Il suffit souvent d’un rien pour nous captiver. Le jeu vidéo en est sans doute la preuve la plus flagrante, en même temps qu’il donne les modalités de cette captation : une idée simple, quelques règles et stimulis parfaitement dosés pour maintenir un semblant de plaisir, voilà comment les Angry Birds, Farmville et autres Candy Crush dressent des petits riens pour nous séparer du grand vide de l’existence (rien d’étonnant aussi que ces jeux pullulent sur ces aspirateurs de temps perdu que ce sont les smartphones et autres réseaux sociaux). Disponible gratuitement sur IOS, Calculords témoigne de ce même art du mini jeu, déployant un concept efficace qui sollicite ici nos talents en calcul mental : chaque partie s’y décompose en plusieurs tours où le joueur dispose de six cartes, chacune affichant un certain type d’unités ainsi qu’un nombre précis. Le joueur dispose également d’une grille aléatoire de chiffres, qu’il faut additionner, soustraire ou multiplier. En obtenant le nombre affiché sur les cartes, le joueur fait alors apparaître les unités sur un champ de bataille. L’ordinateur fait ensuite de même, de sorte que le gagnant est celui qui sera parvenu, au fil des affrontements entre les unités matérialisées, à avancer jusqu’à la base ennemie et la détruire.

En cousin des chiffres et des lettres traversé par l’esthétique 8 bits et la culture geek, Calculords sait trouver le parfait équilibre pour que l’on y passe un temps fou sans s’en rendre compte, entre le plaisir de former les bonnes combinaisons, la résistance qu’oppose l’adversaire et le rythme et l’enchaînement des parties. Mais au-delà de ces qualités qui le rapprochent sans doute des Candy Crush et cie,  le jeu de Ninja Crime révèle aussi une certaine éthique ludique qui le rend plus aimable. Car là où ses congénères fondent leur diabolique accroche sur un principe d’accumulation et de consommation permanentes, que ce soit par l’ajout de contenu, le besoin de solliciter d’autres contacts, ou une volonté de saturer l’espace, Calculords invite au contraire à la juste mesure. Il faut savoir y trouver le bon compte et la bonne formule, comprendre aussi parfois qu’au lieu de vouloir tout placer, il vaut mieux s’arrêter et apprendre à se servir du zéro pour faire le vide. Et en même temps, au cœur de ce principe de mesure auquel il invite avec bienveillance et pédagogie, il fait demeurer l’impossibilité d’une maîtrise totale des événements : l’on sera toujours potentiellement victime d’une carte traîtresse, d’un coup du sort, mais surtout dépendant du tirage des chiffres avec lesquels se débrouiller. Une part d’aléatoire qui au final n’est jamais une malédiction, mais au contraire, révèle l’intérêt du jeu et renvoie à ce qu’il a de plus vivant, comme en définitive, sa grandeur véritable : celle qui, loin des petits affects vains, fait du hasard une chance.