Après trois épisodes en demi-teinte, la série « Silent Hill » change de direction sous la forme d’une ambitieuse (et psychologiquement perturbante) réinvention du premier épisode dans l’espoir de retrouver la grâce inégalée de son deuxième opus. Tom Hulett, producteur du jeu (lire notre chronique), passe sur le divan pour nous.

Chronic’art : Silent Hill, le film de Christophe Gans met beaucoup trop l’accent sur l’intrigue du culte religieux et se perd en explications inutilement rationnelles. Comment vous êtes-vous éloignés de cette approche ? Quelle était l’idée de départ de votre projet ?

Tom Hulett : Silent Hill 3 : Origins et le film ont effectivement épuisé cet arc narratif et ramener les joueurs dans vers cet axe aurait été stérile. Nous voulions créer un épisode introductif pour les nouveaux venus et surprenant pour les habitués par une réinvention complète de l’épisode original. L’essence d’un bon Silent Hill, c’est de subvertir le sens profond d’une réalité que le joueur pensait avoir assimilé. Nous avons fait de ce principe le coeur de Shattered memories. A la surface, les gens associent Silent Hill à Pyramid Head, aux infirmières et aux textures couleur rouille. Les connaisseurs savent que l’essence du jeu n’a rien à voir avec ça. En tant que fan de longue date de la série, ma mission était de réaliser un Silent Hill à un niveau très sous terrain en faisant renouer la série avec l’inconfort et l’imprévisibilité.

Quelle est votre séquence favorite dans la série des Silent Hill ?

En dehors de celles de Shattered memories, j’aime énormément la séquence de la montée des escaliers avec Angela à la fin de Silent Hill 2. Ce moment synthétise à mes yeux ce que la série a de plus fort. Néanmoins, bon nombre de mes séquences préférées proviennent de Shattered memories. Je ne veux pas trop rentrer dans le détail étant donné que le jeu vient de sortir mais il y a deux moments que j’aime beaucoup et qui arrivent à peu près à la moitié du jeu. Vous les reconnaîtrez que vous y serez. Parmi d’autres moments forts, j’ajouterai la séquence du quiz dans l’ascenseur dans Silent Hill 2 et les notes laissées par l’effrayant maniaque de Silent Hill 3.

Silent Hill 2 demeure la meilleure incarnation de la série. Quelle a été son influence sur le développement de Shattered memories ?

Un facteur primordial que nous avons voulu reproduire tenait à la nature très adulte de Silent Hill 2. Adulte, pas dans le sens particulièrement violent, gore ou suggestif. Surtout parce que les thèmes qu’il aborde sont très lourds, douloureux et qu’il les traite avec une grande subtilité. C’est précisément la puissance de son scénario, de ne pas ressembler à une histoire de jeu vidéo. Il y a d’autres détails comme la façon dont la fin (parmi les différentes fins possibles) est décidée, qui est un concept que nous avons étendu par le biais du système de profil psychologique du joueur.

Justement au début du jeu, le joueur se voit poser des questions très intimes sur ses addictions, sa sexualité etc. et ses réponses ont de réelles répercussions narratives. Y a-t-il une frontière morale que vous vous êtes interdit de franchir dans cette manipulation ?

Nous n’avons retiré ou censuré aucune scène. Mais pour éviter que l’expérience n’aille trop loin, disons que c’est au héros que les choses arrivent. Nous n’exprimons, bien entendu, aucun jugement moral à l’encontre du joueur (rires)…Quoique ! C’est seulement après avoir fini le jeu et commencé à mesurer en quoi votre comportement a influé sur l’histoire que les choses peuvent prendre une tournure franchement inquiétante. Je n’en dirais pas plus.

Comment réagissent les joueurs face à ce système inhabituel ?

Quand on a montré le jeu au salon de l’E3, les joueurs étaient assez nerveux de répondre aux questions assez intimes posées par le Docteur K. (personnage de l’intrigue, ndlr) Je me souviens d’une fille s’exclamant d’un air grave : « Ce jeu va me détester ».

Dans ce nouvel épisode, le joueur doit fuir les monstres; il lui est impossible de les battre. Comment-vous est venue cette idée ? Quelle difficulté avez-vous rencontré en implémentant un tel système ?

Nous connaissions le point de vue des fans des épisodes précédents : ils ne voulaient plus que l’on mette l’accent sur les combats. Nous nous sommes demandés pourquoi et avons étudié l’évolution de la série sur ce point. Ce que nous avons découvert c’est que de toute évidence la notion même de combat, dans Silent Hill, ou n’importe quel jeu renforce la position du joueur. Si vous donnez aux joueurs la capacité de terrasser les ennemis, le jeu va être construit autour de ce but. Et en lieu et place de monstres dont vous devriez avoir peur, vous vous retrouvez face à de simples « ennemis » de jeu vidéo. En conséquence, nous avons pris la décision de retirer la possibilité de se battre et crée des ennemis intelligents, qui n’ont de cesse de vous poursuivre. C’est ce qui rend ces séquences de courses poursuites aussi intenses et flippantes. La principale difficulté de ce travail d’épure était de bien cerner notre propos. Retirer la notion de combat et d’arme mais pas la notion d’action. De fait, nous avons doté Harry de toutes sorts de mouvements (sauter, escalader, courir, défoncer des portes, se barricader, etc.) et l’avons fait poursuivre par des créatures qui n’arrêtent jamais leur traque. Du coup, bien que le joueur ne soit pas en train de défoncer le crâne des monstres à coup de tuyau rouillé, il est toujours en train d’agir.

Dans le même ordre d’idée, n’avez-vous pas l’impression que le principe de disperser énigmes et puzzles semble complètement obsolète dans les survival d’aujourd’hui ?

Si mais je suis justement très fier de la manière dont nous avons traité le sujet avec Shattered memories. Dans les jeux, on distingue d’habitude deux types de puzzles. La première catégorie pourrait être appelée « interaction » : prendre une clé, ouvrir une porte, etc. Nous avons doté ces actions de mouvement physique sur Wii de façon à renforcer le sentiment de présence et d’implication du joueur dans le jeu. Ca contribue beaucoup à l’atmosphère. La deuxième catégorie, nous l’appellerons « énigmes ». Pour celles-ci notre mot d’ordre était réalisme. Il fallait que raisonnablement, logiquement, Harry Mason ait à faire ces actions plutôt que de « trouver l’artefact étrange et le glisser dans la fente en forme d’artefact étrange » comme le genre nous y a habitué. Bref, il faut que le jeu vidéo dépasse le stade des énigmes tordues à base de bibelots improbables et en crée de nouvelles qui aient du sens dans l’univers du jeu. Ce n’est pas le mécanisme du puzzle qui est désuet – c’est juste que les développeurs en utilisent des expressions totalement éculées.

Malgré une poignée de titres (Dead space ou Dead rising par exemple), le genre survival horror est en plein déclin. Sur quels aspects les développeurs devraient-ils travailler pour le ramener au premier plan ?

Le survival se transforme, se dilue dans le jeu d’action. Pour que le genre perdure, les développeurs devraient se concentrer sur l’atmosphère, l’immersion, et la mise en scène de moment d’épouvante. La question de l’atmosphère est facile à résoudre. De nombreux titres sont très réussis de ce point de vue. Batman : Arkham asylum impose une ambiance assez effrayante et pourtant c’est jeu de super-héros. L’immersion c’est surtout d’empêcher le joueur de réaliser qu’il joue à un jeu. Dans Shattered memories, nous avons supprimé l’interface, tous les menus et les temps de chargement pour que le jeu ne se montre jamais en tant que tel au joueur. Concernant la mise en scène, le problème est plus complexe. L’industrie retire (heureusement) toutes les restrictions arbitraires du jeu. Au lieu de tenir le joueur par la main d’un endroit à un autre, le jeu vidéo moderne lui donne un vaste open world. Ce qui fonctionne pour tous les genres… à l’exception du survival qui a besoin d’une succession spécifique de lieu où le game-designer peut mettre en scène des moments de peur. Si on laisse au joueur un contrôle total de la caméra et le choix de se balader où il le souhaite, il est pratiquement impossible de créer de véritables moments d’épouvante.

Propos recueillis par

Silent Hill : Shattered Memories – Wii / PlayStation 2 / PSP
(Climax Studios / Konami)

Lire notre chronique du jeu