Richard Galliano fait partie de ces musiciens qui donnent le vertige à leur propre maison de distribution. Rencontre, plus de deux heures durant, à Paris, chez Dreyfus Jazz et entre deux jet-lags, avec un musicien généreux comme ses mélodies, qui nous confie l’histoire de son dernier hommage à son ami, Astor Piazzolla.

Chronic’art : Commençons par une question en forme de rêve sémantique. L’origine du mot « tango » est trouble, elle évoque un tambour africain aussi bien que le « tangage » français. En partant de ce mot, « tangage », pensez-vous que le balancement propre au tango entre naturellement en dialogue avec la syncope, le souffle respiratoire de l’accordéon et du bandonéon ?

Richard Galliano : Le dialogue se fait naturellement, oui. Car ce balancement de chaloupe, ça rappelle la vie, la mer comme dans ce morceau Les Voiliers, que Claude Nougaro a chanté sur la première mélodie que j’ai écrite en m’inspirant de Piazzolla. Astor a écouté ce morceau le soir du concert à l’Olympia, il avait bien vu l’influence de son style et on a immédiatement sympathisé. Quand je joue du tango, je pense aussi aux pas des danseurs. Il y a l’idée du tangage aussi, car il faut aimer le déséquilibre, il faut prendre des risques et assumer les choses. Dans ce disque, Piazzolla forever, rien n’a été modifié, c’est l’enregistrement de la radio telle quelle. A vrai dire, j’ai dû lutter pour qu’on ne touche à rien. On voulait rajouter des choses, améliorer ci et ça. Mais étant donné que le mieux est l’ennemi du bien, j’ai préféré garder ce son de violon. Jean Marc Philips-Varjabédian joue sur un violon Stradivarius qui vaut plus d’un milliard des centimes, un instrument prêté. Si on décide de rajouter un peu d’aigu ou de médium sur un instrument comme ça, ça devient un sacrilège ! Même chose pour mon accordéon. Si la prise de son est bien faite au départ, il ne faut pas retoucher. Ca fait partie de la beauté ; il n’y a pas eu de montage, il y a même les moments où il s’accordent. Je n’écoute plus cet enregistrement maintenant, je l’ai trop fait dans le but de tout vérifier. Un projet comme celui-là, ça peut vous échapper des mains jusqu’au dernier moment, la pochette, le son… Surtout que c’était un « Tribute », un hommage à Astor, et que lui, il a ramé toute sa vie. Il m’a paru évident qu’à un moment je traversais un peu la même histoire, où il ne faut pas lâcher le morceau jusqu’au bout. Vu l’accueil du public, j’ai eu raison d’insister.

Votre histoire a donc croisé celle de Piazzolla alors qu’il vivait à Paris…

Oui, il avait en fait commencé à écrire à la fin de sa vie un opéra sur la vie de Carlos Gardel, deux heures de musique qu’il n’a pas pu finir, car il a eu cet accident cérébral quinze jours plus tard à Paris, dans un hôtel près de Beaubourg où il a habité avec sa femme. Piazzolla, c’était aussi l’Ile Saint-Louis, où il a été très proche de Georges Moustaki qui l’a invité à venir en France et à courir partout, à l’Olympia… Mais avant cela, il a vraiment eu de longues périodes de traversées du désert. Quand ça a commencé à remarcher, ce n’était pas en Argentine, où les gens l’insultaient pour son tango d’avant-garde, mais partout ailleurs, où il était devenu l’ambassadeur du tango. Après son accident, il est resté deux ans dans un coma profond et puis a été rapatrié en Argentine. A l’époque, j’étais assez en colère contre le Ministère de la Culture et contre Jack Lang : pas un seul mot dans la presse, pas un entrefilet, alors qu’on en fait toujours des tonnes pour d’autres qui n’arrivent pas en dessous de la semelle d’Astor ! C’était un silence d’ordre politique, car Astor se revendiquait de droite. En fait, il s’est retrouvé coincé par le jeu politique de l’Argentine, comme ça peut arriver à tout artiste pris au piège, par une photo en soirée par exemple… Pourtant, il se foutait complètement de la politique. Ses ennemis argentins s’en sont servis, c’est pour cela que je crois que les Argentins ne sont pas les mieux placés pour jouer Astor. D’ailleurs, je pense qu’ils ne le jouent pas de la manière dont Astor souhaitait qu’on joue sa musique, tout en lui ayant fait porter le chapeau en tant qu’artiste de droite. Les artistes sont des artistes avant tout, c’est ça qu’il faut juger. « Astor facho » ? Non, surtout pas, c’était un type très respectueux, gentil, qui aimait les gens et son groupe, groupe où d’ailleurs tout le monde était payé. Il divisait son cachet équitablement, ça ne se fait jamais habituellement, moi-même je ne le fais pas…

