Et de dix ! Ira (guitare, voix), Georgia (batterie, voix) et James (basse) ont pris leur temps, mais ça en valait la peine. And then nothing turned itself inside-out prouve qu’aux groupes bien nés, l’inspiration ne détale pas au fil des années.

Chronic’art : Pas d’album depuis trois ans, on s’inquiétait…

Ira Kaplan : Ca nous a pris plus de temps, oui, mais nous n’avons pas fait de pause. On a longtemps tourné pour l’album précédent. Ensuite, on a participé à divers projets, entre autres un disque enregistré avec Jad Fair qui sort juste ces jours-ci. Nous avons dû répéter en vue de quelques concerts avec lui. On a aussi enregistré des trucs pour les Simpsons. Et lentement, il y a un an, on s’est remis à répéter ensemble, à écrire.

James Mc New : Nous avons changé de local de répétitions et le déménagement nous a ralentis.

Ira : On travaille plus lentement, peut-être.

Après quinze ans de carrière, avez-vous l’impression d’avoir influencé des groupes ?

Georgia : Je n’ai pas souvent cette impression. Surtout pas en écoutant la radio. A l’occasion, j’écoute quelque chose et ça me rappelle vaguement un truc à nous. Mais c’est aussi le cas de chansons que nous avons enregistrées et qui m’en rappellent d’autres.

Pas d’hommages d’autres musiciens ?

Georgia : Si, bien sûr, nous recevons des lettres de gens nous disant que, sans nous, ils ne seraient pas là. Ca fait plaisir. C’est d’ailleurs le genre de choses que nous attirons.

Quoi de neuf à New York ?

Ira : Je n’ai pas vraiment l’oreille en alerte en général. Je ne suis pas du genre à flairer les bonnes pistes, à savoir ce qui va se passer. On écoute un peu toujours les mêmes choses. Même quand j’étais journaliste, je n’étais pas très bon lorsqu’il s’agissait de prévoir les futures tendances.

Georgia : En fait, quand il y a une nouvelle tendance, je suis plutôt du genre à me boucher les oreilles et à l’éviter. Et souvent, un peu plus tard, je m’aperçois qu’il y avait de bonnes choses finalement. Mais je ne supporte pas la hype qu’il y a autour.

Ira : Quand il s’agit de sortir, surtout à NY ces dernières années, on a principalement vu des musiciens issus du free jazz, de l’improvisation. Ce n’est pas nouveau, mais ce qui est neuf, c’est qu’on sort plus pour en écouter ! En fait, on est sensibles à nos propres goûts, nos tendances sont strictement personnelles.

L’ex-journaliste lit-il les chroniques concernant son groupe ?

Ira : Dès que je vois un papier écrit à notre sujet, je le lis. Et je ne sais pas si ça vient du fait que je suis un ex-journaliste. Je suis incapable de résister, même si parfois, il vaudrait mieux que je résiste en fait. Mais j’ai besoin de savoir ce qu’on dit sur nous.

Ca vient aussi de cette formation, le goût pour les reprises obscures ?

Ira : Je suis un fan de musique. Je crois que les critiques musicaux sont plus souvent capables de penser en termes de hits, de tendances que de s’attarder sur les disques plus obscurs. Surtout maintenant : j’ai l’impression que les critiques se contentent d’analyser les charts. Nos reprises proviennent toujours de disques que nous avons écoutés et réécoutés et que nous écoutons encore. Et que nous continuons à rechercher en tant que fans.

Des précisions sur la taille de la collection de disques.

Ira : Importante.

James : La mienne a sa propre pièce.

Georgia : J’aimerais que la nôtre tienne dans une pièce.

Ira : Oui, ça dégagerait notre living-room, envahi de disques.

Ah, la dangereuse association de deux collectionneurs…

Ira : Pas forcément fatale. Je pense que la femme de James, par exemple, a perdu l’habitude d’acheter des disques et que James achète pour eux deux. Chez nous, c’est comme ça. Georgia n’achète plus, car elle sait que si elle veut quelque chose, je vais devancer sa demande et le mettre sur ma liste de courses.

Georgia : Et ça lui arrive même de savoir avant moi ce que je veux écouter (…). Depuis que nous avons emménagé ensemble, les anciens disques sont séparés des autres, mais ceux achetés en commun plus récemment sont mélangés. Il y a une collection principale et des petites piles séparées qui remontent à 1980 et qui m’appartiennent.

D’où vient Night falls on Hoboken, ce morceau de 17 minutes ?

Ira : C’est venu d’une répétition, un jour, comme ça. Je ne me souviens plus trop comment. Il y a une cassette de sa première incarnation en tout cas, que je n’ai pas écoutée depuis un bail. Ce morceau a rapidement évolué dans cette structure très lâche, qui comporte deux ou trois événements que nous avions prévus : on savait qu’à un certain point, James jouerait de l’orgue, que je prendrais la batterie. Il y avait quelques panneaux d’indication dans cette voie, mais à part ça, on ne savait pas où on allait.

Travailler et vivre ensemble, ça ne mange pas trop d’espace ?

Georgia : On n’a jamais besoin de plus d’espace. Jamais.

Ira : J’ai déjà souvent répondu à cette question, mais je vais essayer une nouvelle méthode d’approche. Le taux de divorce est très haut aux USA et je crois que la difficulté pour faire durer un mariage est de savoir rester ensemble. Que les gens travaillent ou non ensemble, ils se séparent. Il y a des moments où on a besoin d’espace ou d’autre chose, mais c’est vrai pour tous les mariages.
James ne se sent pas isolé parfois ?

