Dans la tête de Tim Delaughter, les Polyphonic Spree, qui sortent Together we’re heavy, sont un son avant d’être un groupe. 38 ans, bronzé avec des bouclettes blondes, en costard de velours marron sur chemise à rayures mauves, le « gourou » west-coast est charmant, bavard, souriant, disponible. On a presque envie de chanter avec lui.

Chronic’art : D’abord, et désolé, car cela doit être une « Frequently Asked Question » en interviews, mais comment as-tu créé le groupe, qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’un tel projet ?

Tim Delaughter : Ca a commencé par une envie, quand j’étais encore avec le groupe Tripping Daisy. Pendant ces dix années d’activité, je me disais souvent : « Oh, j’aimerais bien avoir une flûte à cet endroit de la chanson, à la place de la guitare… Ce serait bien d’avoir une harpe ici… J’entendrais bien douze personnes chanter cette chanson au lieu d’une seule… ». C’était un voeu pieux de créer un son unique là où le rock aurait incorporé ces éléments. C’est alors que mon ami Wes, qui jouait de la guitare dans Tripping Daisy, est décédé. J’ai décidé d’arrêter Tripping Daisy et de créer ce son que j’imaginais et qui s’appellerait « The Polyphonic Spree ». Je suis en train d’essayer de créer ce son. Je suis allé voir ma famille et des amis proches, je leur ai expliqué mon projet et leur ai proposé de nous rejoindre.

Le groupe est donc composé d’amis de parents ?

Au début oui, il y avait ma nièce, ma femme, les anciens membres de Tripping Daisy et des amis. Ma femme, qui en avait marre de m’entendre juste parler des Polyphonic Spree, a booké des concerts pour le groupe alors qu’il n’était encore qu’à l’état de projet. Il a fallu réunir les gens et écrire les premières chansons en deux semaines. Après ce premier show, plein de gens sont venus me voir pour me proposer leur aide. Untel pouvait jouer d’un instrument, untel voulait chanter, etc. Ca s’est construit comme ça, et les membres du groupe ont régulièrement changé. C’est devenu beaucoup plus important qu’au début. Il y a 25 personnes impliquées. Je souhaiterais que le groupe ne change plus, mais c’est très dur de rester dans un groupe comme ça : beaucoup de compromis, de temps à y consacrer, beaucoup de préjugés sur l’idée de ce que doit être un groupe de rock.

Les tournées ne doivent pas être très simples ? Vous trouvez facilement des engagements ?

Oui, nous tournons beaucoup. C’est comme un groupe de rock normal, sauf qu’au lieu d’être quatre, nous sommes 25. Ca prend beaucoup de temps et beaucoup d’argent. C’est ma femme qui manage le groupe, et on arrive à organiser tout ça.

Quelle relation entre les gens du groupe ? C’est une vraie communauté ?

Oui, ça ne pourrait pas être autre chose qu’une démocratie. C’est d’abord une démocratie, avec un leader. J’apporte les chansons à l’état d’ébauches et elles sont arrangées à partir d’improvisations. Tout le monde peut participer, apporter sa couleur, jusqu’à ce qu’on trouve le bon équilibre. C’est un environnement musical très ouvert.

Le public participe également aux concerts ? Il chante ? Quelle est la dimension spirituelle ou politique de cette participation ?

J’encourage le public à chanter. On distribue les paroles des chansons au public et il chante, ils participent à une sorte de célébration. On trouve ça bien et intéressant pour les gens dans le public le fait qu’ils aient un rôle actif dans le spectacle. Je ne me considère pas comme politisé, mais je crois bien comprendre le pouvoir que nous avons en tant qu’humains, quand nous nous réunissons et nous organisons, quand nous mettons nos différences de côté et essayons d' »harmoniser » nos actions. Beaucoup de gens oublient que s’il y a quelque chose, une seule chose en commun entre eux tous, ils peuvent se réunir.
Les gens sont malléables, flexibles, ils oublient ça. Les Polyphonic Spree sont un exemple de réunion harmonieuse. Si les gens nous voient et se disent : « ça marche avec ce groupe », ça peut marcher avec n’importe quoi d’autre, n’importe quelle idée qui produise assez d’énergie, de passion, pour qu’elle se concrétise. C’est possible. Ce serait bien, par exemple, que les gens de mon pays reconnaissent leur pouvoir de voter, leur pouvoir d’être ensemble dans le vote. Pour voter John Kerry. Et faire la différence (l’interview a eu lieu juste avant les élections américaines de novembre 2004, ndlr). Un seul vote, ajouté à tous les autres votes, fait la différence.

Que penses-tu de l’utilisation de la religion par les politiciens ? Les notions de « bien » et de « mal » que manipule Bush par exemple ? L’obscurantisme religieux ?

Je crois que Bush manipule la peur, plus que la religion ou la spiritualité… Il exploite les peurs des gens pour légitimer son action militaire en Irak. La peur a toujours été un moyen de faire de la politique aux Etats-Unis. C’est de la propagande, même pas aussi « romantique » que celle des Talibans ou des Irakiens, qui eux, au moins, font ça par conviction religieuse… Il y a une sorte de spiritualité dans leurs actions, quoiqu’en disent les gens. Mais Bush ne fait que créer de la peur. Il parle sans cesse de « Dieu », mais on entend que le mot « peur » : la peur du terrorisme, la peur des attentats. Et les Américains ont peur d’être bombardés, alors ils acceptent la guerre. Pas tous les Américains, bien sûr… Mais on est encore un jeune pays, on a besoin de grandir… Et je crois que beaucoup de gens en ont marre de Bush.

