NLF3 est le nouveau projet instrumental des anciens Prohibition, Nicolas et Fabrice Laureau et Ludovic Morillon, sorti sur leur propre label Prohibited (Herman Düne, Purr, Heliogabale). Composé de très courts instrumentaux sans titres (1.1, « 1.2 », etc.), entre afro-beat, post rock et B.O. imaginaire lo-fi, entièrement joué et improvisé live avec quelques micros, ce nouveau double album marque une étape pour le groupe, vers une démarche à la fois spontanée et réflexive. Interview.

Chronic’art : Comment est né ce projet d’album instrumental ?

Fabrice : En 1999, avant d’enregistrer le disque d’Herman Düne. On a essayé de se retrouver après un an de pause de Prohibition. Le projet est né d’une demande d’un cinéaste pour des illustrations sonores de films muets, des portraits d’artistes, à la Cinémathèque. Mais au bout de deux semaines, on avait déjà tout enregistré, et finalement ça ne s’est pas fait pour des raisons d’organisation, parce qu’il n’y avait pas de sono sur place, pas de moyens pour faire un bon concert.

Ludovic : Et nous, on a continué notre route, on a continué d’enregistrer.

Nicolas : Au départ, on a décidé de voir ce qu’on pouvait faire avec l’acoustique dans le studio P.U.S.H. (de « Prohibition-Ulan Bator-Sister Iodine-Heliogabale », studio dans un parking souterrain de la porte de la Chapelle). Fabrice est venu avec son matériel et Ludo et moi avons fait un morceau acoustique qui est sur l’album, avec juste une guitare et une batterie. Et Fabrice a rajouté des bruits de radio. C’était un test, pour voir ce qu’on pouvait faire dans ce studio, et après ça on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on enregistre tout là-bas.

C’est vrai que ce projet peut s’apparenter aux productions de library music des années 70…

Nicolas : Oui, et c’est quand même plus classe de dire « library music » que « musique d’ascenseur » ou « easy-listening ». Il y a des titres où on a recherché des ambiances type jazz cool avec des accords très classiques, un son de guitare très connoté, en trémolo. C’est de la musique facile. Il y a des morceaux, comme le 1.5, qui me semblaient évidents : un riff très 70’s et un solo de guitare qui part Même si d’autres parties sont des improvisations plus difficiles, qui peuvent rebuter l’auditeur.

C’est très différent de Prohibition…

Fabrice : L’élément important dans ce projet, c’est l’achat de pédales sampler, il y a deux ans, avec lesquelles on a beaucoup joué, en s’auto-samplant. On avait envie de se servir de ces pédales de manière live, par des constructions spontanées, des live-loopings, avec la notion d’erreur et de risque qui y est apparentée.

Nicolas : C’était comme un nouvel instrument pour nous. L’intérêt, c’est que quand tu éteins ta pédale, à la différence d’un sampler, elle perd les données enregistrées, donc c’est vraiment un instrument d’improvisation. Le projet NLF, sinon, a pu être possible à partir du moment où on a décidé de mettre le groupe, Prohibition, en stand-by. Parce qu’on se rendait compte qu’on n’avait plus le temps d’expérimenter ensemble de nouvelles choses, du fait des tournées, des promos, de tout ce qui entourait Prohibition à ce moment-là. Si on doit refaire un album de Prohibition, ça ne ressemblera pas pour autant à du NLF3, ce sera du Prohib’ comme avant. NLF3 est un projet à part, avec son identité propre. C’est un projet plus représentatif aujourd’hui de nos influences et aspirations musicales.

Fabrice : C’est un nouvel état d’esprit aussi. On voulait mettre en avant le côté naturaliste de l’enregistrement. Huit micros et basta. Même principe que pour Herman Düne. On a aussi voulu mettre sur le disque tout ce qu’on avait enregistré, ce qui fait un double album, pour une question de représentativité plus que d’ambition. Le double sera d’ailleurs vendu au prix d’un album.

Nicolas : Les moteurs de créativité du projet étaient la fraîcheur et la disponibilité. Ensuite, on a eu envie de sortir le disque. Il y a un côté empirique dans tout ce projet : l’improvisation au moment de l’enregistrement, même si certains thèmes sont fixés par le sampling, et le prolongement du disque, à travers les concerts.

