Les 32e Trans Musicales de Rennes ont fait un carton, côté fréquentation (58 000 festivaliers), ce qui aura considérablement perturbé la feuille de route du petit reporter de « Chronic’art »… Compte-rendu.

A chaque édition ses surprises : en se dirigeant, en fin d’après-midi, vendredi (10/12/2010), comme tous les ans, sur le « Village » pour retirer accréditations et package « Trans », on trouve, en lieu et place des cahutes dédiées aux médias, une vaste fête foraine, sentant le sucre chaud, avec son lot de stands de tir à la carabine, de machines à se retourner l’estomac dans le ciel frisquet de Rennes. Le temps de trouver la bonne direction (le rez-de-chaussée du Liberté), de découvrir les lieux, de saluer les habitués et on se rencarde sur l’actualité : la soirée de la veille semble avoir été marquée par la prestation aussi énergique que minimaliste (duo guitare-batterie rock’n’roll) des canadiennes de The Pack A.D., les avis partagés sur The Funeral Party (que l’on soit sensible ou non à leur dance-rock frappé d’une emphase mélodramatique). On file illico à la Cité pour ne pas manquer les Dengue Fever, combo américain assez enchanteur et flanqué d’une cambodgienne au chant : las, sur place, on se fait refouler car les billets étaient à retirer au Village… qui est désormais fermé ! On reste un temps à écouter ce qui émane de la salle et ce que l’on avait un peu découvert d’eux semble tenir ses promesses sur scène, même coincés à l’entrée. Au delà de la frustration légitime a rater ce premier concert, cela veut dire qu’il n’y aura point de salut dans les autres salles du centre ville et qu’il faudra s’en tenir à la programmation du Parc Expo. On change de trottoir pour aller juste en face noyer notre chagrin au fameux Bitrot de la Cité, prétendument menacé de fermeture depuis des mois, mais toujours ouvert et bien roots. Le hasard fait qu’un concert de Dominique Sonic y est annoncé, plutôt cocasse dans le cadre d’un festival plutôt propice aux découvertes : Dominique Sonic, Dorian Gray du rock breton, donne un concert en forme de Best of, plutôt plaisant grâce à sa bonhomie, un son efficace et l’enthousiasme du public. On tente, sur le conseil d’un ami, un autre concert au Melody Maker, lieu rennais plus récent mais assez prisé par la faune rock, et assistons au set sympathique mais téléphoné d’un groupe dont le nom m’échappe encore (c’est dire) avant de saisir que, loser !, c’était le concert après celui-ci que l’on m’avait vanté !

