A l’occasion de la sortie de leur album groove Our aim is to satisfy Red Snapper, nous avons questionné Richard Thair, David Ayers et Ali Friend, les trois membres de Red Snapper lors de leur venue à L’Elysée Montmartre. Trois gars, type bûcherons, mais aux cœurs tendres. Le parfait reflet de leur musique, dynamique et sensible.


Chronic’art : Vous avez mis deux ans pour enregistrer ce nouvel album ?

Richard Thair : Plutôt un an et demi en fait. Après la promotion du dernier album, début 99, nous avons monté notre nouveau studio à Londres, et nous avons commencé à écrire et à enregistrer. Les six derniers mois, nous avons réenregistré les voix et certains instruments comme les batteries, dans des studios plus importants, où nous avons aussi mixé l’album.

David Ayers : Avoir notre propre studio nous a permis de faire des maquettes assez abouties, pour avoir une idée précise de ce que nous voulions faire pour l’album. Ca nous a permis aussi d’acquérir plus d’expérience en tant que producteurs.

Il y a eu plusieurs producteurs pressentis pour cet album ?

Richard : Nous avons essayé plusieurs ingénieurs du son, mais nous avons fini par coproduire l’album avec Hugo Nicholson qui nous a aidés pour l’enregistrement des vocaux et des parties live. Nous voulions vraiment faire du travail de production. Nous n’avons pas l’habitude de travailler avec quelqu’un d’extérieur au groupe, et nous avons une idée très précise de ce que nous voulons faire. Cependant nous sommes sensibles aux avis extérieurs et il y a un véritable « crew » autour de nous qui nous donne son avis, dont les gens de Warp, qui sont des amis et qui nous conseillent et nous encouragent.

David : Nous travaillons avec des ingénieurs qui sont créatifs par rapport à notre travail et nous les créditons comme coproducteurs. Parce qu’en fait nous sommes déjà trois producteurs.

Vous êtes un vrai groupe en live, et pourtant le disque sonne comme un projet électronique. Quels sont les processus de composition et d’enregistrement des morceaux ?

Richard : En général nous commençons par jammer, nous enregistrons les sessions sur DAT et nous les retravaillons sur ordinateur. La plupart du temps, nous travaillons à partir des boucles de batterie. Ou parfois à partir d’une ligne de basse. Ensuite David improvise à la guitare ou aux synthés sur cette base, enfin nous ajoutons les vocaux s’il y en a. Par le passé nous avons enregistré des morceaux complètement live, mais pour cet album, notamment pour les morceaux ambient comme Bella donna, nous voulions approcher le son de Pole ou de groupes electro dub, avec un traitement particulier des rythmes, donc nous avons enregistré les éléments rythmiques séparément, le kick, le charley, la grosse caisse et nous avons tout assemblé avec Pro Tools, au lieu d’enregistrer simplement une boucle de batterie. Avec Pro Tools, tous les sons sont forcément séparés, sur 16 pistes ou plus, ce qui permet de vraiment recréer des rythmiques.

Ali Friend : Avec Pro Tools, on peut même rendre les sons plus doux, plus légers. Avec quelques réglages, un son de grosse caisse peut être adouci. Ou alourdi.
La basse semble très importante dans vos morceaux, un peu comme une colonne vertébrale.

Ali : C’est vrai. Mais ce sont des lignes plutôt mélodiques, même si elles sont très répétitives. L’idée c’est que la basse et la rythmique règlent les morceaux, les « ferment » en quelque sorte et les arrangements de David les désorganisent.

Richard : Si tu écoutes du dub, la basse et le drum-kit conduisent toujours les morceaux.

L’intro de Bussin’ rappelle les productions jazz planantes des 70’s avec cette ligne de basse à la Ron Carter ou Cecil Mac Bee…

Richard : Nous avons enregistré ce morceau un après-midi sur DAT et nous n’étions pas vraiment conscients de ce que nous faisions. Ca ressemblait à un morceau de hip-hop instrumental, et puis, avec les arrangements de David, le trombone et les scratches, c’est devenu un morceau plus abstrait, plus jazz. Mais c’est un titre assez sombre en fait. Même si « bussin » signifie « kissing », et que nous sommes des garçons romantiques.

Vous n’êtes pas si hardcore en fait.

