre qui comme Isaac fit voyage vers un massacre aux tons uniformément carmins.