Après Jonathan Safran Foer et Junot Diaz, Peter Manseau, essayiste américain et étudiant en théologie de 37 ans, arrive en France avec une nouvelle invention de ventriloquisme littéraire : Itsik Malpesh, un vieil homme qui se présente comme « le plus grand poète yiddish vivant d’Amérique ». Rencontre.

Un mauvais poète russo-moldave, né à Kichinev, qui a vécu la montée de l’antisémitisme pendant la Première Guerre Mondiale, a essuyé plusieurs pogroms avant de fuir pour New-York dans les années 1930 pour travailler dans une usine de vêtements avec les fameux Sweatshop poets, un groupe de poètes ouvriers. De sa vie, il a fait une légende, croyant dur comme fer à son talent et à sa « bashert », sa destinée : Sasha, la fille du boucher… Quand le narrateur, jeune bénévole dans une association culturelle juive, le rencontre, c’est pour sauver de la destruction des livres en yiddish stockés à Baltimore, près de chez Malpesh, dans la « Bibliothèque des Rêves Brisées ». Rapidement, le vieux poète l’embauche pour traduire ses mémoires. Il raconte comment Sasha, à cinq, l’a sauvé de la furie des Moldaves, en levant son petit poing fièrement. Comment toute sa vie, ou plutôt sa survie, s’est construite autour de deux buts : percer comme poète yiddish et retrouver cette fille dont il est tombé amoureux sans l’avoir jamais vue. Et comment, enfin, quand il la retrouve, elle s’indigne contre cette idée, liberticide, d’amour déterminé. Décidé à ne pas sombrer dans le cliché du « premier roman autobiographique », Peter Manseau, fils d’un prêtre et d’une nonne (!), signe avec Chansons pour la fille du boucher une extraordinaire autobiographie fictive et une anti-histoire d’amour. Alternant les notes du traducteur (plus que des notes, le récit de sa découverte de la culture yiddish, de la traduction) et les mémoires du vieil homme, il nous entraîne dans une magnifique réflexion sur le pouvoir magique de la traduction et de l’écriture, sur l’identité et le destin. Rencontre avec un jeune écrivain intelligent, ouvert sur le monde, en quête permanente de nouveaux territoires.

Chronicart : Itsik Malpesh, le personnage principal de Chansons pour la fille du boucher, a souvent été comparé au Alexander Perchov de Jonathan Safran Foer et à l’Oscar Wao de Junot Diaz. On parle souvent à leur sujet de « ventriloquisme littéraire ». Quel est l’intérêt de créer un tel personnage ? Comment l’idée vous est-elle venue ?

Peter Manseau : Je suis très flatté par ces comparaisons, même si je dois admettre que je n’ai pas lu les livres de Foer et Diaz. Je ne m’intéresse pas trop à la littérature contemporaine. J’ai bien sûr une idée des auteurs du marché et de ce qu’ils écrivent, mais je ne fais pas partie de ces auteurs qui regardent sans arrêt ce qui est publié. Ce que j’ai voulu faire, et qui me rapproche de Safran Foer ou Junot Diaz, c’est créer un personnage qui n’a rien à voir avec moi. Je pense que j’ai voulu éviter de coller à cette idée très répandue que le premier roman est forcément autobiographique. Je voulais inventer un personnage d’un autre âge, mais aussi d’une autre origine et d’un autre pays que moi. M’intéresser à quelque chose de très éloigné de mon univers et expérimenter cette différence.

Vous avez travaillé dans une association culturelle juive comme le personnage du traducteur dans votre roman. Est-ce avec ce travail que vous êtes entré en contact avec la culture yiddish ? Comment cette expérience a-t-elle inspiré l’invention d’ Itsik Malpesh ?

