Depuis quelques années, le bon vieux festival South By Southwest est devenu le rendez-vous incontournable de l’indie business où se font et défont les carrières et les tendances. Notre envoyé spéciale Pauline Briand a pris la température de l’édition 2011, qui s’est tenue du 14 au 20 mars…

Austin, 780 000 habitants, capitale du Texas, îlot libéral de cet état ultraconservateur fief de la famille Bush. La devise de la ville est « keep it weird » : « Restez bizarre ». Au mois de mars depuis 25 ans, la ville est prise de frénésie pendant plusieurs semaines lors du festival South by Southwest (SXSW) qui se divise en trois parties : cinéma, interactif et musique. C’est de cette dernière sélection dont je vais vous parler. SXSW est un événement populaire, mais aussi et surtout une des grands-messes de la musique indé. Là pendant 6 jours, des centaines de groupes joueront le plus de fois possible afin de se faire repérer, d’asseoir leur réputation ou de lancer le buzz. Le festival officiel se déroule dans plus d’une quarantaine de salles du centre d’Austin de 8h le soir à 2h du matin, à raison d’au moins un groupe par heure. La sélection est hyper éclectique : de la country à l’expérimental en passant par le rock FM des familles. Au coté de cette sélection officielle, il existe un festival off encore plus foisonnant. Des concerts sont organisés dans toutes les salles, bars, jardins et restaurants qui se trouvent autour de la 6th av. et sur South Congress. Au cours de la semaine, certains groupes se retrouveront à jouer sur le sol gras d’une taqueria devant cinq personnes en train de manger des tacos. Cette semaine Austin est en état de siège musical.

Lundi 14 mars : Arrivée

Arrivée à Austin, il fait un peu moins beau que prévu. Je regarde le programme officiel jour par jour, la tête me tourne déjà. Une amie d’Ana, qui partage mon logement cette semaine, lui a envoyé une fiche Excel qui relate les événements intéressants du festival off où sont méticuleusement reportés plus d’une centaine d’événements par jour de festival avec les formalités pour rentrer, les groupes qui s’y produiront, si liqueurs et nourriture seront fournies. Je renomme immédiatement le document the evil spreadsheet, le tableau diabolique.

Mardi 15 mars : Premier jour

La chanteuse des Luyas offre un large sourire à l’audience encore clairsemée de ce premier jour de festival. Nous sommes au Emo’s, une des salles les plus réputées de la sélection officielle. Ana et François discutent de l’éthique des groupes hardcore. Nous profitons du soleil de l’après-midi dans le patio de la salle dont les murs sont tapissés de vieux posters bariolés des MC5. Note importante pour plus tard, la plupart des salles d’Austin ont une scène intérieure et un patio, ce dernier ressemblant en général plus à un grand auvent avec un bar qu’à une cour à ciel ouvert. Plus tôt dans la journée, nous nous sommes baignés aux sources de Barton Springs. Un refuge pour les groupes et les festivaliers, qui souhaitent oublier un temps les tumultes de la ville et se débarrasser de la poussière du festival. Dans ce lieu idyllique, vous pouvez croiser votre idole en maillot de bain, au milieu de familles latinos qui n’ont que faire du festival en cours. Mais revenons aux Luyas, qui terminent avec la très belle chanson Too beautiful to work. Le groupe, comme François le fait remarquer, revisite la musique répétitive contemporaine avec impertinence pour produire de petits joyaux pops. La chanteuse salue, le set aura duré à peine trente minutes, dans dix minutes un autre groupe jouera, à Austin il n’y a pas de balance et l’on ne chôme pas. Un petit tour de reconnaissance sur 6th av. et quand nous revenons Emo’s se vide, la sélection officielle va commencer. Nous passons de l’autre coté de l’autoroute qui coupe 6th av. en deux (c’est la frontière géographique qui sépare les salles qui font partie de la sélection officielle des autres). Nous nous retrouvons au Cheer up Charlie où trois groupes mêlent déjà leurs instruments en un maelström plutôt dissonant. Des jeunes femmes assises à une table de camping ont volé la peinture des enfants qui courent de ci delà et se peignent des fleurs et des papillons sur les joues. Headless Horseman, un duo new-yorkais s’embourbe dans une imitation d’Animal Collective accompagnée par une voix masculine particulièrement haut-perchée qui vous fait dresser les poils sur les bras. Ca fait beaucoup de défauts pour un seul groupe, croyez- moi. Au milieu des familles, il y a un groupe de cyclistes hipsters, une population encore jamais observée, qui pousse à son extrême l’esthétique Tour de France, minishorts moulant, maillot à flamme sponsorisé et casquette à visière courte. Un mexicain louvoie au milieu de la foule avec une glacière. Il propose des enchiladas cuites dans des feuilles de maïs. Un garçon se penche sur l’épaule d’Ana et sous couvert de flirt essaye de lui vendre de l’herbe. 20h approche et nous décidons d’abandonner la sélection officielle pour nous rendre à l’Enchanted Forest où doit se tourner une vidéo d’Herman Dune. Après vingt minutes de route, nous pénétrons sur un large terrain en parti boisé. L’équipe bénévole du clip prend le temps de nous accueillir. On nous présente Blue Yeti la marionnette star de l’histoire dessinée par David des Herman Dune. Elle a été fabriquée spécialement pour l’occasion. Nous passons un drap peint fendu tiré entre deux arbres et nous quittons la zone habitée pour entrer dans la forêt. L’air est un peu frais, le sous-bois est éclairé de guirlandes. Les arbres à l’écorce claire sont fins et élancés, il y a aussi des sculptures d’animaux en métal. L’espace est modulé par d’autres draps tendus entre les arbres. Nous finissons par croiser David et Neman, les deux membres du groupe. Ils nous apprennent que nous venons de rater John Hamm de la série Mad men, qui partage la vedette avec Blue Yeti. Mais tout n’est pas perdu : le grand brun reviendra plus tard dans la soirée pour le tournage d’une scène de concert dans la forêt. 3 heures auront passée quand nous quitterons finalement la forêt enchantée au son de Not on top en jetant un dernier regard au beau John Hamm.

