Fou de théâtre et d’amour pour son prochain, Roland Giraud, actuellement sur une scène parisienne, nous parle de ses craintes de vivre dans un monde où tout va très vite mais pas forcément bien.


Chronic’art : Vous avez hésité avant de nous accorder cette interview, pourquoi ?

Roland Giraud : Eh bien, Internet, je ne sais pas ce que c’est, j’ignore ce qu’est un ordinateur, je ne sais même pas me servir d’un Minitel. Ce qui n’a pas d’âme ne m’intéresse pas.

Vous êtes un protestant militant, converti par amour. Que se serait-il passé si vous n’étiez pas tombé amoureux d’une protestante ?

Si j’étais tombé amoureux d’une bouddhiste, je me serais peut-être converti au bouddhisme. Je suis bien né à Rabat de parents provençaux ! Mon père, petit fonctionnaire, est parti au Maroc, protectorat français à l’époque, pour gagner un peu plus d’argent. Les premières personnes que j’ai vues sont des Américains qui passaient par l’Afrique du Nord avant d’aller débarquer en Normandie, puis les Marocains. C’est un médecin marocain qui m’a fait naître. Les Français, je les ai découverts plus tard, les protestants aussi.

Qu’est-ce qui vous plaît chez eux ?

Leur authenticité. La référence absolue à ce qui me touche : l’Ancien et le Nouveau Testament, c’est-à-dire le Dieu révélé. Sans intermédiaire humain. Je n’ai aucune confiance en les chefs religieux. Quelle que soit leur religion, ils veulent le pouvoir. Evidemment, comme partout il y a des êtres épatants et sincères qui souhaitent le bien de l’Humanité. Je ne pourrais pas me confesser à un homme, c’est un problème de foi, de cœur.

Comme dans Alarmes, etc…, c’est un problème de communication ?

Absolument. Aujourd’hui, on est relié à la terre entière, mais on ne sait pas si la vieille dame d’à côté est morte ou pas. C’est arrivé à un ami qui passe des heures sur Internet. Un jour, il aperçoit un nombre inquiétant de mouches qui sortaient d’un appartement voisin. On y a retrouvé le corps d’une femme morte depuis plus de trois mois. Une dame sans famille. C’est quoi le progrès s’il ne sert qu’à aller plus vite ? On tire de l’argent plus vite, on tue plus vite grâce à des armes formidables, on voyage plus vite, on mange plus vite, on gagne plus vite de l’argent, mais on n’est pas meilleur !

La pièce dénonce la  »pollution » technique du monde moderne. Le moindre ustensile ménager est doté d’une alarme. Vous avez un truc pour résister ?

J’ai très peu d’alarmes. Je n’en ai pas sur ma voiture. Je n’attache pas ma moto, ni mon vélo. Le progrès est là, mais n’en soyons pas esclaves.
La machine était faite pour libérer l’homme des travaux pénibles. Au final, elle crée chômage et aliénation ! On peut aller au distributeur tirer des sous, mais si l’ordinateur est en panne : pas de sous. Si le microprocesseur de l’interrupteur de l’EDF de votre immeuble est en panne : pas de lumière. Tant que ça marche, ça va. Imaginez une panne générale comme à New York, ça va être affreux ! Et si des petits malins parviennent à intercepter l’ordinateur du Pentagone ! Si d’autres nous balancent une bombe atomique pour voir ce que ça donne !
Pendant la guerre froide, les Russes ont tout misé sur l’armée. Ils ont construit des sous-marins nucléaires vite faits qui sont tous en train de pourrir et de fuir à Mourmansk… C’est un danger mondial ! Le Koursk, 140 morts ! C’est épouvantable !
Vous ne seriez pas un peu alarmiste ?

Non. Je suis lucide.

Dans Alarmes, etc…, il est aussi question d’amour ?

Oui. Ces deux couples vivent des histoires d’amour. C’est la même aventure, mais vue différemment. Sur scène, on est censé ne pas savoir ce qui se passe à côté. C’est très difficile à jouer. Il faut être sur le coup, à l’écoute de l’autre pour que l’effet prenne. On a répété plus de deux mois pour que tout roule. Il y a encore des petites erreurs. C’est comme un vol long-courrier, il y a toujours un petit incident. C’est très drôle. Depuis Molière, on peint les travers de l’homme en faisant rire. Michael Frayn aussi en a fait une comédie. J’adore le burlesque et j’aime beaucoup faire rire. Les six sketches de la pièce dépeignent des situations qui peuvent être alarmantes, mais c’est très bien de faire rire avec ce qui peut être grave. Il faut en rire, sinon…

Une pièce constituée de sketches, c’est très british…

Oui. Les Anglais sont plus habitués que nous. Les Français sont cartésiens, ils veulent comprendre où ils mettent les pieds : un début, un milieu, une fin. Au départ, les spectateurs étaient un peu décontenancés, mais ça y est.

Quel sont vos goûts en matière de cinéma ?

Je suis extrêmement classique. Je n’aime pas les films violents. Les tronches ravagées, le parler cru, les actrices à poil, ce n’est pas du tout mon truc. Je n’aime pas cette sublimation du quotidien, ni les films à effets spéciaux. Je me sens en dehors de ça. Ce monde de la déshumanisation me fait peur. Je n’aime pas les rames de métro sans chauffeur, les stations de gare sans chef. En musique, avec un fairlight, on remplace un orchestre, ça me fait peur. Mais la guitare sèche revient… En disant ça, j’ai l’air d’un vieux machin, mais j’aime le contact avec les gens, parler. Voyager pour rencontrer des êtres d’horizons différents, c’est formidable. Maintenant on voyage avec un écran, c’est bizarre.

Vous avez peu joué de classiques. Si on vous demande de choisir entre le Roi Lear et Trois hommes et un couffin, où va votre choix ?

Pour le « couffin », le tournage de la suite est prévu avec la même équipe. Un classique ? Si on me le propose, pourquoi pas ? Je pense avoir suffisamment de métier à présent, et les moyens physiques pour le faire. J’aimerais beaucoup jouer Tartuffe, Le Misanthrope. Je sais qu’on m’attendra au tournant. Les gens vont se dire : « Voyons ce qu’il fait. » Le côté exercice ne me plaît pas trop. Une création, c’est formidable, les gens ignorent de quoi il s’agit. Le sport a du succès parce qu’on ignore l’issue de la rencontre. Jouer Le Cid aujourd’hui, c’est épouvantable : « Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? », et trois cents spectateurs de répondre : « Qu’il mourût ! » (rires) J’ai sûrement tort…

On connaît votre passion pour le sport, le vélo. Si Roland Giraud n’avait pas été acteur ?

J’aurais aimé être médecin, mais j’étais nul pour les études. Enfant, je voulais être conducteur de rouleau compresseur. J’en rêvais ! Je trouve extraordinaire de construire des routes, des ponts.

Un de vos amis m’a dit de vous : « Roland est un homme adorable, d’une grande gentillesse. » Et vous, quelle qualité aimez-vous chez les autres ?

De très loin, la bonne volonté. Je sais, c’est une vertu démodée.

Propos recueillis par

Lire notre critique de Alarmes, etc…

Roland Giraud au théâtre :
Les Ritaliens, Ginette Lacaze, Le Crépuscule des lâches, L’Eventail, La Revanche de Louis XI, Fromage et dessert, Les Vignes du Seigneur, Le Père Noèl est une ordure, Elle voit des nains partout, Papy fait de la résistance, Vive les femmes, L’Auvent du pavillon, La Présidente, Sans rancune, Drame au concert, Oscar, Soleil pour deux.