Il est temps d’avaler un peu de junkfood pour affronter l’inénarrable navette menant au Parc Expo car le centre ville est, de toute façon, devenu impraticable. Le trajet vers l’aéroport ne manque pas à ses promesses : chants paillards et exaltation identitaire bretonne, que ce soit du lard ou du cochon, l’ambiance de bidasse fait paraître le chemin vers les halls encore plus long… Il est déjà tard et, après cet instant Magic Bus, on se laisse porter vers le concert de Janelle Monae, jolie diva soul, qui assure le show avec l’énergie de sa jeunesse (25 ans), sa voix et la maîtrise des grands gimmicks du genre (un peu de hip-hop ici, un peu de rythm’n’blues par là). Ca remet un peu sur patte, même si on ne se situe pas à proprement parler dans le défrichage et la surprise que l’on aime aux Trans mais bien dans le grand spectacle pour américains. Je vois la toute fin de Salem dont on me vante le set, ensuite, au coin VIP, où je traîne un peu trop tant et si bien qu’il est l’heure de se ruer – il n’y a pas d’autre mot – au concert de M.I.A. Là, je réalise que si la soirée affiche complet, c’est à son nom qu’on le doit : il y a déjà pléthore de festivaliers entassés dans le Hall 9 et, comme tant d’autres, je suis dehors à tenter de m’engouffrer dans une salle dont les portes sont maintenues fermées par une sécurité qui semble sur le point de se faire déborder… Ce qui finit par arriver : ça bourre et ça pousse quand une porte s’entre-ouvre et on se tasse à près de 9000 dans le Hall. Finalement, c’est raccord avec l’ambiance foot de la navette de tout à l’heure ! Je me fraie un chemin vers le devant de la scène où ça tabasse dur, côté décibels : parti-pris ou pas, si on y perd dans l’accès à la musique, physiquement, c’est une expérience de recevoir ça… M.I.A donne un show à la Madonna, façon bulldozer, avec danseurs, light-shows et désir de faire monter la sauce toujours plus haut. Même si on reconnaît les tubes, on n’entrave rien aux textes ni à ses propos tant le concert a été sonorisé par un mammouth. Elle emporte littéralement l’audience en ajoutant à sa maîtrise des ficelles du show à l’américaine, une dose de rock’n’roll attitude, se coltinant au public en visitant plusieurs fois la foule « à cru » et haranguant chacun, façon Iggy Stooge… Le temps de se reprendre un peu et je file, curieux, voir les Concrete Knives, jeune groupe de Flers, qui m’avait impressionné il y a quelques semaines dans un bar nantais avec sa pop vitaminée, bien que je me demande comment ils vivront l’épreuve d’une scène beaucoup moins intime qu’un café. Je ne sais pas s’ils ont passé un pacte avec les dieux pop mais ils font plus que de relever le défit et contaminent toute la salle avec leurs chansons en forme de tubes néo-eighties et l’aura scénique de leur chanteuse, Morgane Colas. Je traîne un peu ici ou là avant de me résoudre à prendre le chemin de cette navette qui promet d’être encore plus dingue que tout à l’heure… Mise au diapason ou pas, le retour me semble bien plus sympathiquement débile qu’à l’aller.

Le lendemain, en début d’après-midi, après avoir été dans l’incapacité d’entrer au 4bis, trop bondé, où jouaient The Lanskies, je tente un passage au village, pour éviter la bévue de la veille. C’est l’occasion de découvrir « L’Etage », la salle qui s’est ouverte au-dessus du Liberté et le groupe qui y passe, Lady Jane, déjà à son cinquième album. Si la salle est bizarrement agencée pour un lieu de concert (un interminable couloir, qui fait profiter d’un concert sur petite scène, si on est devant, et observer une marée de nuques, si on est au fond), les gens de Lady Jane envoient un rock psyché et sombre, pas loin des grands noms des maîtres américains (et on invoquera encore et toujours l’inoxydable Velvet et ses satellites tels que The Modern Lovers). Le temps d’interviewer les timides caennais de Manatee et je me retrouve bloqué au pied de l’escalier de l’Etage où joue Sudden Death Of Stars : victime de son succès, les 32e Trans en laisse plus d’un à la porte… Les ayant vus à l’occasion de La tournée des Trans, je sais que le combo rennais a pris une bien belle ampleur, depuis ses débuts, et que leur space-rock vintage charme tout amateur du genre et même un peu plus malgré un manque d’expansivité – n’allons pas jusqu’à demander de la chaleur humaine ! – sur scène. Aux dires des amis qui sortent de la salle un peu plus tard, ils ont fait un bon set. Bien décidé à découvrir les anglais qui ont fait monter le buzz à coup de mystère, ces derniers mois, Wu Lyf, à la Cité. Je rejoins le Village pour les billets : las, cette fois-ci, on apprend qu’il n’y a plus une place presse depuis le matin…

