Au terme d’une campagne solo menée tambours battant et dont l’issue dépend de sempiternels choix moraux (nouveaux gadget narratif du FPS moderne), il ne sera pas rare de voir le joueur de Black ops 2 finir groggy et hébété. Bombardement visuel et sonore sans temps mort maniant la syntaxe moderne du jeu vidéo avec l’aplomb linguistique d’un lauréat à la dictée de Bernard Pivot, l’épisode annuel de la licence star de cette génération de machine (500 millions de dollars de vente en 24 heures) est quasiment incritiquable. Et pas seulement pour sa mécanique de FPS grand public rarement originale quoique parfaitement huilée.

 

Car tout fonctionne dans Black ops 2. Tout est millimétré pour répondre aussi bien aux attentes que relancer la machine. Ainsi à chaque fois que le jeu fractionne son rythme par une cascade de scènes scriptées dont on ne s’étonne plus, tant le genre en abuse, c’est en contrepoint d’autres, ouvertes, parsemées d’armes variées comme autant d’invitations (quoique jamais subtiles) à occire l’ennemi. Même lorsqu’il récite par coeur les passages obligés du blockbuster AAA : sauvegarde auto permanente, cliffhangers tarte à la crème toutes les dix minutes, effets de brouillage des sens par une caméra vacillante qui ne quitte jamais la subjectivité du personnage, le jeu brille par la fluidité de ses transitions et ses multiples séquences en véhicules. Moins cérébral et politique que le récent Specs ops : The Line, Black ops 2 préfère jouer la variété, allant jusqu’à offrir plusieurs fins qui, renforcées par un ennemi principal aux motifs terriblement humains et touchant, débouchent sur des enjeux idéologiquement distincts. Il est loin le temps où l’ennemi n’était qu’une caricature. Avec son Call of duty 2012, Treyarch synthétise et pousse un peu plus loin le nouveau règne du FPS à grand spectacle. Mais cette force d’intimidation, sidérante mais jamais géniale, suffit-elle à neutraliser l’esprit critique ?

 

Son étrange pouvoir de fascination et de neutralisation critique, Black ops 2 le tire d’une autre maîtrise que celle du spectaculaire (quoiqu’il y participe), plus inattendue : celle de l’acoustique. A tous les niveaux (son habillage sonore tonitruant qui sur les dernier niveaux martèle les tympans, le bruit de son intense médiatisation, sa pub avec AC/DC, son thème principale par Trent Reznor), le titre de Treyarch vise l’agression sonore totale et constante du joueur. Dans son livre, Le Son comme arme – les usages policiers et militaires du son, Juliette Volcler fait remarquer l’ambivalence de l’usage du heavy metal par les GI en Irak : à la fois outil de motivation sur les camps d’installation militaire, instrument de torture à Guantanamo et mécanisme de brouillage des repères sur le champs de bataille. Black ops 2 rejoint cet usage en prenant le heavy metal au mot ; c’est une pluie de métaux lourds et de détonations qui résonnent jusqu’à la migraine dans ses tableaux les plus épiques. Quelque part, le jeu vidéo relève ici franchement d’un divertissement grand public (équivalent à un film comme Delta force dans les années 80) et d’un témoignage interactif sur le rôle psychologique de l’abrutissement par le bruit dans la soumission du soldat.

 

Ultime ironie de ce FPS Blitzkrieg et Wagnérien, l’ex-dictateur Manuel Noriega y incarne (malgré lui ?) l’un des bad guys. La grande Histoire se rappellera qu’il fût la première victime de cette utilisation militaire du son. Réfugié dans l’ambassade du Vatican au Panama en 1989, il finira par en sortir pour se constituer prisonnier auprès de l’armée américaine. Celle-ci avait pris soin de bombarder l’ambassade, à l’aide de « canon à son » et plusieurs jours durant, avec des morceaux de hard rock. Tel un Noriega assourdi et ébloui, au critique de sortir le drapeau blanc face à la machine de guerre d’Activision. Si elle nous empêche toujours de pouvoir crier au génie, sa brutalité et sa fougue nous obligent, une fois de plus, à déposer les armes et à nous rendre.