James : Non, pas plus que d’habitude. Je respecte la vie privée des autres et c’est ainsi que ça marche.

Ira : James, dans un certain sens, doit se sentir isolé, mais si on pense au groupe comme à une classe, il y a toujours des cliques, des sous-groupes, et les gens trouvent toujours des façons de travailler ensemble. Notre lien est certainement le plus fort (il désigne Georgia), mais nous travaillons bien avec James, nous aimons sa compagnie. Et il existe aussi de bons groupes qui ne peuvent pas se sentir. Il n’y a pas de formule pour le succès.

Vous avez toujours des invités intéressants sur vos albums. Qui vous a rejoints cette fois ?

Ira : Je m’excuse par avance auprès d’un excellent ami, mais l’invitée la plus intéressante est la percussionniste Suzie Ibarra, qui joue au sein d’un grand nombre de groupes de free-jazz. On a aussi enregistré deux chansons dans notre local avec trois trompettistes appartenant à la même scène. Nous sortirons ça par nous-mêmes dès notre retour. Le produit fini doit nous attendre sûrement chez nous. Quelle horreur ! Encore des disques ! C’est intéressant que tu dises que nous avons toujours des collaborateurs de qualité, car je crois que nous sommes des gens qui aimons jouer avec nos amis. Nous avons des amis de talent, par chance, mais c’est récemment seulement que nous avons essayé d’élargir notre vision, de prendre des risques en invitant des gens qu’on ne connaissait pas, de voir ce que ça changerait à notre dynamique. On a commencé avec les trompettistes et nous sommes enthousiastes au sujet de la musique, de la rencontre, ces mecs sont incroyables.

Votre opinion sur Goodbye 20th century de Sonic Youth ?

Ira : Nous l’avons reçu la veille de notre départ, et il nous attend.

Georgia : On connaît les Sonic Youth. On n’est pas franchement amis, mais ça fait longtemps qu’on se croise.

Ira : Steve a sorti un des disques de James.

Justement, parlons de Dump (projet solo de James).

James : C’est comme d’habitude. J’enregistre chez moi, pour m’amuser. C’est plus un hobby qu’autre chose. Au lieu de regarder la télé, j’enregistre. Je ne peux pas m’éloigner de la musique trop longtemps. Je fais ça depuis que je suis adolescent.

Une vidéo en préparation ?

Ira : On va y penser à notre retour. Des groupes comme le nôtre ne sont pas obligés de faire des clip. La maison de disques préfère qu’on en tourne un, mais si ce n’est pas le cas, tant pis. Ils savent que ce n’est pas la clef de voûte de leur plan marketing. Si on trouve de bonnes idées et les bons collaborateurs, ça se fera.

Georgia : Au moins, maintenant, lorsqu’on en tourne une, on le désire vraiment. C’est qu’on a rencontré la bonne personne.

Et ça donne Sugarcube

James : On s’est éclatés à la tourner. Je viens de la revoir sur une compilation de vidéos de Matador. Habituellement, je passe en accéléré notre boulot, mais là, je l’ai regardée en me marrant.

Ira : Qui n’a pas rêvé de passer une maîtrise en rock !

Vos disques de chevet.

Ira : J’ai eu l’anthologie des Isley Brothers, qui tient sur 3 disques. Le troisième n’est pas nécessaire, le deuxième n’est pas non plus franchement essentiel, il n’y a que les tubes, mais il y a des reprises inhabituelles qui sont plutôt drôles. Le premier disque est éblouissant : rien que des raretés. J’écoute aussi Roots of a revolution de James Brown, c’est un vieux disque double, que j’ai déniché d’occasion. Il n’y a pas les hits, juste ses plus vieux morceaux.

James : J’ai trouvé des vieux disques électroniques des années 60-70. Ce style a en quelque sorte déteint sur moi. A un moment, nous avions un ingénieur du son qui n’écoutait que ça. Pendant longtemps, je ne supportais pas. Et un jour, alors que j’étais chez moi, à l’heure où le soundcheck aurait dû avoir lieu, je me suis dit : il est trois heures et je n’ai pas entendu ce morceau… Il m’est apparu qu’il fallait que je me procure ces disques.

Ira : Georgia revient toujours à Captain Beefhart.

Parés pour une nouvelle tournée ?

Ira : On essaye de se planifier une tournée en Europe après une petite tournée américaine.

La perspective vous plaît ?

Georgia : Jouer est une récompense pour tout ce qu’on endure en tournée.

Ira : Avant de venir à Paris, on a joué deux shows à Oslo et c’était la première fois qu’on jouait comme ça depuis un an et demi. Nous étions excités de voir comme les choses évoluent d’un soir à l’autre, ce sentiment était magique. Je serai ravi de pouvoir installer ma petite boutique quelque part et que les gens viennent à nous le soir pour le concert. Aux USA, il y a une ville, Branson, qui n’est composée que de salles de concert, mais c’est surtout réservé à la country music. Les touristes viennent à Branson et sortent tous les soirs.

James : C’est au Missouri, je crois.

Ira : Cette idée me branche. Que le reste du monde vienne à nous au lieu du contraire. Il y a bien sûr tous ces clichés liés à la tournée qui se révèlent vrais, comme de voyager sans rien voir. J’aime bouger, mais j’ai envie de m’arrêter et de passer un moment quelque part avant de repartir.

Propos recueillis par Lizz Anxia

Lire notre critique de And then nothing turned itself inside-out de Yo La Tengo

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