Mercredi 16 mars : John Maus, ouais

Je suis aux pieds de John Maus, les larmes aux yeux, pétrifiée. Le chanteur, qui cinq minutes auparavant nous souriait en installant son matériel, est méconnaissable. La fille qui se moquait de ses grosses tennis de course est abasourdie. John Maus a le visage tordu par la colère, la douleur, la haine peut être aussi. La musique est basique, le chant ressemble à une revendication. Au premier rang, le fil de son micro menace à tout moment de me fouetter le visage. Il est 5h de l’après-midi et nous sommes au Studio 501 pour le showcase d’Upset the Rythm, le label qui sortira bientôt son nouvel album. Je reçois des gouttes de sa sueur sur la figure. À la sortie, François lui reproche d’en faire trop. Le festival bas enfin son plein. 6th av. et les rues adjacentes sont fermées à la circulation. Un flot continu de festivaliers l’arpente. Des groupes japonais distribuent leurs CDs, concurrencés par des bimbos américaines en minishorts et décolletés plongeants qui offrent des poires encore gelées pour un site internet quelconque. Après un breakfast burito à la Coccina de Consuelo, nous tombons au coin d’une rue sur une concert de métal. Black Castle, un duo guitare, batterie, joue. La guitariste, une jeune femme sévèrement tatouée, chante d’une voix gutturale. Je ne pense rien de cette musique, j’éprouve juste une pointe de curiosité pour la mise en scène. Petit cafouillage dans notre organisation, un œil jeté aux Vaccines chez Emo’s la foule est dense la musique semble efficace. Puis passage à la fête canadienne où je souhaitais voir PS I love you, que j’ai découvert par le biais de l’excellent blog Said the Gramophone. Après le concert de John Maus évoqué plus haut, retour sur 6th av. pour le showcase de M For Montréal… Je fais connaissance de Gourmet Délice (c’est son vrai nom) qui s’occupe de groupes canadiens comme Malajube, Radio Radio… mais avec Ana, nous boudons la poutine et nous repartons de l’autre coté de l’autoroute en quête de nourriture. En passant devant Cheer Up Charlie, nous sommes happés par A Place to Burry Strangers, qui joue sous les arbres de la cour poussiéreuse. Au bout de deux chansons, le chanteur construit un totem d’amplis à l’avant de la scène. Nous sommes en guerre et A Place To Burry Strangers contrôle ses positions. Grand sourire. Puis direction le Red 7, pour rejoindre des amis de François. Nous devons faire la queue malgré nos badges. Quand nous rentrons le sol est déjà poisseux de bière. Suuns est à l’oeuvre. Ca à l’air bien mais la musique est si forte, que je souffre même avec mes bouchons d’oreilles. Je bats en retraite dans le patio. Suivent les Luyas, la chanteuse est toujours aussi radieuse et c’est un plaisir de les voir jouer devant une salle pleine. Viens le moment de Gayngs, qui donne un concert surprise dans le patio. C’est Brian, le manager de Fool’s gold, qui connaît très bien Justin Vernon de Bon Iver, pour l’avoir programmé dans un cimetière au point du jour, qui nous a donné l’info. Ce soir, le groupe n’est pas au complet. Dans ce contexte leur musique funk, soul, surpercheesy a du mal à prendre toute son ampleur. A la fin du concert, Brian nous présente à Justin Vernon. Un peu déçu de ce concert en sous-effectif, il nous invite à venir voir le groupe au complet le lendemain. Nous nous mettons alors en quête de nourriture saine et nous rejoignons le East Side King et ses frites aux betteraves louées par plusieurs de mes sources. Le food truck est installé dans l’arrière-cour d’un bar. Quand nous arrivons, un concert de pop anonyme se déroule. Plus de betterave, j’opte pour le poulet thaï. Nous nous installons sur des fauteuils défoncés et une journaliste norvégienne nous demande notre point de vue sur la food truck culture. Puis nous allons au showcase de Primavera voir The Soft Moon. Un groupe de musiciens âgés joue, il y a le bassiste de REM dedans. C’est mou. Quand The Soft Moon joue enfin, je suis assise comme une petite vieille au fond de la salle grelottant à cause de l’air conditionné et de l’épuisement. Mais leur musique inspirée par la new wave est belle, sombre, puissante me fait tenir le coup.