Ca sent le Parc Expo où, de toute façon, j’avais prévu d’être tôt pour découvrir Crocodiles, qu’on vante comme une sensation rock, puisque nos nouveaux amis « ont déjà la peau dure et aiment donner des coups de pied dans les clichés poussiéreux du rock » : leur show donne à voir de jeunes types qui font pourtant tout le contraire, se vautrant dans un catalogue assez exhaustif des tics et poses observés dans le panthéon rock’n’roll de ces cinquante dernières années. Il y a dans la musique héroïque et, surtout, la voix à la Ian Mc Culloch (Echo & The Bunnymen) du leader de Crocodiles, un potentiel qui est justement gâché par leur incapacité à faire autre chose que du cirque rock. Une connaissance bien inspirée me suggère de passer à la scène du Mouv’, entendre Trap, passé plus tôt dans l’impraticable 4bis : bonne pioche tant le duo franco-canadien envoie du bois, simplement armés d’une batterie et de machines. Si Merlin Ettore, le batteur, frappe comme une forge à plein régime, Zol, aux machines, envoie des sons issus des grands moments des free-parties des 90’s (Technotronic, façon concassée, par exemple) et le résultat rend simplement le public frénétiquement joyeux et pogoteur. Bonne humeur retrouvée, je file voir la living legend Roky Erickson, texan génial et inspiré, dont on ne peut savoir ce que la prestation va donner tant son état de santé est fluctuant, à la manière de l’autre génie texan frappadingue, Daniel Johsnton. Erickson arrive, mi-père Noel, mi-troll, flanqué d’un power trio juvénile assez judicieusement économe, c’est-à-dire d’un guitariste efficace sans être envahissant, d’un batteur qui alterne le doux et le dur quand il le faut et, surtout, du bassiste le plus visuellement hallucinant du festival, sorte d’homme-champignon hallucinogène qui fait presque tout le spectacle à lui seul. Roky Erickson semble timide et malaisé et c’est peut-être pour vaincre cela qu’il a fait le choix d’un set composé de tous ses titres de gloire, enchaînés les uns aux autres. On entendra donc toutes ces histoires de chiens à deux tête, de vampires, d’extra-terrestres sur fond de garage rock-blues psyché que ne vient perturber que quelques pains signés Roky Erickson, qu’on lui pardonnera bien volontiers. C’est quelque chose d’entendre enfin sa voix en live, même si celle-ci a perdu sa capacité à aller dans les aigus hystériques du passé…

J’en ai encore la tête bien pleine quand je file interviewer un de ses fils spirituels : Ripley Johnson, des Wooden Shjips ! M’étant laissé prendre par une discussion à bâtons rompus, je ne retrouve mes esprits qu’au moment du concert de Gonjasufi. A force d’avaler les pétards mouillés prétendument « groupes évènements », on finit par se méfier mais la tambouille hybride de Sumach Ecks (l’homme derrière Gonjasufi) se révèle des plus goûtues : il faut dire que ce grand gaillard en impose, absolument charismatique, s’essayant à tous les registres musicaux, du hip-hop à l’acid rock en passant par les chants tribaux, sans jamais perdre de sa cohérence. Comment fait-il pour proposer un son aussi complexe et inattendu tout en conservant une évidence biblique dans l’exécution, nul ne le sait… On en sort bluffés.

Peu à peu vient l’heure de Wooden Shjips et de la fatigue… Je m’inquiète un peu de ce que la musique du groupe, fortement sous influence Spacemen 3, finisse de nous envoyer dans les bras de Morphée. C’est pourtant tout le contraire qui se produit : Wooden Shjips donne un set rentre-dedans, où orgue et guitares rivalisent dans la distribution des baffes rock’n’rolliennes, et la dimension dance-rock du Wooden Shjips prend tant et si bien le pas que j’emboîte le pas aux voisins qui n’ont pu s’empêcher d’inviter un partenaire à faire tourner sur les accords psyché-catchy de ces gars de San Francisco !

C’est peut-être le paradoxe à retenir de cette 32e édition : certaines années, la programmation a été plus rock, d’autres plus electro. En 2010, si le menu s’annonçait assez mélangée et mixte, ce sont tout de même les grosses machines (M.I.A par dessus tout) qui ont enthousiasmé les festivaliers, au même titre que les courants rock (légendaires ou qui en découlent) déjà bien identifiés. Rançon du succès (58 000 festivaliers cette année) ? Du coup, on a sans doute raté la chance d’apprécier les affiches moins convenues des lieux hors Parc Expo. Il faudra se rappeler de cela, l’année prochaine…

Voir le site des Trans Musicales 2010