Tu essaies de faire un lien entre les gens. Quelle est la part de religiosité, de spiritualité, dans ton projet ?

Il n’y pas de religion spécifique que nous ayons adopté. Il y a quelque chose qui arrive quand on met ensemble un groupe de gens autour d’un projet commun. Nous sommes plus un « happening » qu’un groupe de rock, avec 25 personnalités différentes. Mais nous créons une harmonie, car nous sommes tous impliqués dans cette musique. Ca a créé un « esprit » dans le groupe, que je n’avais pas pu imaginer. Moi, je voulais créer un « son », sans penser à ce qu’allait entraîner la réunion de tous ces gens. C’est devenu magnifiquement puissant. Ca donne l’impression que les humains peuvent être ensemble s’ils trouvent une seule chose en commun. C’est impressionnant ce qu’il est possible de faire. En ce qui concerne les chansons, les lyrics, ils sont particulièrement positifs, c’est comme ça que j’écris. Les chansons de Tripping Daisy étaient déjà des chansons d’amour, en quête d’espoir. Il faut avoir de l’espoir pour faire quelque chose comme ça. Les robes colorées ont été choisies pour empêcher la distraction des « street-clothes ». Je n’aime pas l’idée que les gens puissent être identifiés et définis grâce à leurs vêtements. Si les gens voyaient les Polyphonic Spree en vêtement de rue, ils passeraient à côté de la musique. Ca a permis d’unifier le groupe par ailleurs. Ca donne une belle image du groupe, simple : on ne pense pas aux imperfections physiques des gens, il n’y a plus de S, L, XL, XXL…. Les gens, bien sûr, avec tous ces éléments réunis, nous voient comme un groupe chrétien, religieux en tout cas.
Mais ce que je peux dire de vrai là-dessus, c’est que je crois en l’espoir, je suis une personne profondément optimiste. C’est si difficile parfois de faire partie d’un groupe de 25 personnes que le simple fait de parvenir à chanter tous ensemble est déjà pour nous une grande réussite, une véritable source de joie… L’idée de départ était de créer un nouveau son, ne l’oublions pas.

Tu penses avoir réussi à créer ce son que tu avais en tête en imaginant le groupe ?

Pas tout à faite encore, mais je suis sur la bonne voie. Je veux faire une contribution à l’histoire de la musique, inventer un son, un genre de son, qui s’appellerait « The Polyphonic Spree », comme on dit « Rock’n’roll ».

La musique des Polyphonic Spree évoque la « teenage symphnony to god » de Brian Wilson ou le Langley School Music Project. Ce sont des inspirations pour toi ?

Oui, bien sûr. J’ai été influencé par la pop ensoleillé des early 70s. J’ai 38 ans, et quand j’étais gamin, j’écoutais 5th Dimension, The Association, les Beach Boys, Phil Spector, Burt Bacharach, Perrcy Faith, tous ces groupes qui utilisaient des arrangements pop. Puis la R&B de Marvin Gaye et le son de Philadelphie utilisaient ces orchestrations symphoniques, très populaires. Au même moment il y avait le rock. Dans la pop symphonique, on mettait en avant les cordes, les cuivres et les vocaux. Tandis que le rock mettait au premier plan la basse, la batterie, la guitare électrique. Mon premier album était un album de The First Class, avec leur morceau Beach baby. C’était un « one hit band », mais Beach baby était un coup de génie : la fantaisie du morceau, les harmonies, les cuivres, les cordes, tout cela était merveilleux pour un enfant comme moi. C’était comme la musique pour un livre d’enfant, comme ces livres accompagnés de disques qu’on écoute en tournant les pages. Très joyeux, très suggestifs, créé pour que l’on se serve de son imagination… C’est ça la pop music, et c’est ce qui m’a marqué. Puis j’ai commencé un groupe de rock, à l’âge de 9 ans. J’ai appris par coeur toutes les chansons de Yes à 12 ans. De Pink Floyd. Entre l’école élémentaire et l’université, jusqu’à devenir un adulte, j’ai joué du rock, du heavy metal, du punk-rock, du punk… Avec Tripping Daisy, j’ai voulu être expérimental, j’ai commencé à vouloir ajouter au rock que je jouais ces éléments musicaux qui avaient marqué mon enfance. Avec les Polyphonic Spree, je veux créer ce son unique, qui mélangera les éléments du rock et ceux de la pop en un tout unifié. Pas comme deux choses juxtaposées, ou rapportées de l’extérieur. Mais comme une entité hybride, puissante et harmonique. C’est mon but dans la vie.

C’est une construction ? Un « work in progress » ? De l’Art ?

Oui, c’est tellement peu orthodoxe, que je pense qu’on peut considérer ça comme de l’Art. C’est un processus d’élimination et de perfectionnement. Notre premier album, Beginning stages, avaient des particularités que nous avons supprimé pour Together we’re heavy, dans le but de nous rapprocher de l’idéal sonore que j’ai en tête. On s’en rapproche. Peut-être le prochain album… C’est pourquoi les deux albums sont divisés en « sections », pour montrer une progression, parce que je veux que notre discographie soit également un document visible, le compte-rendu ouvert d’une recherche musicale…

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Together we’re heavy