J’ai étudié la religion à l’université, mais cette branche ne m’a jamais donné un métier. Alors, après la fac, j’ai commencé à travailler dans une association culturelle juive de mon quartier, qui récoltait les livres en hébreu ou en yiddish. Je connaissais l’hébreu, et c’est là que j’ai découvert le yiddish. Comme j’avais fait pas mal de petits boulots et que je savais conduire les gros camions, ça a été un plus pour que l’association m’embauche. Ils m’ont demandé de sillonner la côte Est à la rencontre des personnes qui avaient conservé des livres en yiddish et en hébreu, souvent tout au long de leur vie, et souhaitaient en faire don. Ces personnes avaient souvent été élevé dans un environnement yiddish, mais avaient ensuite déménagé aux Etats-Unis, appris l’anglais, et beaucoup d’entre elles ne lisaient plus cette langue. Je me suis alors demandé en quoi ce qu’il y avait dans ces livres était si important pour eux ; je me suis assis et j’ai commencé à lire. J’ai été étonné de voir que ces histoires en yiddish, écrites souvent il y a plus de 70 ans, dans un autre pays, faisaient écho à mon expérience. J’avais l’impression qu’elles avaient été écrites pour moi. Quand j’ai inventé Itsik Malpesh, je voulais qu’il soit proche des personnes que j’avais rencontrées, mais aussi qu’il soit quelqu’un qui aurait pu être l’auteur de ces histoires précieusement conservées. Je me suis inspiré des personnages et des poètes, plus ou moins connus, que l’on retrouve dans la littérature yiddish. Et puis je voulais créer un personnage obsédé par l’oubli ; l’oubli de ce qu’il a écrit, mais aussi l’oubli de sa langue. Quelqu’un qui assiste à la mort de la langue dans laquelle son œuvre et lui ont été créés.

Le personnage du traducteur, le second narrateur du livre, vous ressemble beaucoup. Pour travailler dans cette association, il a dû mentir, faire croire qu’il était juif… Avez-vous eu la même expérience ? Il affirme aussi : « Vous pouvez faire partie d’un communauté, si vous parvenez à devenir le miroir des gens autour de vous ». Est-ce la méthode que vous adoptez avec ce livre ?

Je voulais vraiment écrire pour deux communautés : celle qui a grandi dans la langue yiddish, mais aussi ceux qui n’y connaissent absolument rien. J’ai vu ici une occasion d’écrire une histoire yiddish qui pourrait avoir une dimension universelle. Je pense que c’est pour cela que la traduction tient une place aussi importante dans le livre. Le rôle du traducteur, de l’écrivain, est d’expliquer un ensemble de croyances à des personnes qui pensent différemment. Il m’a semblé que c’était un rôle très utile, puisque même si les gens ne partagent pas ces croyances, ils seront toujours fascinés par l’idée de vivre avec une autre appréhension du monde. Je voulais être ce lien.

La traduction, du yiddish à l’anglais, joue un rôle important dans le livre. Elle est décrite comme un acte intime, mais aussi comme une trahison. A un moment, vous citez un spécialiste de Dante pour qui la traduction est soit du plagiat, soit un acte de beauté. Pour vous, quel est le pouvoir de la traduction ? Quelle relation entretenez-vous avec les langues ? On pense notamment à la dimension que vous donnez aux notes du traducteur, qui sont en fait une histoire dans l’histoire, et donnent à la traduction une place centrale dans le roman…

Quand je travaillais sur ce livre, je lisais un essai théorique sur la traduction, le sens de la traduction. Et au fur et à mesure, je me suis forgé cette idée que l’écriture en soi est un acte de traduction, de communication. Parce que mes pensées sont uniques pour moi comme les vôtres le sont pour vous. Et dans un certain sens, c’est également le cas avec la langue. J’avais donc l’impression que mon travail consistait à atteindre des pensées, à l’intérieur, et à les traduire dans un langage extérieur. C’est ça, le processus d’écriture. Quand vous avez ce livre parfait dans la tête et que vous devez trouver les mots pour le faire advenir. Sauf qu’une fois écrit sur une page, ce « livre mental » a changé. Le donner au lecteur, c’est accepter de transformer ce livre parfait dans votre esprit. Et plus je pensais à cela, plus je voyais l’écriture comme la clé de tout : de notre existence, de notre culture, de la possibilité de communiquer sur nos différences et de les dépasser. C’est de cette réflexion que vient l’obsession de ce roman pour la traduction. Mais aussi pour des raisons plus pragmatiques : j’ai eu à faire à toutes ces langues différentes, mais en fin de compte je ne parle couramment que l’anglais. Donc finalement, ma seule manière d’appréhender le monde, de jouir de l’existence, passe par la traduction. Quand j’ai réalisé comment toute ma vie intérieure, mes réflexions, ont été formées de cette manière, j’ai compris que je devais faire de la traduction le sujet central du livre.