Vous mettez souvent en parallèle le musette en France et le tango en Argentine. Comment percevez-vous l’originalité du métissage à l’origine du tango et comment vous placez-vous par rapport à ces jeux d’emprunts ?

La première chose que j’ai faite pour Piazzola, c’était Songe d’une nuit d’été à la Comédie Française, mis en scène en 1983 par Jorge Lavelli sur une musique d’Astor.
J’étais le seul français au milieu de l’orchestre, au premier bandonéon. Astor m’avait imposé car il savait que j’allais jouer cette musique d’une manière différente. Je n’avais jamais été si proche du bandonéon avant. Dans le programme de cette pièce, Astor a écrit un article sur le tango en faisant un parallèle qui m’a surpris : il rapprochait le tango, le musette et le blues et leur naissance aux quatre coins du monde au début du siècle. Le blues pour les afro-américains, le tango pour les immigrés espagnols et italiens débarqués en Argentine, le musette pour les Italiens, les Tsiganes et les Auvergnats. Ce sont donc toutes les trois des musiques de fusion. Ce rapprochement m’a conforté dans mon choix de créer le New musette, sur les conseils d’Astor qui, lui, avait lancé le Tango novuel.

Piazzolla a-t-il eu l’occasion d’écouter ce premier métissage de votre New musette, un disque enregistré avec Philippe Catherine (guitare) Pierre Michelot (contrebasse) et Aldo Romano (batterie) ?

Non, il était alors dans le coma, en 1991. Sa femme lui passait des disques, peut-être qu’il les a entendu inconsciemment. C’est étrange car dans sa musique, il y a ces passages de rêve, d’inconscient… Malheureusement il a fini sa vie comme ça. Le but était de continuer d’une manière ou d’une autre cette fusion. Les accordéonistes qui jouaient avec Django Reinhardt dans les années 1940 étaient déjà eux-mêmes très ouverts à la musique d’Ellington, de Benny Goodman, à l’époque. Je reste aussi ouvert à tout ça, sans avoir pour autant honte de mes racines italiennes et du musette swing qui a été joué. Django est adoré partout, en France comme au Japon ! L’idée est de se conforter dans une forme de jazz jouée à l’accordéon, tout en s’imprégnant de la musique américaine ou de toute autre, et sans se perdre dans l’environnement culturel parisien ou français. Quand je croise, comme cette semaine, des jeunes musiciens japonais qui tendent à copier le jazz américain, je leur conseille de s’en démarquer.

Vous vous libérez aussi des thèmes de Piazzolla dans ce dernier disque, enregistré en concert avec votre Septet.

Je pense qu’on joue sa musique comme elle doit se jouer. La manière argentine est trop restreinte. Piazzolla, c’est beaucoup plus large que ça, il avait pour ami les plus grands jazzmen : Quincy Jones, Gerry Mulligan, Gil Evans… Dans ce Septet, les six musiciens classiques qui m’entourent sont très ouverts aussi. Le violon solo Jean-Marc Philips-Varjabédian est amoureux de la musique de Piazzolla. L’approche est différente, mais il met sur le même niveau Piazzolla et Mozart, qu’il joue dans son quatuor ! Et puis il y a ce côté tsigane de Jean-Marc qui revient, il adore les musiques de l’Est qui sont très présentes dans le musique d’Astor, ces harmonies des musiques juives qui se mêlent aux rythmes méditerranéens… La musique de Piazzolla est écrite assez précisément tout en laissant beaucoup de libertés, comme dans la musique baroque. A partir d’un thème, on peut aller jusqu’à l’improvisation, à condition de rester dans le style, même si Astor se permettait parfois des écarts. Je me le permets aussi sur le morceau « Improvisation sur le thème de Libertango« . J’aurais toujours en tête la phrase d’Astor, un soir où je le raccompagnais : « Joue tout ce qui te passe par la tête ». Il me conseillait aussi de rester proche de mes racines. On peut le faire sans tomber dans le nationalisme : moi je regrette, mais j’aime Paris, la poésie de Montmartre, même si elle est passéiste, j’aime cette nostalgie. Pourquoi Paris devrait être simplement agressive et faire référence au rap et à la techno ? Pour moi, Paris c’est aussi Gabin, Prévert, Cocteau. Ce n’est pas vraiment de la nostalgie, c’est de la poésie et j’en ai besoin pour jouer.

Le partage, les rencontres musicales sont des notions primordiales pour vous : vos duos avec Michel Portal, Eddy Louis…

Oui, à chaque fois on est parti pour un voyage… Avec le Septet, on arrivera à 100 concerts fin décembre. On s’est appropriée cette musique, au point que les violons solo et second s’échangent parfois l’un et l’autre leurs parties ! On tourne à Nice, Montreux, dans les plus grands festivals de jazz mais aussi dans des salles comme le Théâtre des Champs-Elysées le 19 octobre, l’Académie de Sainte Cécile à Rome, la Scala à Milan. C’est la seule musique qui puisse passer d’un festival classique au jazz, et le plus surprenant, c’est que les réactions du public sont identiques. Ca donne beaucoup à réfléchir aux musiciens classiques. La force de cette musique, c’est que très souvent on ne se casse pas la tête à répéter mille fois les morceaux. On les fait vivre, plutôt, on les a beaucoup joué et très souvent les réactions du public sont chaleureuses, il y a deux, trois rappels… Pour un trio de Beethoven, c’est quatre ou cinq mois de travail et quelques applaudissements un peu froids à la fin. Henri de Marquette, le violoncelliste du Septet, vient d’enregistrer une très belle Suite de Bach. En l’écoutant, les autres musiciens du groupe se sont dit : « C’est comme ça qu’il faut jouer Beethoven ou un autre, on est trop respectueux, il faut s’approprier la musique… ».

Vous avez eu ce sentiment, celui d’un respect à dépasser, devant la musique de Piazzolla ?

On a été très respectueux de sa musique, j’ai fait des copies d’enregistrements pour que tous les musiciens s’en imprègnent. Astor, c’est mon ange gardien. Mais en réécoutant ses disques, je pense qu’on est parti ailleurs, on s’est approprié sa musique à notre manière. Il n’y a pas vraiment plus d’énergie, car il y en a déjà beaucoup chez Astor. C’est vrai que le morceau « Otoño porteño » a un tempo plus rapide que dans certaines versions de Piazzolla. Mais depuis l’enregistrement de ce disque, on a dû faire environ cinquante concerts. Notre interprétation a donc changé. Et on a rajouté des morceaux.

Pourquoi ne pas avoir ajouté une reprise d’Adiós noniño, une composition de Piazzolla dédiée à son père disparu ?

J’avais pensé à un arrangement en quatuor et bandonéon, mais c’est impossible…
Ce morceau m’a déchiré le cœur la première fois que je l’ai écouté : son introduction de piano, très concertiste, puis la première phrase violente jouée par Astor… Pour moi, cela correspond au coup de fil tragique, ça me rappelle Astor, l’annonce de sa mort… Si on le joue un jour, on ne s’amusera pas à faire de la copie sur ce morceau. C’est l’histoire d’Astor et de son père qui se joue ici. Le thème existait déjà sous le nom de Noniño et, à la mort de son père, Astor l’a retravaillé et renommé Adiós noniño. Une telle reprise, c’est dangereux, il faut qu’on soit dedans, pas de jeu de comédie, pas de faux tragique.

Dans le poème Tango, Verlaine écrit : « Il pleure dans mon coeur / Comme il pleut sur la ville ». Un vers pour rappeler que le tango est avant tout une création urbaine : Le Dernier tango à Paris de Bertollucci, Il pleut sur Santiago, sur une musique de Piazzolla…

Astor adorait la ville, le bruit, la foule. Moi-même je ne suis pas fan de la campagne et de ses petits oiseaux… Je déprime toujours quand je reste trop longtemps dans le Sud, ma région natale (je suis né à Cannes), pourtant il y a beaucoup de choses à moi là-bas, des changements, des gens qui ont disparu… Astor était en effet passionné par la vie urbaine. Quand on me dit que sa musique est triste, je réponds qu’au contraire c’était un battant, un type qui a toujours voulu s’élever, sortir du milieu dont il venait et faire bouger la musique avec. C’est le côté jungle de la ville qui revient sans cesse dans sa musique, le mouvement, les cassures de rythme… C’est pour cela que je n’aime pas trop Gotan project, surtout qu’eux et moi avons été programmé dans la même soirée. On se demande si c’est n’est pas opportuniste de mêler le tango et l’electro, alors que justement c’est la cassure qui est belle chez Astor : on commence dans un tempo et tout d’un coup on va ralentir, comme dans la vie où on a une hésitation et où on tombe dans un moment de tristesse, de nostalgie, sans y rester longtemps. C’est toujours la mer, calme puis agitée, dont la contrebasse de Stéphane Logerot vient parfois mimer, épouser les mouvements sur scène.

Y a-t-il un « nouvel âge » du tango, un mouvement commun d’inspiration, en Europe et ailleurs, décidé à ne pas banaliser cette musique ?

Oui, d’ailleurs tous les disques d’Astor introuvables ici, on les trouve au Japon. En Hollande et dans les pays scandinaves, ils sont fous de tango. Dans la grande salle du Concertgebouw d’Amsterdam, j’ai signé 200 disques du dernier Tribute en un seul soir ! Il y aussi beaucoup de clubs de tango, de danse, de bandonéon… Il faut dire que le bandonéon vient de l’ex-RDA, d’une usine située près de la ville de Bach. Le jour où elle a fermé ses portes, ils ont du se servir des métaux des lames du bandonéon pour faire des armes… Il faut savoir que le bandonéon comme l’accordéon ont été inventés à l’époque des locomotives, on y trouve donc des bielles, des pièces mécaniques. Les meilleurs bandonéons, ce sont ceux des années 1930-45, celui de Piazzolla datait de 1934 je crois. Le mien est de 1937, il appartenait à un ami de mon père musicien, il est resté trente ans dans une cave. C’est drôle d’ailleurs, car mon accordéon « Victoria » des années 1960 est lui aussi resté quelques années à l’abandon. Un instrument de ces années là, c’est déjà très vieux, ça n’a pas la même histoire que le violon. Je n’arrive pas me séparer d’eux, et même si les boîtes d’accordéon m’en ont fabriqué, je joue seulement à la maison avec. Le mien a une histoire et une puissance de son. J’ai joué en solo devant 6 000 personnes pendant une demi-heure au festival de Sandai, au Japon, en septembre. Là, il faut y aller, il faut que l’instrument réponde quand on le sollicite, un peu comme une Ferrari.