Jeudi 17 mars : Saint Patrick

Aujourd’hui, c’est la Saint Patrick et les frat boys et autres lutins sont de sortie. Vu quelques groupes pas terribles : Oh land ! (qui a pourtant écrit une chanson avec laquelle j’aime arpenter les rues ces derniers temps), The Fresh And Onlys ou the Dodos, qui s’en sortent un peu mieux. Suit Mount Kimbie au East side drive in. Les gens dansent dans la chaleur enveloppante du chapiteau. La musique du duo fait preuve d’une étrangeté douce tout en étant accessible, un beau succès d’équilibre. Puis pause avec François dans un bar d’hôtel. Mais c’est la Saint Patrick et le bar est loin d’être un havre de tranquillité. Nous prenons nos jambes à notre cou, quand un groupe de musique traditionnelle irlandaise en costumes d’apparats se met à jouer. Direction 24 Diner pour engloutir de gigantesques mais non moins délicieux hamburgers, et arrêt rapide la porte d’à-côté chez Antone’s Records. On se casse le nez à la porte du Central Presbytarian Church où joue Julianna Barwick. Nous ne tentons même pas d’aller au Emo’s ou John Maus, les Kills et Austra jouent ce soir. Décision stratégique, nous passons nous faire tamponner au Mohawk, sur Red River street, pour voir Gayngs au grand complet. Ce soir, les rues sont bondées et beaucoup moins hispter centrées que durant la journée. De la musique s’échappe de tous les immeubles de la danse au hard rock. Plus tôt je me suis vu refuser l’entrée du Cheer Up Charlie, où Moby jouait. La queue à l’entrée faisait plusieurs centaines de mètre. Je suis un peu indignée d’avoir été exclue de mon lieu préféré. La soirée du Mohawk, organisée par Gayngs, présente des groupes qui lui sont affiliés. Justin Vernon et Har Mar Superstar se mêlent à la foule et aux odeurs de grillades. Nous faisons une escapade pour attraper le concert de Danava qui passe à 10h au Valhalla, plus orienté groupies metal, population cuir, tatouée et piercée aux cheveux teints en noir. C’est un peu cliché, mais il y fait sombre, ça sens la bière et la sueur. Le groupe s’installe et commence à jouer une musique qui ressemble à du bon vieux Black Sabbath des premières heures. Je crois que François me dit que c’est du « heavy pysche » poussé à l’extrême. Après quelques morceaux, je m’ennuie ferme. Je retourne au Mohawk juste pour entendre la dernière chanson d’un projet electro complètement barré appelé Marijuana Deathsquads. Je regrette d’avoir loupé leur set. A 1h du matin, Gayngs entre enfin en scène, douze musiciens en tout. Justin Vernon occupe le centre de la scène, un peu en retrait derrière les 4 chanteurs qui officient en même temps. Har Mar Superstar chante habillé d’une cape blanche. Il est petit, chauve et gras, mais sa voix suave fait fondre nos petits cœurs de midinettes. L’amour est partout ce soir sur scène, dans la musique et dans le public. Arrive le rappel avec le tube kitsch The last prom on earth, les musiciens ôtent leurs chemises et leurs lunettes de soleil, la chanson se déploie dans toute sa belle lenteur, dans le public les couples s’enlacent, les bras suivent la musique par vague et les corps ondulent sans retenue. Prom night.
Vendredi 18 mars : Computer Magic