Dans les mémoires d’Itsik Malpesh, l’acte de traduction semble être à la fois une perte d’identité et une manière de dépasser cette identité.

Il y a quelqu’un qui a défini la traduction comme un « cercle de sens », affirmant que la traduction permettait d’apporter plus de signification. Et donc, sans doute, quelque chose est perdu. Mais je pense que dans le cas d’Istik Malpesh, il y a effectivement cette peur de perdre quelque chose dans son travail, mais aussi la peur de se perdre soi-même, sa propre voix. Que devient-il si le monde qu’il a créé n’existe plus sur le papier ? Mais il ne s’agit pas seulement de la peur de voir son histoire ou son travail transformés : il s’agit aussi de ce que les gens vont penser de ce travail une fois traduit et qu’il ne comprendra pas, puisqu’il ne parle pas anglais.

Le personnage du traducteur confie à Istik Malpesh qu’il a appris le yiddish pour devenir quelqu’un de nouveau. Est-ce que vous, fils d’un prêtre et d’une nonne, d’origine canadienne, vous vous êtes intéressé à la traduction du yiddish pour devenir quelqu’un de nouveau ?

Je pense qu’apprendre de nouvelles langues est sans doute la meilleure façon de se réinventer. La possibilité de s’exprimer avec des nouveaux mots, cela change votre identité et la façon dont vous vous voyez. Je n’ai pas immigré moi-même, donc je ne peux pas dire si c’est totalement juste, mais dans les histoires d’immigration que j’ai lues, il semble qu’il ne s’agisse pas seulement de changer de langue, mais de changer totalement son rapport au monde. J’ai lu dans un essai théorique que l’océan est le meilleur traducteur, puisqu’en vous entraînant d’une rive à l’autre, il participe à vous traduire en vous emmenant très loin de ce que vous avez pu être auparavant. Et c’est sans doute une expérience très répandue dans l’histoire de l’immigration aux Etats-Unis. Des personnes qui laissent derrière eux leurs noms, leur travail, leur famille mais aussi leur langue, leur manière de vivre et de penser, et se réinventent complètement. Cette histoire est également celle de ma famille, et ce roman me permet d’y penser de manière universelle, pas autobiographique.

Parlons de l’influence de la culture. La croyance qui domine ce livre, c’est le destin, « bashert » en yiddish. L’idée que Sasha, la fille du boucher, que Malpesh n’a presque jamais connu et qui lui aurait sauvé la vie, est sa promise. Cette idée, plutôt romantique en général, tend à créer du désespoir et à entraîner Malpesh à de mauvaises décisions. Pourquoi avoir choisi de retourner cette croyance ?

Au départ, je voulais écrire une histoire d’amour. Je me suis dit que beaucoup d’histoires d’amour reposent sur cette idée que deux personnes sont faites pour se rencontrer. J’ai voulu questionner cette affirmation. Car le mauvais côté du destin, c’est que c’est un piège. S’il est écrit qu’on est destiné à vivre avec quelqu’un, alors quel choix avons-nous vraiment ? Si on attend cela de l’amour, de la romance, alors il faut aussi s’interroger sur notre conception du libre-arbitre. Je voulais explorer ce côté obscur de l’amour. Dans la culture yiddish, il y a l’idée que Dieu a écrit votre nom à côté de celui de quelqu’un d’autre avec qui vous devez vous marier. Mais c’est aussi une idée universelle. Je voulais que quelqu’un dans le livre se batte contre cela et réfléchisse à ce que ça implique. Pour que Sasha et Itsik se rencontrent, il a fallu beaucoup de morts, de guerres, et Sasha s’insurge contre cet état de fait ; il fuit Malpesh pour vivre en Israël. Quelque part, je suis plutôt d’accord avec ce que Sasha dit sur le libre-arbitre. Sauf que malheureusement, à la fin, c’est Istik qui semble avoir raison.

Une grande partie du roman est consacrée à la naissance de la vocation d’écrivain d’ Itsik Malpesh. On le voit notamment à la yeshiva, lire des pages des romans de Tolstoï cachées derrière ses livres religieux… L’apprentissage de la vocation d’écrivain semble passer par un rejet de la tradition, de la religion. Pensez-vous que c’est essentiel pour s’inventer soi-même ?

