Après avoir créé la surprise au dernier Festival de Belfort, Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ? sort enfin en salles. L’occasion de mettre au placard toutes ses idées reçues sur la banlieue balayées d’un grand coup par la clairvoyance de Rabah Ameur-Zaïmeche dont c’est ici le premier long métrage.

Chronic’art : En choisissant un titre en forme de question, Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ?, qui vouliez-vous interpellez ?

Rabah Ameur-Zaïmeche : Ce titre est surtout une manière de décrire un état des lieux. Le film s’adresse d’abord à ceux qui se sentent concernés par la politique urbaine. Il est aussi destiné aux gens des cités qui n’ont peut-être pas encore pris conscience de leur situation. Le fait de les interpeller avec ce film, ça leur permettrait peut-être de se réveiller, d’avoir une conscience politique collective. Mais c’est beaucoup demander à un film. On n’a aucune prétention, on a fait ça sous la pression de la nécessité, avec le panache de l’amateurisme.

Pourquoi avoir choisi d’interpréter vous-même le rôle principal ? Est-ce que le récit a une résonance autobiographique pour vous ?

D’abord par commodité parce qu’on n’arrivait pas à trouver un comédien arabe qui aurait pu avoir ce tempérament et puis par mesure d’économie, parce qu’on n’avait pas d’argent. En ce qui me concerne, je n’ai pas été victime de la double peine, je suis plutôt un gosse de riche.

N’est-ce pas trop dur pour un premier film d’être à la fois devant et derrière la caméra ?

J’ai demandé à beaucoup de mes neveux et nièces (j’en ai soixante en tout !) et à des amis d’être devant la caméra, ils n’auraient pas compris pourquoi, moi, j’aurais pas osé à mon tour m’y mettre. C’était pour donner encore plus de patate, d’énergie à l’entreprise, histoire de dire qu’on fait tous partie de la même aventure, « moi comme vous j’ai besoin d’y mettre mes tripes …et ma face ».

Est-ce que vous avez choisi de filmer la Cité des Bosquets en Seine-Saint-Denis parce c’est celle où vous êtes né ?

C’est surtout parce que je la considère comme le prototype des grands ensembles urbains en France. La cité des Bosquets a été une référence à sa création, elle a reçu le grand prix de Rome en 1959 qui est un immense prix d’architecture. Il y a toute une école intellectuelle qui pensait qu’en construisant ces grands ensembles on allait effacer la misère. Avec le temps, la cité est devenue une forteresse, un refuge, le seul endroit où les gens se retrouvent et sont vraiment à l’aise. Une fois en dehors de la cité, les jeunes sont complètement dépourvus, exclus de tous les autres champs sociaux. Par contre, quand ils sont sur leurs escaliers, ils sont indétronables, ils ont l’impression de ne plus subir toutes les exclusions dont ils sont victimes.

Ne vous êtes-vous pas senti trop décalé par rapport aux jeunes que vous filmiez qui, eux, n’ont pas fait d’études ?

On a justement filmé avec une petite caméra DV de reportage télé pour être discret et pas provoquer. Ca peut-être vraiment violent pour les gens de la cité de voir débarquer des tournages de cinéma avec leurs gros camions, l’argent à profusion… Nous, on voulait venir comme des ethnologues arrivent en pleine brousse africaine, le côté zoo en moins…Vous présentez le commerce du haschich comme un élément fondamental de la vie en cité.

C’est un ciment social, il y a des dizaines de milliers de familles dans les cités qui sans le commerce du shit tomberait dans la misère totale. Cette économie de substitution est une économie qui permet à bon nombre de familles de retrouver le respect. Les flics sont les premiers à le savoir et c’est pourquoi ils ne cassent pas trop le commerce de shit dans les banlieues.
Pourtant voir ces jeunes passer le plus clair de leur temps à trafiquer, c’est un peu désolant, non ?

