Le quatrième film de Pierre Salvadori, Les Marchands de sable, tranche par sa noirceur avec les précédents. Le réalisateur, connu pour son burlesque décalé, explique sa démarche, qui n’est ni un changement dans ses thèmes, ni une nouvelle direction dans son cinéma.


Chronic’art : Ce qui frappe par rapport à vos précédents films, c’est la disparition de l’humour. Etait-ce prévu dès le départ ?

Pierre Salvadori : L’idée était de faire un film noir. Susciter le rire n’était pas le propos.

C’est tellement noir qu’on y cherche une note d’espoir. Vous ne vouliez pas en laisser une petite ?

Il me semble qu’il y en a une. Car c’est l’histoire de quelqu’un qui s’engage, qui dit « non, je ne veux pas rentrer dans ce système ». Il fout le feu au début du film et raconte ce qui s’est passé. Il renonce à un système qui avait fini par triompher de lui. Dans les films noirs, c’est plutôt un affrontement entre le bien et le mal. Ici, sur cette place du 18e, le mal a déjà gagné.

Le film est aussi une sorte de documentaire sur l’économie de la drogue ?

Plus généralement, c’est un film sur le triomphe de l’économique. J’ai essayé de construire une métaphore à propos de personnes prisonnières d’un système qu’ils alimentent eux-mêmes.

Le mensonge, votre thème récurrent que l’on retrouve ici, est un prolongement de cette métaphore ?

C’est avant tout ça, puis c’est quelque chose propre au trafic de drogue. Il y a toujours une part de trahison, même avec ses meilleurs amis, on est dans une relation tronquée.

Vous aviez une connaissance de ce milieu ?

Pas tellement du milieu des machines à sous et du détournement d’argent, mais du trafic de drogue, oui.

Dans votre regard, vous ne jugez pas vos personnages, mais vous les faites mourir. Vous ne craignez pas que ce soit pris comme un châtiment moral, une punition ?

C’est tout sauf une punition. Ce sont les victimes d’un système qu’ils nourrissent eux-mêmes. Même Xavier, j’espère qu’il est touchant quand il commence à aimer Marie et qu’il ne peut pas. Le système que lui-même alimente lui interdit l’amour.

On a l’impression que le personnage de Guillaume Depardieu est celui des Apprentis, pris quelques années plus tard, avec même l’idée de la colocation…

Un Fred qui aurait mal tourné, oui… C’est parce que Guillaume a toujours cette même personnalité à part, très sensible.

Comment Nicolas Saada (journaliste aux Cahiers du cinéma et chez Radio Nova) en est venu à participer au scénario ?

En fait, j’ai écrit Les Apprentis avec un article de lui scotché à mon bureau. C’était un article sur Raining stones. Je ne suis pas très fan de Ken Loach, mais l’article était plus beau que le film. Ensuite, il travaillait pour l’unité fiction d’Arte, on s’est rencontrés une ou deux fois. Il m’a dit qu’il voulait se lancer dans l’écriture de scénario, donc je lui ai proposé d’écrire avec moi. On a fait toute la construction ensemble, moi j’ai fait l’adaptation et les dialogues. Et il me donnait plein de cassettes, des films noirs.

Les références principales, alors ?

Peut-être Robert Wise, Nous avons gagné ce soir, ou The Big heat (Le Grand sommeil). On regardait ces films tout en écrivant.

Y a-t-il une différence entre l’histoire à la base et le film terminé ?

Non, c’est la première fois que j’étais aussi proche de l’idée que je me faisais d’un film.

Donc un résultat très différent de Comme elle respire, où vous disiez que c’était presque l’inverse de votre idée de départ ?

Là je suis content, on est allé au bout d’une façon de faire, on a eu une rigueur à laquelle je tenais beaucoup.

L’utilisation de la musique (du dub) est complexe. Quelle est l’idée derrière ? Un contrepoint « cool » à l’action ?

Le dub, c’est très urbain et étrange. Si on le met sur une scène triste, il devient triste, sur une scène enfantine, il devient léger. Pour une fois, je n’ai pas eu peur que la musique amorce ou accentue les effets, d’assumer la mise en scène, le côté fiction.

Le film a bénéficié de peu de moyens. C’était voulu comme une série B ?

Une série C même… un peu plus d’argent aurait été bienvenu, c’est certain ! Mais au départ, ça devait être un téléfilm pour la série d’Arte « Gauche/Droite ». Puis on s’est rendu compte que la mise en scène distillait une lenteur dans le récit, l’histoire commence doucement. Je savais qu’il fallait que le film dure une heure et demie et non pas une heure.

Vous ne craignez pas que votre public soit décontenancé par votre changement de style ?

Il sera décontenancé, mais peu importe. Les metteurs en scène que je préfère sont ceux qui ont été capables de changer de registre.

Vous allez persister dans cette voie ?

Non, le prochain sera une comédie. C’est très vague, mais j’aimerais bien faire un film sur la stratégie amoureuse, sur une fille qui fait tout pour avoir quelqu’un.

L’opposé de Comme elle respire où ils font exprès de se perdre…

Exactement. Là, elle va tout faire pour ne pas le rater !

Propos recueillis par

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