Nous sommes crevés, la journée sera calme. Ana et moi réussissons à nous introduire à une fête au Club de Ville, avec Ty Segall, Kurt Vile et Deerhunter. Grâce aux sponsors, je deviens l’heureuse propriétaire d’un porte-clés ouvre bouteille en forme de santiag. Il fait très, très chaud. Ty Segall fait un très bon concert, est il est peine 13h. J’aime la dynamique de ce groupe, deux garçons, deux filles, leur concert est énergique et ramassé. Small Black suit, mais je les oublie illico, même si j’ai vaguement reconnu leur tube déjà entendu en MP3 et probablement proposé par de multiples blogs musicaux. Ana veut absolument voir Kurt Vile, je l’abandonne pour aller à la fête de Black Iris, un collectif de producteurs californiens, dont le label White Iris est connu pour avoir sorti les premiers singles de Best Coast. Lewis, l’un des fondateurs du label et guitariste de Fool’s Gold m’accueille et m’exhorte à profiter des margaritas de l’open bar. Décidément, SXSW représente de gros enjeux pour les petits labels du moment. Dans la foule, il y a un chasseur de têtes du NME, en quête de nouveaux talents à présenter. Je prends François en embuscade avec le pistolet à eau qui m’a été distribué sur 6th av. C’est le tour de Computer Magic. Ils ont à peine 17 ans, leur musique manque un peu de consistance à mon goût, mais ils sont très professionnels. Comme la plupart des groupes qui jouent ici. Après Big Search et Dale Earnhardt Jr., on retourne au Club de ville, pour la fin du concert de Deerhunter, qu’Ana qualifiera de mémorable. Au moment de quitter la scène Bradford Cox fait un appel aux dons pour le Japon. Nous attendons Ana à la sortie. Un policier nous annonce qu’il est interdit de s’asseoir sur les bacs à fleurs disposés sur le trottoir, c’est une propriété privée. Nous nous amusons de sa demande, mortifiés, il réitère son interdiction. J’imagine qu’à Austin, c’est comme ça qu’on punit les officiers indisciplinés. Petit saut au East Side King où je goutte enfin les betteraves frites, puis direction le showcase de l’excellente radio WFMU, qui débute par un très beau set de Sun Araw. Je tombe amoureuse du groupe. Je jette un coup d’oeil au patio où les Château Marmont sont supposés jouer un peu plus tard, un peu pour provoquer l’étrangeté de cette rencontre, mais pas de Marmont en vue. Voilà le Français El-G, vu maintes fois aux Instants Chavirés et aux soirées Non-Jazz. Le set est beau, El-G psalmodie sur des boucles, mais j’avoue préférer quand il met son talent au service d’Opéra Mort. Justement, EL-G m’annonce qu’il doit retrouver Jo pour une tournée nord américaine du groupe. Je laisse Ana en grande discussion avec Kurt Vile (battements de cils accélérés), pour retrouver François au showcase de Yellow Ostricht. Abattue par la longue marche à pieds, je déclare forfait après seulement une chanson.

Samedi 19 mars : les enfants terribles

Il est 5h, nous sommes une cinquantaine dans une librairie cave gauchiste d’Austin, avec ses présentoirs d’autocollants conspirationnistes anti-télé, anti-fluor, etc. On peut aussi acheter du savon bio et des livres sur la symbolique des dollars. Le showcase est organisé par Prince Rama, qui jouera plus tard. Je retombe amoureuse de Sun Araw. Puis Janka Nabay chante et nous dansons. Sierra léonais réfugié à Brooklyn, son backing band est composé de membres de Gang Gang Dance. Le roi de la bubu musique danse avec nous. A cette heure, il est probablement le mec le plus cool d’Austin. Un peu plus tôt, c’était parenthèse shopping. Nous avons croisé We Are ENFANT TERRIBLE dans une friperie. 50 mètres plus loin, les Herman Dune traînaient chez Urban Outfitters. Le magasin organise des petits concerts dans son arrière-cour. Vision déprimante, Josh T Pearson joue dans ce cadre devant 16 personnes. A la fin, il annonçe son passage à 16h chez Gap et à 18h au American Apparel. Après Janka Nabay, nous nous arrachons à notre cave pour rejoindre le terrain poussiéreux de l’East side drive in. La bande Odd Future doit jouer dans le cadre de la fête Mess with Texas. En arrivant, nous tergiversons un peu, sur le trottoir d’en face au Cheer up Charlie où jouent Austra et The Pains of Being Pure at Heart notamment. Après avoir croisé de nouveau les We Are ENFANT TERRIBLE, nous retournons au East Side Drive in où !!! termine son set. Nous écoutons The Oh Sees tout en faisant la queue au bar, malheureusement le son ne semble pas être à la hauteur. Le groupe suivant provoque l’hystérie, les spectateurs se battent pour monter sur scène et danser les fesses en l’air. C’est Big Freedia qui fait du bounce. La musique est très basique et bastonne des beats de paroles hyper sexuelles (son tube s’appelle Azz everywhere). Rien de très folichon pourtant : de la musique noire récupérée par un public blanc. Plus tard, Etienne de Villette Sonique m’expliquera que Big Freedia est issue de la scène de la Nouvelle-Orléans et qu’elle change la donne parce qu’elle est transsexuelle, sa musique s’inscrit en faux avec le machisme ambiant du milieu. A la Nouvelle-Orléans, son public est majoritairement noir et féminin. A la fin du set, un gentil organisateur annonce, à la foule qui avait déjà commencé à appeler « Wolf Gang » et à pousser le cri de ralliement du collectif « Swag ! », que le concert aura lieu sur l’autre scène, en plein air, dans dix minutes. Tout se met à tourner, des barrières sont arrachées, c’est l’émeute. La scène traduit assez bien les attentes suscitées par ce collectif de rappers d’à peine 19 ans devenues stars internationales en un instant. Leurs 4×4 limousines attendent à la sortie du Drive In pour les emmener à tombeau ouvert à la fête du magazine Vice. Malheureusement, une fois de plus la sonorisation fait défaut, un grand spécialiste m’apprend que le matériel n’est probablement pas adapté pour le hip hop. Tyler the Creator passe les cinq premières minutes du concert à exiger que l’on pousse le son au maximum. Les garçons ne se ménagent pas, montent sur les enceintes hautes de plusieurs mètres et sautent dans la foule. Pourtant j’ai l’impression de les avoir déjà ratés. On retraverse l’autoroute, direction Emo’s Junior. Jonquil joue. C’est mortellement ennuyeux. Je décide de faire un saut à la Central Presbytarian Church pour voir the Rural Alberta Advantage (essayez de prononcer ce nom à haute voix ça fera bien marrer vos amis), qui déploie ses très belles harmonies dans cet endroit à l’acoustique magnifique, une petite déception tout de même la voix du chanteur est moins chaude, plus pincée que sur disque. Diretion le Emo’s, où je dois faire appel à des ruses de sioux pour voir les Givers, qui bénéficient d’un des plus gros bouches à oreille du festival de cette année. J’entre par la main stage où se produit un groupe de metal atroce puis je fais semblant d’aller aux toilettes. Puis, je sors mon plus beau sourire à l’armoire à glace qui garde l’entrée du Emo’s Junior. Les Givers sont beaux, jeunes, enthousiastes, excellents musiciens. Leur musique à la fois complexe et sans aspérité sort tout droit de l’édition 2010 / 2011 du Manuel du parfait petit groupe rock indé. Mais les gens se trémoussent et applaudissent. Nous tentons ensuite la soirée organisée par le Cake Shop, salle emblématique du Lower East Side, mais nous ne connaissons aucun des groupes et il est déjà tard. Quand nous arrivons à l’immense Black and Tan, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander ce que deviennent ces lieux une fois le festival terminé. Les Yellowbirds jouent de très belles chansons de pop délicate. A la fin du concert, le chanteur invite le public à aller acheter leur disque auprès de sa maman. Je m’exécute. Suivent les Ice Black Birds, François, qui est fatigué, les détestent d’entrée de jeu parce qu’ils ont des bandeaux dans les cheveux. J’aime bien la première chanson pleine de cassures rythmiques. Puis le chanteur se met à brailler dans les aigus et ça devient insupportable. J’ai envie de tuer des petits chats. Nous battons en retraite. En rejoignant la voiture, nous voyons une ambulance devant le Stubb’s. Des spectateurs ont été blessés durant le concert de OMD, du matériel leur est tombé dessus.

Dimanche 20 mars : Grandchildren

Aleks, le chanteur de Grandchildren, est pâle, sa voix est enrouée. Le groupe vient d’achever son neuvième concert en l’espace de cinq jours. Venir à SXSW est un investissement, les groupes jouent autant que possible dans l’espoir de toucher le plus grand nombre, de préférence des professionnels qui deviendront leurs managers, producteurs, directeurs de label, tourneurs. Lorsque je l’accompagne jusqu’à son van pour lui acheter un disque, Aleks me parle de la genèse de son album, composé seul avec trois fois rien. Aujourd’hui ils étaient sept sur scène dont deux batteurs et trois guitares. Le son un peu étriqué de l’album, qui rappelle Animal Collective, prend une toute autre dimension en concert, un coup de coeur. C’est le dernier jour de SXSW, Austin retourne déjà à son calme habituel. Un dernier showcase est organisé au Beer Land par Panache une agence de booking, on y retrouve les quelques groupes qui n’ont pas déjà pris la route. Le matin nous avons pu déjeuner au Jo’s sans avoir à nous battre pour une table. Une chanteuse d’une cinquantaine d’années aux grands yeux bleus et aux longs cheveux blancs attachés avec un nœud, explique à son ami que depuis peu elle prend de la coke avant de monter sur scène et que cela lui réussit plutôt bien. Au Beer Land, les groupes alternent entre la scène et la salle pour plus de rapidité entre les sets. Heavy Cream joue du punk vite et bien au milieu du public clairsemé. Je sors m’asseoir quelques instant sur le canapé rafistolé au gafer rouge baiser du patio du Beer Land. Nous commençons à discuter avec Guillaume, un français installé au Canada depuis 7 ans qui accompagne Bonjay à SXSW. Le duo canadien bénéficie d’un début de notoriété en Amérique du Nord. Il nous parle du système de subvention canadien qui permet de faire grandir les projets musicaux jusqu’à ce qu’ils soient viables musicalement et commercialement. Puis nous allons manger des burgers dans un diner de South Congress. C’est dimanche, les enfants tournent autour des tables et des sundays. Quand nous revenons, Dominique Young Unique est sur scène, les claviers et les voix s’embrouillent. Le set est assez décevant. La belle Dominique quitte la salle la tête basse enveloppée par les bras de son petit ami. On a envie de lui dire qu’elle a tout son temps. Après c’est le carnaval Vockah Redu. Il descend une allée de spectateurs dans un costume de pimp à frange, coiffé d’une afro et fumant un bâton d’encens. Ses choristes l’attendent derrière leur micro en se trémoussant. Dès qu’il monte sur scène, ça fait « Pschittt ». Nous partons à la recherche d’une glace. A notre retour, on nous soutient que nous avons raté quelque chose en ne restant pas tout le concert. Je me retrouve prise dans une discussion entre tourneurs français, qui se surnomment eux même les bébés requins (en tant que spécialiste de la biodiversité, je les identifieraient plutôt comme des colins). Ils parlent éthique et s’écharpent un peu sur qui récupérera Vockah Redu. Danava, les chouchous de François, enchaînent. Je tiens six morceaux, cette fois. La nuit tombe. Les groupes chargent leur van et prennent la route. Je me retrouve à manger de la cuisine cajun avec Guillaume, Etienne et Adrien de Villette Sonique. Nous engloutissons crevettes, palourdes et pinces de crabe mangés avec les doigts à même la nappe en papier tout en parlant du festival. Demain départ par la route pour Los Angeles.

Voir le site du festival South By Southwest