Au commencement, le jeu vidéo était affaire de pionniers et d’explorateurs. Une affaire lucrative mais pas encore un business. Des bricoles de bricoleurs. Les micro-ordinateurs étaient alors des calculatrices programmables et les révolutions informatiques s’ourdissaient au fond des garages.


Inventeurs et concepteurs étaient underground et décalés. Des sortes de loups-garous, vampires ou momies voués au culte d’occultes galimatias : Hex, langage Machine, Pascal… De cette mélasse originelle émergèrent bientôt des princes, des principautés et parfois des royaumes. Quelques guerres de tranchées plus tard, ils ne restait plus que des empires structurés suivant la ligne Maginot du hardware. L’Occident avait la mainmise sur la micro, avec Commodore, Atari, Apple et IBM. L’Orient bipolaire faisait la pluie et le beau temps sur le fief des consoles, qu’elles soient Sega ou Nintendo. Et puis, l’Occident se bipolarisa à son tour pour ne laisser que deux familles d’ordinateurs : le Mac et le PC. Mais ces deux-là n’étaient pas très joueurs et les deux orientaux furent un temps les seuls remparts du jeu informatique. En Occident cependant, l’ordinateur le moins apte l’emporta, dans la course au jeu qui reprenait de plus belle. Le PC s’imposa à l’envers du bon sens, pour le jeu, comme pour le reste d’ailleurs. Des consoles essayèrent même d’émerger sur cette hémisphère ouest (Jaguar, CD32, CD-I). D’autres plus bâtardes tentèrent carrément de mettre un pied sur chaque hémisphère (3DO, Pipin). Rien n’y faisait, la fatalité était trop forte. La frontière semblait être à jamais close, les empires stabilisés et les compétences clairement partagées.

C’est alors qu’un nouvel empire se fit jour. La PlayStation allait casser la baraque. Une baraque qu’on imaginait inébranlable. C’en était fini du duel Sega/Nintendo, c’en était aussi fini de tout duel, puisque Sony instaura avec fulgurance sa loi aux yeux du « consolat ». Après l’Occident, c’était au soleil levant de connaître la malédiction du quasi-monopole. PC d’un côté, PSX de l’autre. Mac, Saturn et N64 paraissent aujourd’hui bien dépassés et bousculés dans la foire ludotronique. Alors que le marché du jeu vidéo n’a jamais été aussi alerte et rayonnant (ultime ironie historique pour le Mac, qui fut tout de même la première bécane multitâche, multimédia et multigéniale).
Nintendo a foiré son coup, fumant ses 64 bits d’une traite. Sa machine est arrivée trop tard sur un marché saturé de PlayStation. Qui plus est, les éditeurs et les développeurs n’ont jamais avalé la pilule de la cartouche et son système de royalties. En gros, Nintendo se croyait encore de droit divin alors que Sony venait de réformer l’ancien régime. La N64 s’est ramassée et se ramasse encore. Sa ludothèque est éloquente quant à l’étendue des désastres. Ses projets n’en finissent pas d’être ajournés, quand ce n’est pas l’avortement radical, à l’instar du périphérique magnéto-optique.

La Dreamcast est la réponse de Sega à l’humiliante domination de Sony. En trois mois, on ne peut pas encore taxer de contre-performance la Dreamcast, qui a dépassé les 300 000 exemplaires vendus au Japon. Toutefois, le démarrage est loin d’être aussi fulgurant que le lancement orbitale de la Saturn. C’en devient même inquiétant lorsque l’on tient compte de la tournure actuelle du marché. A l’orée du saturnisme, il était alors en récession, les 16 bits battant de l’aile. Le nôtre est toujours en expansion et si Sony bat de l’aile, c’est pour mieux s’envoler dans les charts. Au top ten nippon, la Play rafle huit jeux sur dix. Et les deux autres sont de confession Game Boy. Sony a bouffé 70 % du jeu vidéo. 15 % reviennent ensuite à la Game Boy. Les Dreamcast, Saturn et N64 s’entrelardent enfin pour les 15 derniers %. Et hormis la Dreamcast qui n’est encore sortie qu’au japon, cette répartition vaut pour toute la planète. Le calendrier des premiers jeux Dreamcast a beau être alléchant. Les softs ont beau étourdir et estomaquer leur monde. La PlayStation jouit désormais d’une assise, d’une fidélisation et d’une logithèque telles que le hérisson bleu s’y casse les épines. En contrepartie, l’insuccès à moitié mérité de la Saturn a marqué un discrédit dont Sega ne se remettra peut-être jamais. Une foule considérable d’échaudés se souviendra d’une certaine douche froide (la douche était d’autant plus froide que la confiance était profonde), en préférant attendre la future Sony grâce à la présente. Une future dont les kits de développement auraient déjà été dealés aux principaux activistes de la galaxie Play : Squaresoft, Namco, Psygnosis…
Une future qui n’est pas pressée de débarquer, de peur de faire de l’ombre à une grande sœur dont les jours ne semblent pas près d’être comptés. Une Sony qui selon tous pronostics et toute vraisemblance ne pourrait néanmoins retarder l’échéance plus d’un an encore. Une Sony qu’on affuble de noms diversement fantaisistes : PlayBase est le chuchotement actuellement en vogue, mais allez taper PlayStation2.com ou PlayStation2000.com sur le Web, et voyez comme on aboutit bizarrement sur le site super officiel de Sony (aucune fuite n’y transpire néanmoins). La console est donnée pour un peu plus décapante que la Dreamcast ainsi que pour une lectrice assidue de DVD-Rom (la Dreamcast ne dispose que d’un lecteur CD Haute Densité, soit d’1,4 Go contre les 17 Go d’un DVD). L’année de rab ne serait ainsi pas de trop pour profiter de la baisse des coûts de fabrication du DVD et pour agencer le positionnement de cette nouvelle génération par rapport à l’ancienne, qui semble rechigner à passer le flambeau. La compatibilité serait par exemple un frein technologique en plus d’une mauvaise affaire économique (pour Sony et consorts, ça va sans dire).