Je vois la religion comme une sorte de langage, un ensemble d’idées dans lequel on se forme. Je ne pense pas que la religion doive être mise de côté. Pour mes personnages, qui sont nés dans un milieu très traditionnel, c’est une expérience de détachement très commune, qui se fait par l’immigration mais aussi par le fait de grandir. Cela m’est également arrivé, ayant grandi dans un milieu catholique traditionnel, même s’il n’est pas très traditionnel qu’un prêtre épouse une nonne… Quand j’ai décidé d’être écrivain, j’ai aussi dû mettre de côté cette éducation catholique. Mais quand j’ai commencé à écrire, c’était encore des histoires de religion, de foi. Je suis très reconnaissant à mes parents de m’avoir donné ce point de départ. Et c’est sans doute pour cela qu’Itsik Malpesh, comme moi, rejette d’abord cette éducation sans jamais arriver à s’en détacher.

On peut donc dire que même s’il ne s’agit pas d’une autobiographie, il s’agit quand même de vous ?

C’est sûr. Même si je ne voulais pas que ce soit évident, je voulais jouer avec l’idée que cela pourrait en être une. Qu’un des personnages du roman, le traducteur, pourrait être moi. C’est là toute la richesse de la fiction : la possibilité de faire douter le lecteur de ce qui est vrai ou pas.

Istik Malpesh aussi pourrait être vrai. Son enfance à Kichinev rappelle les histoires d’Isaac Bashevis Singer. Je crois aussi que les poètes que Malpesh rencontre à la fabrique de vêtements à New York sont assez proches des fameux Sweatshop Poets, non ?

Oui. Bashevis Singer et les Sweatshop Poets m’ont beaucoup inspiré. Les Sweatshop Poets étaient un groupe d’immigrants yiddish du début du XXe siècle, la plupart ont vécu à New York. Ils travaillaient dans les usines d’habillement comme tailleurs, 15 heures par jour, puis ils rentraient chez eux épuisés. Certains trouvaient le temps et l’énergie d’écrire de la poésie. C’est une histoire qui m’a beaucoup ému.

Pourquoi avoir fait de Malpesh, qui s’autoproclame « le plus grand poète yiddish », un mauvais poète ?

C’était trop facile de créer un bon poète, et aussi moins intéressant : un bon poète écrit parce qu’il est apprécié et que le monde a besoin de ses poèmes, mais le mystère reste entier sur les motivations du mauvais poète. C’est ce que je voulais découvrir avec Istik Malpesh. Pourquoi continue-t-il à écrire ? Pourquoi croit-il que ses écrits vont lui permettre de séduire la femme qu’il aime ? Au départ, il est porté par cette illusion d’être bon. Et finalement, même s’il est mauvais et ne vend jamais rien, l’écriture l’aide à survivre et le ramène à Sasha, la fille du boucher. J’aurais aimé inventer un génie et inclure des magnifiques poèmes dans mon livre. Mais à vrai dire, je ne suis pas un bon poète. Donc, je n’avais pas vraiment le choix (rires).

Le besoin de sauver la culture yiddish apparaît essentiel dans votre roman. Dans le travail fait à l’association culturelle, mais aussi dans la « Bibliothèque des Rêves Brisés » à New York. La fin du livre, qu’on ne révèlera pas, interroge aussi la possibilité et l’intérêt de tout sauvegarder…

Je comprends ce besoin de conservation car j’aime les livres et, manifestement, j’ai fait ce travail. Mais ce que j’ai compris à l’association juive, en collectant tous ces livres, en les empilant par milliers dans cet entrepôt, c’est que cette victoire de la conservation est également une défaite. Beaucoup de ces livres qui ont été sauvés sont restés dans cet entrepôt et personne ne les a plus jamais lus. Je me suis demandé quelle était la différence entre cette prétendue sauvegarde et le fait de tout détruire. Je ne voulais pas que les personnes qui préservent l’héritage yiddish apparaissent forcément comme les héros de mon livre. Ils font un travail courageux, mais ils ne parviennent pas vraiment à accomplir ce qu’ils essayent de faire. Pour la culture yiddish, le mal a déjà été fait. Sauver des millions de livres, c’est un grand pas, mais ça ne veut pas dire qu’on a sauvé une culture. C’est pourquoi dans le roman, les choses ne se terminent pas vraiment comme on les aurait imaginées.