Les jeunes qui dealent savent très bien qu’ils sont dans des rapports pétrifiés où on ne leur laisse pas trop le choix. On leur dit va t’inscrire à l’intérim et tu vas devenir un exploité parmi tant d’autres. Eux, ils veulent plutôt être libres tout en pouvant combler toutes leurs frustrations économiques. Quand t’es dans une société de consommation ultra-libérale, pour être considéré comme un individu à part entière, il ne s’agit plus de produire mais de consommer. Etant donné qu’on les estime comme des moins que rien, leur principal souci devient l’apparence. Et dans l’apparence, il y a de la tune qui part. C’est pas avec une paye à 7000 balles que tu vas te payer un survêtement Lacoste à 2500 !

Et si on regarde bien, ces jeunes se comportent avec le commerce du haschich comme n’importe qu’elle entrepreneur. Ils ne sont que le reflet de notre société capitaliste ultra-libérale dont ils ont adopté le mode de fonctionnement.

Doit-on considérer la sœur du héros qui déménage en dehors de la cité et est devenue avocate comme une exception ?

En réalité les filles s’émancipent et réussissent beaucoup mieux socialement que les garçons qui tombent souvent dans le piège de la délinquance. C’est pas évident quand t’es à dix dans un F3 ou un F5, et que t’es obligé de te battre pour faire tes devoirs, genre c’est chacun son tour sur la table de la cuisine. Souvent les garçons laissent leur place à la sœur pour éviter qu’elle sorte dehors et c’est eux qui se retrouvent dans la rue. Plutôt que de dépenser des fortunes à dynamiter les bâtiments, on devrait les repenser, faire de très grands appartements selon les besoins des familles. Y’aurait moins de lascars qui traîneraient dans la cité.

Vous filmez presque toujours les mêmes lieux, les halls et les entrées d’immeubles.

La cage d’escalier de l’immeuble, c’est un peu la devanture des mecs qui vendent du shit. C’est là où ils travaillent, c’est pour ça qu’ils ne la quittent pas. A partir du moment où ça devient un endroit commercial, ça devient un territoire à défendre pour garder la mainmise sur le commerce.

Votre film est aux antipodes de celui de Jean-François Richet, Ma 6-T va cracker. Lui préconise la révolution,  » La solution c’est la sédition « , choisit un angle spectaculaire, tandis que Wesh wesh… semble plutôt aborder la cité sous un jour moins contrasté, plus sociologique.

Je suis content que vous opposiez les deux films. La violence de Ma 6-T va cracker n’est pas justifiée. Moi je milite pour l’autonomie politique des quartiers, je soutiens le M.I.B. (mouvement de libération de la banlieue). Il est temps aujourd’hui qu’on considère la population des cités comme une population citoyenne capable de prendre ses responsabilités. Détruire ne sert à rien, tout se fait petit à petit. C’est plus lent, mais aucune révolution n’a changé les échelles hiérarchiques. Il y a toujours eu des dominants et des dominés. La révolution n’a jamais rétabli l’équité sociale.

En tournant Wesh wesh, on a évité d’être fasciné par la violence parce que c’est extrêmement dangereux et très démagogique. On a voulu, sans prétention, faire plutôt preuve de pédagogie. Déjà en considérant le spectateur comme un être doué de raison et non pas comme quelqu’un à caresser dans le sens du poil avec des images bien léchées. Richet a été victime de sa fascination pour la violence

Plus qu’un film de banlieue, Wesh Wesh… serait un essai de politique appliquée ?

J’avais juste l’ambition de ne pas ramener le cinéma uniquement à sa dimension artistique car c’est aussi un outils politique considérable. Les sociologues démontrent dans leurs ouvrages des choses pertinentes qui ne sont malheureusement destinées qu’à une élite cultivée. Quand on a commencé à travailler sur le film, nous pensions que ce savoir-là devait dépasser le cadre de l’université. Il y a une force, une liberté extraordinaire à travers le cinéma. Celui qui ne s’en rend pas compte et qui raconte uniquement des histoires d’amour à deux francs, c’est un bidon !

Propos recueillis pas

Lire notre critique de Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ?