Il y a presque dix ans, avec Animal Crossing, Nintendo offrait aux gamers dans un espace temps lent comme la vie (en direct, en temps réel, le défilement des jours, des semaines, des saisons), une nouvelle façon d’interagir avec ses proches (cf. le nombre fascinant de témoignage de couples qui se sont retrouvés ou déchirés en habitant le même village virtuel).

 

En 2004, on y jouait en import US avec l’impression forte d’être des pionniers. Ceux d’un jeu-monde drôle, sympathique et régressif qui refusait de dire ses règles. L’expérimentation, le plaisir de la découverte et le « et si j’essayais ça » y règne d’ailleurs toujours en maître autour d’activités de base désormais bien connues. Remplir le musée des divers fossiles déterrés, des poissons obtenus pendant des parties de pêche, des insectes attrapés et des œuvres d’art glanées chez Rounard. Agrandir progressivement sa maison et la décorer des centaines de meubles, papiers peint, motifs au sol disponibles (si possible en respectant le feng shui). Fleurir son village, planter des arbres… ou simplement se laisser vivre et profiter de quelques conversations idiotes avec ses voisins. Pourtant tout au long de ses cinq déclinaisons, Animal Crossing est aussi un concept qui s’est égaré et qui a déçu ses early adopters. L’arrivée du Online, bien que logique et inévitable sur l’épisode DS, a bousillé l’équilibre social. En effet, si se faire aimer des animaux bavards et habitants comme vous un charmant village constitue la poutre maîtresse des premières versions (Nintendo 64 et Gamecube), la possibilité de visiter d’autre joueurs et de s’adonner librement au troc avec eux a réduit par la suite la présence des habitants PNJ à celle d’un simple décor, facultatif, négligeable. A quoi bon rendre service à Clara la lapine si je peux obtenir le même papier peint par mes congénères ? L’autre écueil de la série à travers ses épisodes successifs résidait dans le peu de nouveautés offertes d’un épisode à l’autre pour qui a littéralement passé des centaines d’heures dans le premier opus.

 

Bref, de formidable simulation d’amitié mimant une égalité de principe entre le joueurs et les PNJ, Animal Crossing s’était transformé en concept tarte à la crème remplis d’activité toujours plus nombreuses mais pas toujours intéressantes. Il fallait donc un nouveau départ. C’est précisément ce qu’accomplit New Leaf avec un parti pris radicalement différent : en lui faisant  endosser le rôle de maire, le joueur n’est plus un citoyen comme tout le monde, mais peut désormais s’assumer ouvertement comme responsable de la prospérité de son village. Si les premiers jours, cette fonction semble assez limitée, on s’aperçoit vite qu’elle accompagne un rééquilibrage et une remise à plat totale du concept. Par exemple, l’argent, objet central d’un titre obsédé par le matérialisme de la collectionnite, n’est plus un problème. Les occasions d’en gagner rapidement se multiplient. Côté environnement et paysagisme, correctement disposées, les fleurs se multiplient rapidement. Les interactions et les dialogues possibles avec les habitants se sont aussi grandement étoffés. Globalement et sans spoiler le plaisir de la découverte, tout est mieux pensé, plus logique et fluide dans New Leaf. Surtout le rôle de maire et les personnalisations qui en découlent sont l’occasion pour Nintendo de proposer sans imposer nombre de fonctionnalités et de lieux dits des anciennes versions (le poste de police, le centre Resseti, etc). Par ailleurs, ces possibilités expansives sont désormais conditionnées par une gestion bien plus fine du temps qui passe. Ne vous attendez pas à tout pouvoir construire tout de suite. Hormis leurs coûts parfois exorbitants, l’invitation à construire tel ou tel bâtiment (comme l’ouverture des commerces de la rue marchande) ne s’offre qu’au joueur patient et prenant la peine de discuter avec ses habitants. Signe que Nintendo a enfin compris comment rythmer et renouveler le plaisir de la découverte d’un titre chronologiquement infini.

 

En plus de louer une réalisation chatoyante (merci la 3D), on pourrait lister bêtement toutes les nouvelles possibilités offertes (notamment sur sa partie online) par cet épisode, sans doute le plus équilibré et généreux depuis celui, magistral, sur Gamecube ; ce serait trahir la mission première de cette licence – dix ans plus tard toujours sans équivalent, sans filiation, ni concurrent sérieux. Provoquer l’émerveillement de la découverte, raviver la joie de l’échange, du petit plaisir qui se transmet de pair à pair. S’autodéterminer dans un espace temps bucolique, touchant où le vivre ensemble est indissociable de l’art de vivre.