Grand Prix au dernier Festival de Paris, Sanam est le deuxième long métrage de Rafi Pitts, jeune cinéaste iranien exilé dans notre capitale. La sortie en salles du film est l’occasion d’en savoir un peu plus sur le travail rigoureux de ce réalisateur prometteur.

Chronic’art : Votre film reprend le nom de l’héroïne du film, pourtant très en retrait par rapport à Issa, le héros masculin. Pourquoi ce choix ?

Rafi Pitts : Sanam, c’est le prénom de l’héroïne, mais ça signifie également « idole » en persan. C’était une manière pour moi de montrer que la mère et le fils ont le même point de vue parce qu’ils ont assisté à la même scène de meurtre. La mère est assez sage : elle croit à la justice, elle veut qu’il y en ait une. Quand son fils est arrêté, elle veut aller le chercher, même si elle sait que ça ne donnera rien, elle veut y croire. Issa n’y croit plus dès le début, comme son père. Le malentendu vient de là : une mère qui est assez sage pour savoir qu’elle ne peut pas lutter contre les rigidités du système social, et un fils idéaliste qui se dit qu’il peut refaire le monde.

Votre film est assez fataliste…

Effectivement. Sa structure en boucle montre à quel point Sanam et son fils sont pris dans une sorte de cercle vicieux. J’ai pourtant ajouté un ultime plan au film, justement pour dire qu’on peut intervenir et casser ce système infernal. Si le cercle continue, ça finira en apocalypse généralisée. Tant que le cercle existe, et qu’on n’arrive pas à en sortir, tout reste sombre. L’histoire peut se lire de manière différente selon les cas : le rapport père/fils, l’histoire d’un voleur, celle d’un jeune qui ne s’intègre pas dans la société… J’ai vraiment essayé de faire confiance au spectateur. A lui de se faire une opinion, de voir s’il a envie de s’arrêter sur cette image tragique ou bien de continuer. Pour moi, la fatalité vient du fait qu’il y a un personnage qui n’arrive pas à s’intégrer dans un système, et qui en souffre terriblement.

Qu’entendez-vous par « faire confiance au spectateur » ?

Pour mon premier film, j’avais eu envie de prendre le spectateur par la main et de l’amener dans un monde pour lui raconter quelque chose, sans lui laisser de choix. Dans Sanam, j’ai souhaité ouvrir les brèches, de façon narrative mais aussi cinématographique.

Le travail sonore semble également très important…

Robert Bresson disait que le son « évoque toujours l’image, l’image n’évoque jamais le son. » C’est une phrase que j’aime beaucoup, et qui m’a considérablement influencé. Pour moi, le son représente 50% du film. Il raconte ce qui se passe dans la tête de l’enfant et si l’on entend souvent des bruits de moteur, ces bruits ne renvoient pas forcément à l’image : ils sont dans la tête d’Issa, parce qu’il les entend au début. J’aurais pu choisir de mettre de la musique, de faire jouer un orchestre, ça m’aurait permis d’installer un certain rythme dans le film, mais en procédant de la sorte, j’aurais trahi l’enfant. Les images seraient subitement devenues juste « jolies ». Je veux rester fidèle au point de vue de mon héros.

Existe-t-il une identité commune dans le cinéma iranien ?

J’ai beaucoup de mal avec ce type de discours parce qu’il me donne l’impression qu’on met le cinéma iranien dans une boîte, comme d’ailleurs le cinéma français ou américain. Ce sont des individus qui font des films, ça dépasse largement les frontières. Pour moi, cette histoire est très personnelle, du fait des rapports que j’avais avec mon père.

Je voulais aussi montrer la force des femmes en Iran, et de celle-ci en particulier. Elle n’a pas besoin d’hommes dans sa vie, elle a été amoureuse une fois, et n’a plus besoin de personne pour arranger sa vie. C’est quelqu’un de très fier. Et son sacrifice en est d’autant plus tragique.

Propos recueillis par

Lire la critique de Sanam