On a parlé d’Aldo Romano, amoureux de la musique brésilienne, surtout celle de Joao Gilberto. Comme lui, vous vous dites attiré par les musiques solaires, pleines de vie, et par le rôle primordial de la mélodie et du rythme…

En ce moment, je réécoute beaucoup Jobim, un immense compositeur, comme l’a été Astor. Si ce disque hommage à Piazzolla a une suite, ce sera un hommage à Jobim. Les premières choses que j’ai faites à Paris dans des clubs de jazz, c’était avec des musiciens brésiliens, parce que les français pensaient qu’il était impossible d’étudier l’accordéon dans les années 70. Un ami brésilien, un batteur qui jouait avec Tania Maria à l’époque, voulait faire un disque avec un saxophoniste. Ils m’ont donc appelé pour que je remplace le saxophone. Il n’y a pas ce côté péjoratif autour de l’accordéon au Brésil, car la pape de la musique brésilienne c’est Luis Gonzaga, un accordéoniste. Et puis la musique du Nordeste, c’est avant tout l’accordéon, ils sont très bons. Ils jouent d’une manière très rythmique, avec le soufflet et une approche harmonique très riche. Sibuka, l’albinos qui joue avec Harry Belafonte, avec Miriam Akeba, c’est un accordéoniste que j’ai beaucoup écouté. Un jour j’irais vers ça, c’est une musique que je ressens très bien. En plus il y a beaucoup d’immigrés italiens, j’en ai retrouvé plusieurs un soir dans un club d’accordéonistes. A ce propos, on avait aussi une correspondance avec Astor. Je lui faisais part de mon projet d’album New musette, il me répondait avec plein de conseils et à la fin de la lettre, il a ajouté: « Les Italiens sont invincibles ! ».
C’est l’ennui du tango classique et binaire comme des mélodies répétées en boucle qui a poussé Piazzolla à créer son Tango novuel, et vous de même avec le New musette : l’ennui est-il le plus grand ennemi de la recherche musicale ?

Oui, mais pour l’éviter, justement, je cherche d’autres voies tout en gardant un pied dans la tradition, dans tout ce qui a été fait de magnifique, car il ne faut pas non plus « cracher dans la soupe ». Si je recherche quelque chose, c’est donc une continuité musicale. Un jour, Astor a assisté à un concert des Pink Floyd, les yeux grands ouverts, comme un enfant, au premier rang, avec sa femme… Mon défaut à moi, c’est ma tendance à écouter un peu trop les morts, tous ces musiciens disparus. Il faut s’ouvrir au reste aussi. J’ai récemment joué avec Joachim Kuhn, un pianiste très « avant-garde », mais qui ne fait pas du free jazz sur n’importe quoi. Sa musique se rapproche plus des modes à la Messiaen. Ca a provoqué un déclic chez moi : le lendemain du concert, j’ai écrit un morceau inhabituel, basé justement sur ces modes. Cette autre langue, l’atonale, fait aussi passer ses propres émotions, par le biais des tensions harmoniques. D’autant plus que l’accordéon est basé sur les gammes de Messiaen : il y a trois rangées et avec deux doigts, on fait facilement cette gamme, ça tombe tout seul. Le bandonéon est différent : il y a quatre claviers différents, et pour la gamme de do, il y a quatre doigtés différents. Ca vous mène ailleurs. Et puis le soufflet est plus large, surtout celui de Piazzolla, qui jouait beaucoup en tirant. Pour vraiment avoir de l’attaque au bandonéon, on tire et on casse aussi l’instrument sur les genoux, c’est assez physique.

Et vos projets à ce jour ?

