Malgré les stages, conférences et autres diaporamas, les Rencontres internationales de la Photographie n’en restent pas moins très intéressantes. Jusqu’au 20 août c’est l’occasion idéale de découvrir la merveilleuse Arles et ses expositions photo de grande qualité.

Pour les Rencontres 2000, Gilles Mora, directeur artistique de l’événement propose à travers le thème La Photographie traversée, une vingtaine d’expositions illustrant trois différents parcours : Résonances, Croisements et Disparitions.

Tina Modotti et la Renaissance mexicaine est l’exposition phare de ces rencontres. Présentée dans le cadre de Résonances, elle nous fait découvrir le Mexique des années 20. Natures mortes, portraits… une centaine de photographies, pour la plupart présentées en exclusivité, nous rappelle comment, au début du siècle, les idéologies politiques accompagnaient souvent une avant-garde artistique. Tina Modoti s’implique alors dans un Mexique en devenir et participe à la révolution avec son boîtier photo. Elle nous livre autant de documents précieux sur la mémoire d’un pays avec le regard d’une militante politique.

Changement de cap avec le travail de Sophie Calle. Présenté dans le cadre de Disparitions, Souvenirs de Berlin-Est fonctionne comme un écho au travail de Modoti. Son travail est en effet orienté sur la disparition des symboles historiques et politiques de l’ex-Allemagne de l’Est. Les photos sont accompagnées d’un texte en dessous duquel est montré le monument avant sa détérioration, sa transformation ou sa disparition. Ses témoignages sont tout aussi sensibles que politiques. Sophie Calle ne se contente pas de faire un inventaire ni un répertoire, cette série semble être un prétexte qui lui permet de continuer son œuvre sur le thème de l’identité. Elle utilise, sous forme d’enquête cette mémoire collective pour se retrouver elle-même. Les travaux présentés illustrent à merveille notre manière de percevoir l’histoire, entre encyclopédie, mémoire collective et mémoire intime anecdotique.

Toujours dans le cadre de Disparitions, les symboles laissent place aux souvenirs du Japonais Seiichi Furuya. Il nous offre une décennie de portraits de sa compagne Christine Gossler, juste avant, qu’atteinte d’une grave maladie, elle ne se suicide. Photos couleurs, noir et blanc, portraits en pied ou gros plan, ce parcours photographique est orienté dès le départ vers une déchéance physique du modèle. Les photos sont présentées comme des témoignages puissants, cela aurait pu être une fiction… le résultat est le même pour le spectateur qui prend le chemin du macabre. Seiichi Furuya a sélectionné dans ses stocks d’images celles illustrant le plus son parcours amoureux et intime entre sa femme et le regard confiant qu’elle porte sur l’objectif et donc sur le spectateur. Mais là où la présentation est assez maladroite, c’est qu’elle nous pose dès le départ en position de voyeur, presque soulagé de finir le parcours pour aller voir d’autres expos, alors que la dernière image est celle d’une femme à la veille de sa mort. On a presque oublié que Furuya est photographe ; les qualités plastiques de ses photographies sont kidnappées par le propos de l’exposition qui n’avait pas besoin d’un épilogue tragique comme caution artistique.

C’est dans Croisements que la photographie se libère du réel et de sa représentation, laissant place à une photographie quasi picturale : support, taille, développement sont tout aussi importants que le fond et la forme des projets présentés. Les travaux de Robert Heinecken, empruntant à Dada le collage et la recomposition, sont souvent trop marqués par l’esthétique 80. Sa série Recto Verso présente sur une même photo les deux faces d’une page de magazine. Une pub Chanel se retrouve mixée avec une scène de guerre, mélangeant le rêve marketing et une tragique réalité. Sa démarche, un peu trop systématique, le fait basculer dans l’anecdotique à tendance politique, bref, dans pas grand-chose ! Mixer ne veut pas toujours dire créer.

Toujours dans ce thème des Croisements, les travaux de Jean-Michel Alberola, auteur de l’affreuse affiche des Rencontres 2000, nous laissent de glace. Son travail, présenté dans l’église des Jésuites, mêle peinture et photographie… et nous ennuie. Les photos présentées dans la chapelle Saint-Martin du Méjan nous transportent alors vers une vision plus contemporaine et bien plus vivante de la photographie. Les écrans de télé photographiés par Gunther Selichar nous offre à contempler une photographie abstraite, sombre et énigmatique. Une paire de bas saisit par Annika von Hausswolf flottent dans un lavabo comme des intestins et brouillent notre perception du quotidien.

La série Nightarc de David Deutsch nous invite à découvrir de bien étranges paysages. Maisons photographiées dans leur sommeil, photos saisies d’un hélicoptère : un énorme projecteur comme celui employé par les policiers américains dans des courses-poursuites, souligne, dans un rond lumineux, jardins et voitures d’une ville endormie. Le regard photographique survole ces parcelles d’individualités et donne à ces clichés une atmosphère tendue entre reality show et films de David Lynch.

Les Rencontres internationales de la Photographie sont tellement riches, que deux journées sont idéales pour déguster toutes les expositions. L’occasion aussi de visiter la ville qui ouvre cloîtres et églises à d’innombrables clichés. Cet événement nous pousse à (re)penser la photographie, son histoire, son rôle, ses multiples pratiques. Les expositions, vues indépendamment ou en relation, sont autant d’articulations d’émotions, de témoignages, de regards mais surtout de sens.

Les 31e Rencontres internationales de la Photographie ont lieu jusqu’au 20 août 2000