Compte-rendu quotidien de Wilfried Paris sur place à Rennes pour la 24e édition des Rencontres Trans Musicales (5-6-7 décembre 2002).Dormi dans une banlieue pavillonnaire de Rennes, chez Eric, l’habitant super sympa. En prenant le bus qui me ramène à Rennes, je discute avec un vieux breton parti cueillir des champignons dans la forêt voisine. Moi, je suis parisien né en Picardie et je prends un bus à Thorigné en Bretagne. J’apprécie l’improbabilité de la situation. Je me retrouve un peu plus dans mon élément au Liberté, pour annuler des interviews et boire des cafés avec mes amis les chanteurs. Samuel Kirszenbaum est un photographe fantastique, il faut quand même le dire ici. Je relis mon compte-rendu de la veille sur un poste Wanadoo en en relevant toutes les erreurs et approximations avec consternation. Résumer en quelques paragraphes un événement aussi multiple et foisonnant que les Trans est une gageure dont je ne viendrais jamais à bout. Qui le pourrait ? Rappelons donc que le groupe réunionnais cité la veille s’appelait Salem Tradition, et réjouissons-nous d’avoir sauvé l’enregistrement de l’interview complète du Stooges Project, qui sera en ligne lundi, si Internet le veut. Puis, mangeons des crêpes dans une ambiance musicale bootlegg-fest-noz, et c’est déjà le soir.

On va encore rater beaucoup de chose, dont Homelife à la Cité, dont tout le monde revient béat. Mais on sera bien présents pour Ikara Colt, groupe anglais punk-rock carré qui assène ses petites bombes électriques comme dans un sprint. Le chanteur a la morgue de Brian Jones et la voix de Thurston Moore. Le super-groupe new-yorkais semble d’ailleurs être la grosse influence de ces jeunes gens, qui l’ont débarrassé de ses stridences dissonantes pour en garder l’essentiel : un flux tendu d’électricité, une jeune urgence. Entre les morceaux, tout le groupe redevient gentil et mignon, presque timide pour présenter ses brûlots. Le contraste est saisissant, comme si on les branchait et débranchait alternativement. Ce sens de la posture sera multiplié par cent pendant la prestation de The Faint, groupe electro-rock américain, composé de quatre corbeaux qui gesticulent épileptiquement sur des bassline 80’s plus rétro Depeche Mode que futuro Gigolo, et pour tout dire, très agaçantes. Le chanteur change de micro comme d’identité (je suis au téléphone à droite, je suis un robot à gauche) et tout le monde semble calquer ses mouvements sur les pages mode d’un Vogue 1981. Cela ne fait pas vagues, sinon celles du reflux des spectateurs vers le bar, où Mathieu Malon porte un tee-shirt Morr Music.

More music ? J’entends Jean-Vic Chapus, de l’excellent fanzine Planet of Sound, dire : « Là, il se passe quelque chose », pendant le premier titre de La Rumeur (lire notre chronique). Effectivement, la détermination et la force tranquille du collectif hip-hop force le respect. Deux Dj’s et quatre Mcs ont pris possession en douceur de la scène du Liberté et scotché plusieurs milliers de passants.
Avec leurs textes ouvertement politiques, tant sur l’espace public qu’à propos de la société du spectacle (« Skyrock, premier sur le rap, fils de putes »), leur flow tendu et sûr, leurs invectives et mises en perspectives sociales éclairées et éclairantes, La Rumeur a couru parmi les échines d’un public qui s’est soudainement réveillé. Le groupe a quitté la scène sur un « Inch Allah » gonflé et salvateur. L’année dernière on avait élu le set de Programme « concert du festival », cette année, cela risque bien d’être la Rumeur. On en reparlera, forcément…

Je rejoins les frères Laureau de l’excellent label Prohibited Record (je mets ma déontologie dans ma poche) pour marcher vers la salle de la Cité voir la chanteuse belge An Pierlé. Là, je croise le toujours magnifique Red, déjà fin saoul, mais je le préfère comme ça, qui me dit qu’il préfère Laetita Sherif (« An Pierlé chante comme une femme. Laetita Sherif chante comme un être humain. Ca faisait longtemps que j’attendais ça : une chanteuse qui parvienne à dépasser sa condition féminine »). Effectivement, An Pierlé la joue femme fatale, minaude et bouge ses cheveux avec un peu trop d’affectation à mon goût. Devant son Wurlitzer, elle rebondit en rythme sur une sorte de gros pouf en plastique blanc, tout droit échappé de la série Le Prisonnier. Et chante doucement ses chansons mélancoliques, touchantes d’abord, lassantes ensuite. On s’enfuit vers le Liberté, voir Radio 4 (lire notre entretien), les new-yorkais post-punk qui surjouent leur album, comme si le passage à la scène nécessitait de crier et de jouer deux fois plus fort toutes les parties. Plus Clash tu meurs, mais avec des inserts promotionnels : « On vient de New York » (comme si c’était un gage de qualité), « Notre album vient de sortir sur City Slang ». Des soi-disants punks, quoi. Ca semble fonctionner avec la majeure partie du public, mais on ne nous la fait pas, à nous. Les LCD Soundsystem, beaucoup plus hype pourtant, seront plus authentiques. Avec eux, le punk n’a jamais été aussi dansant. A cinq sur scène, ils nous offrent une version longue et survoltée du single de l’année, Losing my edge. Je m’approche de la scène pour danser, j’enlève ma veste et voilà, le concert est fini. Sympa les gars.

Je crois bien que je n’en peux plus des concerts. Je ne reste pas pendant Boom Bip, dont tout le monde dira le plus grand bien, même si aucun Mc ne participera finalement au set. Je vais plutôt essayer de trouver un endroit où dormir, en l’occurrence la chambre d’hôtel de The Faint, déjà repartis dans leur bus pour la prochaine date. On prend un petit déjeuner à 6h du matin, avant d’aller se coucher, avec La Rumeur (qui n’aiment pas TTC : « Ils n’ont pas de flow ») et LCD Soundsystem, bien sympa (spécial dédicace à Taylor). Pas trop de grabuge dans la chambre de The Faint : les serviettes ont été utilisées, mais les draps sont propres. Je fais de lucides et beaux songes.

Lire les comptes-rendus du 06.12 et du 08.12.02