A 45 ans, l’acteur Pascal Greggory se trouve trop jeune pour qu’on lui rende un « hommage ». Les Rencontres internationales du Cinéma de Paris, du 25 octobre au 5 novembre, lui ont pourtant demandé de sélectionner des films de sa carrière, et d’autres qu’il voulait faire connaître. Dans les deux cas, l’acteur a saisi l’occasion de présenter des œuvres rares ou représentatives de ses goûts éclectiques. Il explique ici ses choix, souvent dictés par le seul plaisir.


Les Sœurs Brontè d’André Téchiné (1979)

Pascal Greggory : J’ai trois périodes dans ma vie d’acteur. Les deux films importants que j’ai tourné dans ma « première période », quand j’avais 20-25 ans, sont Les Sœurs Brontè et Pauline à la plage. Les Sœurs Brontè, c’était le haut et le bas. Personne ne me connaissait alors, j’avais le premier rôle entouré de trois actrices célèbres (Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Marie-France Pisier). On est allé au Festival de Cannes, c’était un rêve d’acteur. Mais la chute a été aussi forte, parce que je n’ai pas travaillé pendant deux ans. C’est très significatif d’une carrière de jeune acteur qu’on monte au pinacle et qu’on oublie après. Peut-être qu’on prend un peu la grosse tête, on ne fait plus d’efforts, on va moins vers les gens. Il y avait aussi une supercherie sur ce film, un malentendu volontaire. Il a été vendu comme un film avec trois actrices alors que c’est surtout l’histoire du garçon que j’interprète, Branwell.

Pauline à la plage d’Eric Rohmer (1983)

J’ai rencontré Rohmer sur une pièce de théâtre qu’il a mise en scène, Catherine de Heilbronn. C’était comme un mentor, il m’a beaucoup apporté sur un plan humain. A l’époque, on ne se rendait pas compte de l’impact qu’il allait avoir sur le cinéma.

Le Temps et la Chambre de Patrice Chéreau (1992) et Une autre solitude de Stéphane Metge (1995)

Ma collaboration avec Chéreau marque le début d’une deuxième période. Je l’ai rencontré sur la pièce Hamlet en 1987. Je crois qu’il ne m’aimait pas comme acteur. Pour lui, c’était un pari. Il m’a fait m’aimer plus et plus aimer les autres. De mon travail avec Chéreau, j’ai voulu montrer ce que les gens connaissent moins ; de plus, dans ses films, je n’ai pas le premier rôle. D’où ce choix centré sur notre collaboration au théâtre. Le Temps et la Chambre est une pièce de Botho Strauss, avec Anouk Grinberg, qui a le premier rôle. Une autre solitude est un documentaire sur les répétitions de Dans la solitude des champs de coton. Stéphane Metge était premier assistant de Chéreau. Il a tout filmé, des premiers jours, à la table, jusqu’à la première. C’est passionnant, et rare, car d’habitude il y a trop d’acteurs pour pouvoir faire cela, alors que là il n’y a que Chéreau et moi.

Zonzon de Laurent Bouhnik (1998)

C’est ma troisième période, l’indépendance : plus besoin de mentor. Je sors de l’univers de Chéreau, j’ai un premier rôle, je me suis amusé à le faire. Enfin, j’aime travailler avec un jeune metteur en scène ; on découvre les choses en même temps. Mon personnage dans Zonzon est une composition « à l’américaine ». Ce rôle n’était pas gagné, je ne connaissais pas le milieu carcéral. D’ailleurs, quand Laurent Bouhnik m’a vu arriver la première fois, il s’est dit : « Non, ce n’est pas le personnage. » (Il me l’a avoué après.) Alors je me suis renseigné sur la vie en prison, j’ai par exemple rencontré Jean Miez, qui a fait 18 ans de prison et travaillé avec Xavier Durringer sur le scénario de J’irai au paradis car l’enfer est ici. J’ai fait beaucoup de gymnastique. La plupart des détenus libèrent leur énergie de cette manière pour ne pas devenir fous et se prouver à eux-mêmes qu’ils sont vivants.
La Confusion des genres d’Ilan Duran Cohen (sortie prévue pour le 27 décembre 2000, en compétition aux Rencontres)

C’est de nouveau un premier film. Ilan Duran Cohen est écrivain et Jacques Audiard a participé au scénario. Je joue un avocat qui a dépassé la quarantaine, comme moi. Sa patronne est amoureuse de lui, mais il préfère les hommes. Il tombe sur un garçon, un détenu très beau qui lui dit : « Si tu fais venir ma fiancée au parloir, je couche avec toi. » Il s’entiche aussi de la fiancée, enfin bref, c’est un méli-mélo dans son crâne ! Le fond de l’histoire, c’est que ce type ne veut pas grandir. C’est un film léger. J’ai envie de faire des choses drôles, sans être, je pense, un acteur comique, comme dans La Fidélité.

La Belle Américaine de Robert Dhéry (1961)

C’est un film qui m’a bercé, un peu suranné, très drôle. Je l’ai vu à la télévision quelques années après. Ca a été un choc, mais à rebondissements. Au fil des années, quand j’étais acteur, je me souvenais tout le temps de La Belle Américaine. Il y a plein d’acteurs comiques dans des petits rôles : Pierre Dac, Louis de Funès, Jean Lefebvre, Jean Richard, Michel Serrault, Jean Carmet… qui sont devenus une mémoire du cinéma populaire. Là, ils sont très jeunes mais déjà eux-mêmes, avec leurs tics.

Titicut Folies de Frederick Wiseman (1967)

J’ai choisi ce documentaire parce qu’il a été censuré pendant 24 ans aux Etats-Unis. Il me rappelle aussi Zonzon, car c’est une plongée dans l’univers carcéral, qui est aussi un univers connu des gens exclus de la société. Pour toutes ces raisons, ce film me bouleverse.

Pakheeza de Kamel Amrohi (1971)

C’est une comédie musicale indienne, très kitsch. Un souvenir d’adolescence, quand j’étais allé en Inde dans les années 70. Je suis rentré dans un cinéma et j’ai été submergé par un film, une sorte d’Ali Baba et les quarante voleurs à la sauce locale. C’est aussi un hommage à la première cinématographie du monde. Je vois beaucoup de ces comédies musicales au Maroc ; ils les adorent.

Films pornographiques anonymes inédits (années 20)

L’hypocrisie par rapport aux films porno est incroyable. Je ne connais personne qui ne trouve pas ça excitant pendant dix minutes. C’est une production énorme, mais j’en ai trouvé très peu à la hauteur. Là encore, je ne voulais pas montrer, dans le cadre du festival, les plus connus, tel Gorge profonde. Et il y aura aussi une surprise à la fin de la projection.

Propos recueillis par

La 6e édition des Rencontres internationales de Cinéma à Paris aura lieu du 25 octobre au 5 novembre 2000 au Forum des Images