Les éditions du Dilettante publient Je vais bien, ne t’en fais pas, d’Olivier Adam, 25 ans, sans aucun doute le (premier) roman le plus frappant de cette rentrée littéraire de janvier. Par-delà l’effet convenu de révélation du moment, ce livre et surtout son auteur laissent véritablement présager une humilité retrouvée de la littérature française, entre résignation lucide et activisme discret.

Ceux que la littérature parisienne intéresse auront bien fini par comprendre que, chez l’écrivain parisien (qui est demeuré, quoi qu’on en dise, mondain, préservé et inactif), la dernière posture en date consiste à se défendre surtout d’être un écrivain parisien. A ce titre, Olivier Adam est-il un écrivain parisien ? Il porte aux pieds des baskets Puma impeccables, de bon ton dans ces milieux du journalisme et de l’audiovisuel où l’on ne pratique pas volontiers le sport, il s’habille de vêtements sombres et choisis, affiche avec réticence une subversive queue de cheval, fume des cigarettes de marque tout à fait acceptable dans les soirées de jeunes adultes rive droite, il travaille dans la culture en lisière du sixième arrondissement de Paris et a ses habitudes dans un café-brasserie de la rue des Martyrs, artère idéalement populaire aux yeux de toute une frange cultivée de la gauche bourgeoise.

« Je sais, j’ai toutes les apparences contre moi », se défend d’emblée ce garçon tendu au regard un rien méfiant de lagon caraïbe qui, après une adolescence sans histoire au sein d’une famille cultivée de la banlieue sud, a intégré sans effort le très couru DESS de Gestion des affaires culturelles de l’université Paris-Dauphine. « J’ai toutes les apparences contre moi, en dehors de ce que j’ai écrit dans mon roman », précise-t-il aussitôt en désignant sur la table son livre avec une fausse inattention toute maternelle, déminant mine de rien le terrain. « Beaucoup de gens, éditeurs ou lecteurs, m’ont reproché de restituer une image caricaturale de la bourgeoisie et de me donner bonne conscience à bon compte en n’accordant de sympathie qu’au personnage de Claire (la jeune héroïne de Je vais bien…, caissière dans un supermarché Shopi, ndlr). Que ce soit bien clair : il ne s’agit pas d’un discours politique sur ce que devraient être les choses, mais d’un regard attendri sur un personnage, une silhouette fragile quotidiennement en proie au mépris social. »

On pourrait dire qu’il n’y a rien de bien neuf là-dedans que le style maîtrisé de cet auteur de 25 ans, concis et juste, strictement nécessaire, débarrassé de l’égotisme esthétisant de rigueur dans les premiers romans écrits à Paris. Mais on pourrait y lire aussi un effort de ce regard de ne plus se prendre comme seul référentiel acceptable entre les lignes, une volonté de l’auteur lui-même de se regarder bien en face, et jusqu’au bout : « Bien sûr que je ne suis pas clair avec mes propres bons sentiments. Si j’ai moi-même encore tendance à mépriser parfois, c’est parce que je détiens, grâce à mon éducation bourgeoise, des clés d’analyse qui me permettent de prendre de la distance et, comme le premier imbécile venu, de me croire forcément plus intelligent qu’une caissière de supermarché. C’est tout le sens du personnage de Julien, qui intervient dans la dernière partie de mon livre : en se battant avec cet architecte arrogant et poseur, qui incarne la condescendance sociale (dans l’une des dernières scènes, ndlr), il cherche à dépasser un regard qu’il aurait pu lui-même avoir, c’est contre lui-même qu’il se bat. »

Et le réel ? Et l’action ? « Non, mon livre ne m’éloigne pas du réel ; il montre que j’en ai au moins conscience. Après, c’est à moi de me prendre en main pour aller au-delà, pour aller au charbon, comme ceux qui se prennent la vie en pleine figure. Mais je n’ai peut-être pas ce courage-là. La littérature est un tel confort… En sortir, ça fout les boules, même si j’ai bien conscience que je ne m’adresse qu’à un tout petit nombre de gens, préservés du réel eux aussi. » La littérature, justement, Olivier a bien conscience qu’il ne sert à rien non plus de s’empêcher d’en faire, surtout si c’est une prédestination personnelle. Comme les vrais auteurs, il est avant tout un bon et gros lecteur, avec l’éclectisme des vrais exigeants : côté Français, Pierre Michon, Jean Echenoz, Jean-Paul Dubois, Christine Angot, ainsi que les grands méconnus de l’entre-deux-guerres (Georges Hyvernaud, Emmanuel Bove, Paul Gadenne, Henri Calet, Raymond Guérin…). Le pair d’influence : Eric Holder, lequel, séduit par le manuscrit de Je vais bien, ne t’en fais pas, l’aura soumis à Dominique Gauthier, directeur littéraire des éditions Le Dilettante. « Chez Holder, j’aime le contraste entre la noirceur du contexte et la tendresse du regard, le côté fleur poussée parmi les décombres. » Hervé Prudhon aussi, dont, avec Holder, Olivier Adam dit qu’ils les sent « veiller par-dessus son épaule » pour l’aider à peser ses mots lorsqu’il est à sa table de travail. Car il a le talent sûr de ceux qui n’ont rien à cacher de leurs influences : « Pour Je vais bien…, j’avais une idée très précise de mon personnage et de son environnement, mais je n’avais pas de prétexte romanesque. C’est en écoutant Marie Darrieussecq parler à la radio de ses romans Naissance des fantômes et Le Mal de mer que j’ai eu l’idée d’introduire à mon tour le thème de la disparition (celle de Loïc, le frère de Claire, ndlr) pour bâtir mon intrigue » ; il a l’humilité de ceux qui, ne doutant pas de leur vocation évidente, n’éprouvent pas le besoin de débiner les concurrents pour s’affirmer : « La littérature française contemporaine ? Certes, je m’en démarque en tant qu’individu, mais sans m’y opposer. Je suis choqué par les clichés auxquels on cherche encore à la réduire aujourd’hui : bavarde, intellectualiste, complaisante… Car il me semble qu’avec l’influence d’auteurs américains du type Jim Harrison ou Bret Easton Ellis, notre littérature connaît depuis quatre ou cinq ans un sérieux regain de vigueur. On va droit au but, on n’a plus de faux complexes à se frotter à des analyses psychologiques ou politiques. Nous sommes enfin débarrassés de la référence forcée à l’esthétisme. Les discours des cultureux démagos des années 80, qui tendaient à faire croire à la culture pour tous, me semblent bel et bien dépassés. Des écrivains prennent désormais les réalités à bras-le-corps pour peu de monde, certes, mais au moins a-t-on fini par prendre acte qu’on ne parlait qu’entre soi. »
Si le constat général est largement désillusionné -quoique non résigné par principe (« les Bourdieu, je m’en méfie »)-, reste l’individu Olivier Adam, qui a au moins le mérite de ne faire perdre son temps ni au lecteur, ni à lui-même : « Ce livre, je me rends compte que je l’ai écrit à mon corps défendant : moi qui me croyais nihiliste, je me suis découvert de la tendresse. »

Lire notre critique de Je vais bien, ne t’en fais pas d’Olivier Adam