Le chef d’orchestre britannique d’origine hongroise est mort le 6 septembre dernier à 84 ans. Son legs d’enregistrements lyriques est incomparable.

Il avait beau avoir côtoyé Strauss, Bartok, Toscanini ou Kodaly, le vieux maître n’était pas homme du passé, loin s’en faut. A près de 85 ans, la vigueur et la justesse de sa baguette restaient diaboliquement intactes, la grâce en plus, peut-être -privilège du sage. Et l’étonnement, l’émerveillement, encore et toujours, de léguer in fine au monde lyrique deux joyaux pour le siècle à venir : Angela Gheorghiu, qui lui arracha des larmes lors des répétitions d’une Traviata mémorable à Covent Garden, en 1994, et Renée Fleming, sa dernière Donna Anna (à la scène et au disque -voir critique du Don Giovanni), et pour laquelle il avait accepté de graver un récital -exercice unique en soixante ans de carrière ! Vivant, bien vivant, donc, celui que d’aucuns considéraient comme le primus inter pares d’une génération disparue de chefs d’opéra, et dont Carlo Maria Giulini demeure l’ultime représentant. Laissons ceux-là s’épuiser dans l’inusable et vaine querelle des anciens et des modernes, quand les Abbado, Muti, ou autres Harnoncourt portent, chacun dans leurs registres et à leur manière, l’art lyrique à des sommets, et quand des Pappano, Conlon ou Minkowski augurent d’une relève prometteuse. Et rendons à sir Georg Solti le seul hommage qu’on puisse lui rendre : écouter, et réécouter, cinquante années d’une collaboration ininterrompue et inégalée avec un éditeur -DECCA-, soit la plus belle somme d’enregistrements lyriques jamais réalisée.

Et d’abord cette entreprise alors inédite dans l’histoire du disque, cette première intégrale du Ring gravée -somptueusement !- en studio, et qui fondera la légende Solti. Et un cast tout simplement surréaliste de nos jours : Hotter, London, Nilsson, King, Flagstad, Crespin, Fischer-Dieskau, Ludwig… C’est là qu’on apprend depuis plus de trente ans ses Nibelungen, et nulle part ailleurs (sinon à Bayreuth, avec le live mythique de Krauss). Wagner, le maestro y était récemment revenu, avec les Maîtres chanteurs, retrouvant pour l’occasion l’orchestre fabuleux de Chicago qu’il avait dirigé de 69 à 91 : là encore, la même urgence, le même esprit théâtral, la même énergie vitale qui animent ses Mozart dernière époque (Cosi et Don Giovanni), ses Strauss d’hier (Arabella/Della Casa, 1957 !) ou d’aujourd’hui (La femme sans ombre/Studer, en CDV, 1992). Enfin, s’il fallait n’entendre qu’une voix chez Solti, ce serait celle de Leontyne Price, Aïda inégalée depuis trente-cinq ans, dans le cocon du studio (DECCA, 62) comme sur les planches du Met (Myto, 63), où le chef, ignorant toutes les formes d’ostracisme qui ont cours ces temps-ci, démontrait magistralement qu’une chose, et une seule, comptait avant toutes les autres : servir la musique.