Richard : Oui, les mélodies et les ambiances de cet album, même si elles sont sombres, peuvent être ressenties comme romantiques ou même érotiques.

Le disque se finit de manière assez mélancolique en effet. Vous avez souhaité qu’on ressente une progression musicale pour cet album ?

David : Non, nous avons juste déconné avec le track-listing ! (Rires)

Richard : Le début est très funk, très groove, et la fin plus ambient, cinématique. Ainsi on peut suivre le déroulement du disque, ce n’est pas une alternance de morceaux rapides et lents comme beaucoup de musiciens le font, pour retenir l’attention de l’auditeur.

David : Nous faisons une musique très diversifiée, et nous ne voulons pas tomber dans ce piège du contraste, il faut qu’il y ait un minimum de sens et de progression.

On entend pourtant assez clairement cette diversité.

David : Oui, après Making bones, beaucoup de gens nous faisaient remarquer la qualité de nos prestations scéniques. Et nous avons cherché à retrouver ce qui caractérisait les concerts, l’énergie qui pouvait y circuler.

Richard : Il me semble que Making bones était beaucoup plus facile à définir. Il y avait un morceau drum’n’bass, un morceau jazz, etc., nous ne voulions pas répéter ça mais au contraire essayer d’avoir notre propre son. Même si nous avons beaucoup d’influences, elles s’entendent moins sur cet album à mon avis.
Que pensez-vous des recréations de musique jazz avec des outils informatiques, comme peut les faire Flanger par exemple ?

Richard : L’album de Flanger est brillant. Mais nous n’avons pas beaucoup en commun avec eux.

David : L’influence du jazz sur nous est tellement profonde, tellement marquée, que nous n’y pensons même plus. C’est définitivement en nous. Nous ne cherchons pas à faire du jazz avec un style électronique. On a vécu avec cette musique et elle s’entend dans notre travail, mais nous ne faisons pas du jazz.

Richard : Flanger ou Compost font du jazz électronique, et j’adore ça, mais nous ne travaillons pas dans cette optique. Excepté peut-être pour le remix que nous avons fait pour Beth Orton. Et nous sommes très méfiants à l’égard de cette mode du « lounge jazz » dont tout le monde parle, nous ne voulons surtout pas rentrer dans cette catégorie.

David : J’aime bien le morceau de St Germain Rose rouge, mais son album est plein de morceaux qui vont trop loin dans les clichés et la technicité jazz.

Vous vous considérez donc comme un groupe électronique.

David : La base de notre musique est quand même acoustique, à partir de vrais instruments, qu’on retravaille ensuite avec le même matériel que les groupes électroniques.

Vous êtes musiciens et pourtant il n’y a pas beaucoup d’improvisations sur le disque…

David : Nous en faisons en concert, mais nous avons voulu être précis sur l’album. Les improvisations peuvent être tellement clichés, surtout sur le mode jazz… Mais il y a des petits moments sur They’re hanging me tonight et Bussin’ où nous avons improvisé un peu.

Ali : La basse sur Bussin’ a été enregistrée en une prise, c’est de l’improvisation. Les autres sont montés sur Pro Tools à partir des sessions live, parce que c’étaient des lignes très longues et très répétitives, qui ne sont pas faciles à jouer correctement sur la longueur d’un morceau.

Richard : Il y a cinq titres que nous avons enregistrés qui ne sont pas sur l’album et qui sont justement beaucoup plus improvisés. Nous allons peut-être les sortir sur un maxi.

Il y a des morceaux très claustrophobiques, très urbains, et le dernier titre fait penser au contraire à un paysage désert.

Richard : Nous vivons à Londres, mais nous voyageons beaucoup. Londres nous influence beaucoup évidemment, c’est une ville gigantesque, où l’on peut se perdre si facilement.

Ali : Nous nous sommes promenés à Paris hier, et nous nous sommes aperçus que c’est une petite ville comparativement à Londres. On peut aller d’un bout à l’autre de Paris en très peu de temps, ce qui est impossible à Londres, où il y a beaucoup de lieux ouverts, de grands parcs, etc., et quand tu parles de paysages, ils ne sont pas forcément hors de la ville, ce sont des paysages urbains, pas forcément des déserts. On peut avoir un sentiment d’espace très fort dans une ville comme Londres. Ce qui s’entend effectivement dans nos chansons.

Propos recueillis par et