On a déjà fait deux concerts avec le bassiste Larry Grenadier et le batteur Clarence Penn, au Lincoln Center, en mai. Avec Penn, j’ai fait un quintet avec Mark Feldman, Gil Goldstein au piano et le bassiste actuel d’Herbie Hancock. Pour le prochain disque, je voulais refaire un quartet avec guitare, mais après un premier disque avec Philippe Catherine et deux avec Bireli Lagrène, c’est difficile de jouer avec un autre guitariste. Lagrène est dans son projet autour de Django Reinhardt, un DVD devrait sortir bientôt, d’ailleurs. Finalement, je me suis dit que ça marchait très bien à trois comme ça (c’est mon chiffre préféré, ça tombe bien). Les mois prochains, on va jouer au  » Voyajazz « , un festival italien, et faire d’autres concerts ensemble. On enregistrera le disque dans la foulée, à la fin de l’année. Il y a des standards de Monk, de Betty Ford et d’Ellington que j’aimerais jouer. Portal me disait l’autre jour qu’au saxophone, c’est difficile de faire des choses car tout a été fait. Alors qu’avec l’accordéon, peut-être que tout a été fait, mais personne ne le sait ! Les gens ne sont pas informés des possibilités. Des trios accordéon-basse-batterie, il y en a eu très peu. Il y a donc un challenge, l’accordéon doit trouver sa place parmi ces autres instruments, il ne faut que j’essaye de jouer comme un pianiste, il faut laisser beaucoup d’air. Je connais beaucoup d’accordéonistes qui ont une dimension poétique. Parmi eux, Jean-Jacques Franchin est le Gainsbourg de l’accordéon ! Il fait trois notes, et c’est magique. Mais il n’y aucun disque de lui. Il faut souvent batailler pour percer. Tout est question de confiance. Mon disque New musette avait été enregistré chez Label Bleu, une boîte très proche du ministère de l’époque, où ils ont leurs têtes. Ce premier disque est un de ceux qui ont le mieux marché, mais je n’ai pas souhaité en faire un second chez eux. Avec Dreyfus, il y a une vraie complicité, ils me suivent dans toutes mes folies. Bref, tout est question de passion et d’ambiance : humainement, le Septet est génial, on rit beaucoup, souvent ils sortent les instruments le soir pour jouer de la musique tsigane…

Avez-vous songé à écrire pour le cinéma ou l’écran ?

Quelques morceaux passent déjà sur France 2 : le générique de la série PJ et le téléfilm La Parité de Vergès, en septembre. J’aimerai intervenir dans un bon film, avec des acteurs que je sens. Dans l’avion, j’ai vu Père et fils, de Boujenah. Si je le faisais, j’aimerais beaucoup écrire une mélodie qui traverse tout le film, pour que les spectateurs partent aussi avec elle, comme on a eu Le Troisième Homme, les films de Fellini, les airs de Legrand, Nino Rotta… Maintenant, on utilise beaucoup de musiques additionnelles, ça fait un peu comme dans la vie, on passe de l’ascenseur au restaurant sur des musiques différentes… Il faut un vrai thème, comme ceux de Francis Lay, qui sont magnifiques, Portal en a aussi écrit énormément, il a le feeling pour cela. Il a un très bon son, c’est ce que je trouve le plus important au départ chez un musicien, c’est ce qu’on retient chez les plus grands. Il y a Eddy Louiss et la sonorité de son orgue Hammond, aussi. Lui, il fait comme moi : il ne sépare jamais de son orgue de 500 kilos, il le fait transporter sur chaque concert ! On fait l’erreur, avec Eddy, d’enregistrer un disque ensemble avant de tourner. Il adore jouer en public, comme moi, on aurait dû enregistrer lors des concerts. Cela aurait été plus chaleureux…

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Piazzolla forever du Richard Galliano Septet (Dreyfus Jazz / Sony).
A voir : le mercredi 15 octobre 2003 au Festival Nancy Jazz Pulsations, le vendredi 17 octobre à Sceaux (en duo avec Eddy Louiss), le dimanche 19 octobre à Paris (Théâtre des Champs-Élysées), le vendredi 24 octobre à Saint-Omer, le vendredi 14 novembre à Rambouillet et le jeudi 27 novembre à Courbevoie.
Voir en archives nos chroniques des précédents albums de Richard Galliano, French touch, Face to face (avec Eddy Louiss) et Passatori