Avec quatre albums au compteur et le génocide d’une centaine de sonos en vingt ans d’existence (incluant des premières parties mémorables de Sonic Youth, Keiji Haino ou The Ex), Sister Iodine passe pour l’Attila des guitares électriques et le Pol Pot des amplis. Entretien avec Lionel Fernandez, à l’occasion de la sortie du nouveau Flame desastre.

Chronic’art : Flame desastre est votre album le plus direct, violent et abrasif à ce jour. Y avait-il une volonté délibérée d’affirmer votre radicalité? Y a t il une intention consciente derrière ce parti-pris ?

Lionel Fernandez : Il y avait bien une intention nette de faire un disque concis et brut, intense et compact. Et derrière tout ça il y avait peut être une volonté de nous sortir de la France, ce pays où nous avons peu d’espoir. Mais je ne saurais pas exactement dire pourquoi nous devenons plus radicaux même si j’ai peut être une idée que je pourrais développer dans le magazine Psychologies

Vos derniers concerts/disques semblent plus relever de l’état d’urgence et de pulsions presque animales, tandis que vos premiers enregistrements relevaient d’une démarche plus cérébrale et minimaliste. Quel regard portes-tu avec le recul sur les précédents albums de Sister et le Passage par Discom ? Helle avait pour la première fois amorce quelques directions mélodiques, ce qui n’est plus trop le cas…

J’ai un regard très critique et en même temps je ne m’appesantis pas dessus. C’est fait et c’est aussi stimulant car tellement loin de ce qu’on voudrait faire. Après il y a là-dedans quelques bon tracks je pense ça et là essaimés sur l’ensemble des trois disques mais surement pas un bon album. Là nous avions envie de faire un truc plus unidimensionnel, moins éclaté que dans nos disques précédents, qui impose une force de bloc. C’est d’ailleurs le premier disque dont on soit à peu près contents post le moment pile où il vient d’être achevé. Mais ça reste encore bien en deça de ce qu’on veut faire et on a assez hâte de se plonger dans le prochain (on commence). Quant à notre travail avec Discom un ami avisé et énervé m’a dit que FlameDesastre lui paraissait être du « Discom mais en analogique vicieux »… (!?).

Il y a un côté kamikaze, voire nihiliste, dans votre démarche, un côté saccage délibéré, mais toujours très structuré. Peux-tu expliquer cette attirance pour le chaos et le bruit, qui reste apparenté a des morceaux rock bien construits ?

Ca c’est la collision entre notre background rock (la no wave – ce truc frustré / frustrant / parcellaire) et notre amour du noise ou des musiques extrêmes en général (détruire une forme avant que ça devienne une formule – ouch). On recherche un truc comme ça… « Maitriser la confusion », un peu paradoxal et jubilatoire et finalement assez peu exploré dans la musique (le conflit structure / chaos).

On sent que vous aimez susciter un rapport ambigu entre le plaisir et le rejet chez l’auditeur, que vous cherchez à le pousser dans ses retranchements, a ne pas plaire facilement, tout en gardant une attitude au final très spontanée. Vous ne jouez pas du tout la carte de la séduction facile, en revanche on sent qu’il y a chez vous un plaisir extrême a exploser les limites… Trouves-tu qu’il y a une attitude trop démagogique dans la musique en France ? Penses-tu que le public est trop frileux pour appréhender des musiques plus retorses et moins médiatisées ? Comment percevez-vous la scène « rock » française qui s’exporte plutôt pas mal ces derniers temps ?

Tout ce qui compte ici me fait plutôt frémir (disco partout, krautrock réchauffé, psychedelisme jusqu’à la nausée j’en passe et des pires). Je n’ai aucun goût pour le revivalisme, le retro, le « vintage », quand ce n’est pas tout simplement dans le copyisme-suiveur qu’elle donne, la France m’a l’air d’être toujours un pays attardé et peu créatif, je serai bien en peine de te donner trois ou quatre trucs qui me semblent fort ou vraiment compter.

La rythmique est très en avant sur le dernier album, elle semble être l’élément structurant, de plus en plus martial, quelque part entre NON et les Swans. Il y avait une envie préméditée d’axer votre musique vers cette forme de puissance rythmique ? Est-ce pour renforcer un effet de Transe ?

Elle est là pour renforcer l’effet coup de poing plus que de transe. Il n’y avait pas une volonté de la mettre tant en avant que ça dans la production. C’est sa sécheresse ou son primitivisme en contrepoint des effluves de guitares qui la démarque. Elle a un impact structurant immédiat plus discernable que les guitares, plus free. Juste, elle enfonce le clou.

C’est quelque chose qu’on retrouve aussi chez Antilles, votre side-project avec le batteur de Berg Sans Nipple…

Antilles est un projet plus percussif, plus tribal, il y a bien vaguement une intention transe mais tout ça est encore en chantier nous n’avons rien enregistré de conséquent. Ca ne saurait tarder…

Depuis Büro, qui a contribué à faire connaitre en France toute la scène electronica d’avant-garde (Panasonic, Pita, Fennesz, Hecker, Ikeda, Oval, etc), quel est votre lien avec la musique électronique pure ? Suivez-vous toujours l’évolution de ces artistes? Verra-t-on Discom se reformer un jour ?