Et en quelque sorte, c’est une forme de délivrance pour Istik Malpesh. On a l’impression qu’à la fin du livre, il se sent enfin prêt à vivre cet amour qu’il avait imaginé dans ses poèmes…

Ce qu’il advient à la fin du roman de la « Bibliothèque des Rêves Brisés’ peut se lire comme un parallèle avec l’arrivée de Malpesh aux Etats-Unis, quand la précieuse malle qu’il devait livrer à un grand patron d’imprimerie sombre dans l’océan. Il s’agit pour Malpesh de l’échec et la perte liés à l’expérience de l’immigration et de l’écriture des espoirs perdus. Ces deux événements, c’est aussi pour moi une évocation de ce que c’est qu’écrire. Quand on est là, à se dépatouiller avec ces lettres, et qu’on a l’impression d’être perdu dans un nuage de lettres… Et dans les deux cas, l’immigration et l’écriture, c’est un peu comme un piège. Itsik Malpesh et moi vivons la même chose. Sauf que moi, j’écris parce que je crois vraiment au pouvoir de transformation de l’écriture.

Les mémoires d’Istik Malpesh occupent la moitié du roman. Et en même temps, dans ses notes, le traducteur passe son temps à suggérer que Malpesh a complètement arrangé à sa sauce des détails de sa vie. Vous enseignez l’écriture de mémoires à l’université : pensez-vous qu’écrire ses mémoires, c’est forcément écrire une fiction ?

Complètement. Ayant moi-même écrit mes mémoires, j’ai été confronté à ce problème de vérité, d’exhaustivité. Même quand on essaye d’écrire les faits, le processus de la narration ne permet pas toujours de les retranscrire comme ils se sont déroulés. On n’arrive jamais à trouver les mots exacts, seulement quelque chose de similaire ; mais la vie n’est pas similaire, elle est ce qu’elle est. Dans mes cours, je rapproche l’acte d’écrire des mémoires du journalisme. On recueille des témoignages de sa famille, des documents. Mais dans le simple fait d’écrire, ce travail d’objectivité s’écroule. On transforme les choses. Dans mon roman, je veux que le lecteur comprenne que les mémoires de Malpesh, qui se considère comme le dernier grand poète yiddish, ne sont pas écrites dans le but d’être vraies, mais dans l’objectif de les rapprocher le plus possible des récits autobiographiques d’autres poètes yiddish. Et c’est pour cela que cette idée est présente dans les notes du traducteur.

Ses mémoires apparaissent également comme un acte de guérison. Il revient sur son passé, remet en cause ses choix. Une forme de psychanalyse…

Oui, je pense que pour lui, c’est un acte de rédemption, d’autojustification. Il a fait beaucoup de mauvais choix, mais il ne s’est jamais vu ainsi. Il pense que c’est le monde qui l’a amené à se conduire de telle ou telle façon. Il ne veut pas écrire l’histoire de « comment j’ai fait de mauvais choix », mais l’histoire de sa survie.

Sur quoi travaillez-vous à présent ?

J’aime travailler en même temps sur une oeuvre de fiction et un essai. Le premier est un essai sur l’histoire des États-Unis à travers le regard d’un groupe non-chrétien. Beaucoup de personnes aux États-Unis clament haut et fort que ce pays est chrétien, mais je pense qu’affirmer cela, c’est ignorer beaucoup d’autres cultures et religions qui ont contribué à la culture américaine. Et en même temps, je travaille sur mon prochain roman, que j’appelle mon « roman chinois » : il se passe en Chine, dans les années 1970. J’aime explorer cette idée du rôle de la croyance et de la non-croyance sur la vie des gens. Dans cet environnement où il n’y avait originellement pas de croyance, car la religion était interdite. Mais ça m’intéresse de voir comment elle a quand même influencé les gens, individuellement. Il y aura aussi une histoire d’amour. Et d’aventure…

Propos recueillis par

Chansons pour la fille du boucher, de Peter Manseau
(Christian Bourgois)