Nouvelle donne : le Nuon

Entre un plombier qui vit des rentes de sa Game Boy sans parvenir à se dépêtrer d’une N64 prématurément défraîchie et un hérisson qui bénéficie fort heureusement d’une division et d’un prestige inégalés en arcade, Sony pourrait aisément se reposer sur ses lauriers une bonne année durant. En les arrosant de temps en temps et en laissant planer l’ombre toute menaçante de la prochaine Play. Il pourrait du moins attendre de sentir le vent tourner et gronder la rumeur de la masse avant de lâcher son fauve. Pourtant, il y a bien un péril en la demeure. En provenance du nord américain et qui pourrait bien bouleverser de fond en comble la géostratégie du videogameland.
Cette menace tient en plusieurs noms et voudrait se présenter comme une révolution. VM Labs créé une race toute neuve de processeurs pluridisciplinaires ; ils décompressent le MPEG 2, gèrent la 3D comme pas un puisqu’ils se baladent en Ray Tracing et se débrouillent divinement en télécommunication, networking, etc. En somme, ce sont des cracks tout terrain, des processeurs qui comptent plus d’une corde hypertendue à leur arbalète. Nous les appelleront de technologie Nuon, car c’est ainsi que VM Labs l’a baptisée (autrefois Project X). Là-dessus, Motorola se porte acquéreur de la licence pour élaborer sa Blackbird, un terminal hybride. Aujourd’hui, on ne parle plus de Blackbird mais de Streamaster. Et voilà qu’est née la première machine architecturée Nuon. On y trouve bien sûr le chipset de VM Labs qui allie puissance calculante (1500 MIPS ; balayé le Pentium) et flexibilité surprenante (la technologie est aussi omnipotente qu’évolutive ; tout l’inverse du Pentium). On y retrouve en sus un PowerPC, le processeur RISC de Motorola et plein de petites babioles, des softs, des licences, des plugs-ins, des connectiques, des périphs en tous genres, pour faire à l’arrivée le plus gros monstre multimédia de tous les temps. Autant lecteur de DVD que console de jeu, boîte à Net que décodeur de TV numérique (par câble ou satellite), instrument didactique, pédagogique ou éducatif. Une console polymorphe qui rappelle à bien des égards nos chers ordinateurs d’antan, qu’ont devinait sans peine fruit d’un dessein, d’une vision, d’un délire ou d’une transe narco-shamanique. Nuon ressemble un peu à ça : un fantasme d’une petite troupe d’ingénieurs sur le sentier de la guerre. Une clique de losers qui aspirent à la revanche (VM Labs rassemble un nombre alarmant d’anciens de la Jaguar, la 3DO, de Commodore ou du Z88). Cerise sur le gâteau, la technologie Nuon possède son propre système d’exploitation (un certain OS/9000), et tourne volontairement le dos à Windows (contrairement à la Dreamcast qui se directiX avec W-CE).

Outre Motorola, qui a d’ores et déjà annoncé la commercialisation de la Streamaster vers la mi-99, Thomson et Toshiba sont sur les rangs du Nuon. D’autres constructeurs sont censés suivre. Les éditeurs ne sont pas en berne, du reste, et l’un des premiers jeux codés sur Nuon se prénomme Tempest 3000 ; par le créateur de l’original, le mythologique Jeff Minter. Chez VM Labs, on s’étouffe d’enthousiasme et l’on prédit que le circuit Nuon noyautera la moitié des platines DVD, d’ici la fin de l’année. Pour s’en convaincre, il suffit ainsi de savoir que la confection d’un tel circuit n’est pas plus onéreux qu’une simple carte de décompression MPEG2. Vu comme ça, c’est sûr…
Tout ceci pour dire que Sony va probablement devoir se secouer les puces, s’il veut prouver qu’il n’est pas là sur un malentendu. Un chouia de concurrence se profile donc à l’horizon du 21e siècle. Souhaitons la barbare et jamais fair-play. A la fin, de toute façon, il ne peut en rester qu’un.


Streamaster :
http://208.21.175.63/index.cfm
http://www.motorola.com/semi/streamaster

Homepage de Jeff Minter :
http://www.magicnet.net/~yak/

VM Labs :
http://www.vmlabs.com

Tout sur le Nuon :
http://www.gti.net/hysteria/nuonline/