Mais Discom ne s’est jamais séparé ! Nous avons un projet de nouveau disque sur le feu et j’espère même qu’on arrivera à lui faire voir le jour avant la fin de cette année. Pour la scène de musique électronique pure que nous avons fait venir à Paris, je suis ça de loin, mais c’était une scène en tout cas assez punk qui défonçait allègrement un nouveau joujou et ça a donné des concerts, des disques marquants. Après comme avec toutes les irruptions de scène nouvelle, ça a effervescé puis ça s’est tassé, ça a écrémé beaucoup (tant mieux) mais reste des choses qui comptent toujours pour moi (Microstoria, Jim O’Rourke, Hecker/Haswell, Pansonic, Chlorgeschlecht, Kevin Drumm, etc etc) (Dernièrement j’ai vu un très bon concert de John Wiese de pure computer music et ça faisait du bien ! -))

Je revoyais il n’y a pas longtemps une video de Glenn Branca datant de 1978 Et ca me faisait penser à vos derniers concerts… Vous êtes toujours dans ce positionnement no wave ? DNA, MARS, Swans, Branca… ?

Disons que c’est notre basement, on vient de là, dans ce que ça tendait comme violence, comme fulgurance, ça a toujours été pour moi là le vrai endroit punk. Ca nous parle toujours, maintenant on était (et sommes) traversés par pleins d’autres choses (il y a quinze ans le noise japonais, la musique concrète, la musique free, ou un groupe comme This Heat par ex pour faire vite), ça évolue, mais il reste toujours chez nous de la no wave cette intention originelle – sauvage, atonale, dissonante.

Avec quels groupes d’aujourd’hui nourrissez-vous des affinités ? Y a t il des groupes en France dont vous vous sentez proches ou que vous appréciez ?

On est assez discordants en France et clairement pas dans une scène, dans l’énergie d’une scène, on est même assez isolés je crois. Les gens dont on se sent proches à Paris sont dans la nébuleuse freak-noise qui est une sorte de sub-scene assez petite et qui n’a pas ou peu sorti de disques. (en tout cas même pas en France) J’aime beaucoup ce que fait le label Tanzprocess (mais il sort très peu de choses françaises par exemple) Et sinon dans « scène » moi croire en bons groupes comme Cobra Matal, Opéra Mort, Les Fantomes de l’Horrreur, Helicoptere Sanglante, Flying Guillotine par exemple…

Hendrik Hegray a sorti votre album, dont Jonas Delaborde a dessine la pochette (et celle du précédent également). Quels sont vos liens avec cette scène graphique underground? Comment sont nées ces collaborations ?

Hendrik vit dans un château il nous a fait rencontrer Jonas qui était extrêmement drogué. Il nous a proposé un pacte, monter un label pour sortir notre disque, ça nous est immédiatement apparu comme la juste idée pour ce disque. Et comme nous sommes amis de longue date avec Hendrik (mais aussi avec d’autres anciens, Kerosene le Parrain, Andy Bolus le vieux sage) nous avons toujours été au moins « à côté » de cette scène. Ils viennent à nos concerts, nous achetons leurs livres/publications, nous faisons des groupes ensemble, tout ça se mélange c’est flou.

L’évolution de Sister semble s’accorder à certaines tendances de l’underground US, en particulier de la grouillante scène un peu stupidement qualifiée de « noise ». On sent, sans doute inconsciemment, la marque de Wolf Eyes (sur You Lacerate) et de Black Dice (sur Terminal pain), voire de Prurient… Ces artistes vous ont-ils marqué ?

On aime beaucoup Black Dice, je ne sais pas si c’est dans notre musique (je ne crois pas trop ?) mais, Wolf Eyes, Hair Police, Prurient, Ferraro, Sword Heaven, Aaron Diloway etc, oui effectivement toute cette scène nous a marqué, forcément ou inconsciemment. Mais je l’ai assez peu écouté, car à vrai dire j’écoute très peu de musique en tout cas très peu de musique dont je me sente trop proche. Ce sont plutôt des choses satellitaires, indirectes, qui m’excitent et me stimulent. En ce moment je recherche des choses ultra-violentes ou ultra-malsaines, dans le grind-core ou autour. Bon et puis dans toutes mes excitations de ces derniers temps, ça tire un peu de partout (pas forcément frais ou récents) : Insect Warfare, Roger Stella, Anal Cunt, Crom, Harry (brazilian electro 80’s), Abruptum, Crucifucks, Confuse, Yeh/Wiese, Persona, Juke / 19 (japanese no-wave 79-81) etc.

Vous étiez par un temps très proches du cinéma expérimental et de certains artistes-plasticiens. Lionel, tu as collaboré récemment pour une performance avec Lili Reynaud Dewar et Erik a également collaboré plusieurs fois avec des artistes contemporains. Tu participes également à la conception du remake de Apportez-moi la Tete d’Alfredo Garcia, avec une musique de Sister… Gardez vous toujours un pied dans les arts visuels ? Pouvez-vous nous parler de ces activités annexes ?

On s’est toujours intéressé à d’autres choses que la musique, le cinéma oui, Sharits, Kubelka, Legrice, Snow, Frampton etc tout ça nous a beaucoup influencés (la structure, la radicalité) mais aussi pleins d’autres choses (l’architecture brutaliste, l’actionnisme, la sculpture psychédélique, le dessin punk etc.) la liste pourrait être longue. Sinon oui je travaille avec Lili Reynaud Dewar, j’aime bien son travail assez sophistiqué, elle m’a sollicité pour je performe à la guitare dans ses dispositifs/installations, ça m’intéresse parce que je reste dans ce que je fais, j’aime faire, et la confrontation de « elle » – ses environnements (mélange de scupltures primitives, design radical, univers vaudou ou symboles rastafari, etc.) et de moi-guitare noise, aboutit à une forme assez incongrue, indéfinissable. Ca m’intrigue. Avec Juliette Bineau, c’est un travail de composition, réécrire la musique d’un film Apportez-moi la Tete d’Alfredo Garcia de Peckinpah, qu’elle remake. L’intention est d’en faire une sorte de film-doom.

Propos recueillis par

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