En 20 ans d’une carrière discrète, les Nits ont récolté l’étiquette de Beatles hollandais, composé quelque 17 albums, accumulé une solide base de fans et créent la surprise aujourd’hui, avec Wool. Un album jazzy, loin de la pop de charme des précédents.


Chronic’art : Quelle est l’histoire de Wool ? Les textures, les ambiances, l’instrumentation ont changé par rapport aux albums précédents des Nits.

Henk Hofstede : Il s’agit avant tout de coïncidences. Un ami composait pour le théâtre et une fois son travail achevé, on lui a fait cadeau de l’énorme marimba qu’il avait utilisé. Il n’avait pas la place pour le ranger : du coup, il l’a apporté dans notre studio. Ensuite, quelqu’un d’autre a amené un orgue Hammond qui prenait trop de place chez lui… Donc, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de claviers. J’avais commencé à composer de nouveaux morceaux à la fin de la tournée, principalement au piano. Je me concentrais plus sur les aspects jazz de la musique, ce que je n’avais jamais fait. J’aime le jazz, j’en écoute de plus en plus, de Miles Davis à Chet Baker. Ensuite, j’ai essayé de chanter là-dessus et c’était bien plus difficile que d’habitude. Nos deux nouvelles musiciennes, qui tiennent la basse et le piano, viennent du monde du jazz. Elles nous ont apporté de nouvelles sonorités. L’atmosphère changeait… Et puis, un jour, un gamin d’une vingtaine d’année arrive au studio son violon dans sa petite mallette. Il avait rendez-vous avec notre bassiste. Nous étions en train de jouer et je lui ai demandé de nous montrer ce qu’il faisait avec son violon. Résultat : magnifique ! Il m’a alors avoué qu’il était arrangeur, travaillait avec un quatuor à cordes qu’il a ramené la semaine suivante. Tout s’est déroulé de cette façon.

L’album a été masterisé à Abbey Road…

Ca nous a seulement pris une journée (soupir). Naturellement, j’ai posé pour une photo sur le fameux passage clouté. Je l’avais déjà fait en tant que touriste, mais cette fois nous avons pu entrer à Abbey Road. On a travaillé sur une vieille et très belle machine dans laquelle passent les bandes ; elle avait servi aux Beatles… Le son est génial, bien sûr. Et puis j’ai pu aller visiter le studio n°2, l’endroit où tout s’est passé. J’ai vécu une sorte d’épiphanie : les Beatles ont toujours fait partie de ma vie, musicalement, émotionnellement. Je redevenais le fan de base que je suis au fond.

L’album est imprégné d’une certaine mélancolie. Un reflet de votre état d’esprit au moment de la composition ?

Je dirai plutôt que cette humeur est vraiment liée à la musique et que j’éprouve une passion à écrire des chansons tristes. A chaque fois que j’écrivais, les sujets qui me venaient étaient la mort, le temps qui passe, la perte. De toute façon, je ne vois pas comment combiner une histoire heureuse avec les accords utilisés ici. Ensuite, il y a eu des événements qui ont influencé la création du disque. La chanson Ivory boy, par exemple, parle d’un de nos fans, un jeune homme mort d’un cancer. Son dernier vœu était de faire un album avec nous et il l’a réalisé : il a écrit des morceaux que nous avons utilisés, mais il est décédé en cours de route. Il fallait que je parle de lui, son esprit planait là, sur notre studio, où il avait passé beaucoup de temps. Sa mort, survenue au début de l’enregistrement, a jeté une ombre sur l’ensemble de notre travail.

Après avoir emprunté le titre de roman In the Dutch mountains sur un album précédent, vous prenez cette fois Crime and punishment

En réalité, la chanson parle d’un peintre que je connaissais depuis que nous avions étudié aux beaux-arts ensemble. Il était devenu célèbre à Amsterdam et il jubilait de ce succès. Un jour, on a placé une bombe dans sa voiture et il a perdu ses deux jambes. C’est le genre de tragédie incongrue à Amsterdam, dans le quartier si calme du Jordan. La police pense qu’il s’agit d’une erreur, qu’on s’est trompé de voiture, l’affaire n’est pas résolue. Lui se bat pour recoller les morceaux de sa vie. Il court des rumeurs disant que ce sont d’autres artistes qui auraient commis ce crime car ils jalousaient sa réussite. Quand j’écrivais la chanson, le titre Crime and punishment m’est venu à l’esprit : il y avait tant de gens qui parlaient de cet accident comme d’une punition, comme s’il profitait trop de la vie finalement. Déjà, lorsque nous étions en cours, il me disait que son seul souhait était de devenir un peintre célèbre.

La plupart de vos chansons racontent la vie de vos amis. Comment vos « sujets » réagissent-ils ?

Si je les nomme vraiment, je les informe avant que la chanson intègre l’album. Par exemple, lorsque j’ai parlé d’Eric et de Seppo…

Seppo, qui a écrit le communiqué de presse accompagnant l’album.

Oui. Il a été parmi les premiers à écouter l’album et je lui ai suggéré d’écrire ce texte. Je préviens toujours les gens dont je parle, au cas où ils n’aimeraient pas ça ou que je dépasse les limites. Heureusement, la plupart sont contents. Seppo adore « ses » chansons.

Vous êtes là depuis 20 ans, vous avez des fans fidèles et toujours de bonnes critiques. Ca ne vous ennuie pas de n’avoir jamais dépassé le statut de groupe culte ?

Je suis d’accord avec le terme culte. Ce serait bien parfois, et j’y pense encore, d’aller aux USA. Pourquoi ne pas essayer une fois ? Jouer à New York, Los Angeles. Nous sommes déjà allés au Canada où nous avons reçu un bon accueil. En septembre, nous irons au Japon pour la deuxième fois. Donc, ce n’est pas si mal, ça aurait pu être meilleur, bien sûr. Mais, je crois aussi que c’est de notre faute : nous travaillons sur nos albums et notre carrière sans trop nous donner la peine de chercher la célébrité. Il y a des groupes qui y mettent toute leur énergie, quoi qu’ils aient à offrir. Nous, nous avançons lentement, comme des tortues. C’est plutôt bien, car elles vivent longtemps ! Le principal est de se donner la peine de produire quelque chose de rare, de précieux, qu’on ne trouve pas n’importe où. Quoiqu’il en soit, pas sûr que la popularité nous convienne !

Votre rapport à l’Internet ?

Je commence seulement à m’y intéresser, je ne suis pas en avance. J’ai des excuses pour avoir perdu le contact avec le monde moderne : en très peu de temps, j’ai eu trois petites filles. Et ça m’a pris beaucoup d’énergie. Le temps « libre », je l’ai consacré à la musique. Récemment, ma femme et moi avons planifié un rééquipement informatique complet. Je n’étais pas impliqué sur la création de site du groupe, que nous avons monté nous-mêmes, mais, étant designer de formation, je vais m’y mettre. J’ai du temps perdu à rattraper.

Propos recueillis par

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