Pour vous, NLF3 est un projet aussi important que Prohibition, ou un side-project ?

Fabrice : Non ce n’est pas un side-project. Personnellement, aujourd’hui, je ne me vois pas jouer du Prohibition, mais bien du NLF. Je prends ça vraiment très à cœur. On a découvert cette année que ce projet était très important pour nous, qu’il nous avait permis de nous découvrir de nouvelles possibilités en tant que groupe. J’ai lu dans Wire une interview d’Isotope 217, et ils ont travaillé exactement comme nous : ils ont mis des micros et ils ont jammé. Donc cette manière de faire de la musique est peut-être un besoin assez contemporain finalement.

Comment gérez-vous vos influences ?

Nicolas : Musique traditionnelle, jazz, afro-beat, post-rock, rock, seventies, sixties, expérimental, reggae. Plus la série des disques Ethiopiques, la musique panafricaine.

A la première écoute, on a l’impression que c’est une musique ironique sur les notions de simplicité et de complexité. Vous avez travaillé à ça ?

Nicolas : C’est vrai, mais ce n’est pas de l’ironie prétentieuse ou condescendante. C’est plus de l’ironie par rapport à ce qu’on fait, ce qu’on est capable de faire, parce que même techniquement, on n’est pas des musiciens hors pair, on n’a pas fait le conservatoire. Certaines parties instrumentales, certains solos, il faut les prendre à la rigolade.

Fabrice : Cependant, je ne crois pas qu’on soit de mauvais musiciens non plus.

Ludovic : Disons qu’on a une approche artisanale.

Nicolas : Et en même temps, on a une approche jazz. On fait des solos, comme des musiciens de jazz, et là c’est l’âme qui parle. Avoir des connaissances techniques ou musicologiques n’est pas essentiel pour ça.

Fabrice : C’est en ça qu’on est proche de la musique afro-américaine. L’afro-beat, ce sont des gens qui n’ont jamais eu d’éducation musicale et, techniquement, les bassistes africains font des trucs injouables, très compliqués, mais ils sont autodidactes.

Le parti pris de production très lo-fi contraste aussi avec le contenu musical et les références qu’il implique…

Fabrice : Nicolas et Ludovic voulaient que ce soit plus produit, ou qu’on fasse des overdubs. J’ai voulu que ça reste en l’état. Ce qui est sorti sur les disques, ce sont les premiers mixes des morceaux, je ne les ai pas refaits, on ne les a pas retouchés. On faisait les morceaux, je les mixais en rentrant à la maison, et c’était fini. Je trouvais que c’était important de garder cet aspect naturaliste. Même le track-listing correspond à peu près à l’ordre d’enregistrement et de mixage des morceaux.

Ludovic : Il y a juste cinq titres sur le deuxième disque où on a rajouté quelques overdubs. Sinon, c’est du live.

C’est un projet qui aurait pu sortir sur un autre label que le vôtre ?

Fabrice : Non, on a pensé le sortir ailleurs, mais ça aurait traîné. Cependant, ce sont d’autres gens qui font la promotion. Parce qu’on n’a pas envie de s’occuper de ces aspects. On voulait se concentrer sur la partie artistique.

Nicolas : Il y a des labels qui auraient pu se lancer dans l’aventure, mais ils n’auraient sûrement pas accepté tous nos caprices, comme de sortir l’intégralité des morceaux sur un double album. On a la chance de faire ce qu’on veut sur notre label. Si un groupe me proposait un projet de cette teneur pour Prohibited, je serais interloqué et je crois que j’aurais envie de le sortir.

Fabrice : Dans notre démarche artistique, il y a une volonté de montrer notre ouverture en tant que musicien et en tant que label. Sortir ça sur Prohibited en même temps que Herman Düne, par exemple, c’était une manière de montrer qu’on n’était pas cloisonnés dans un genre.

Nicolas : Mais, en même temps, on n’attend rien de spécial de ce projet. On n’a pas de pression, il n’y a pas d’attentes, et c’est ce qui fait la magie. Si on veut faire des concerts, on peut les faire, mais on n’est pas obligé.

Fabrice : On respecte la notion de liberté qui a présidé à l’enregistrement, pour tout le reste également, c’est l’essence du projet. En concert, c’est pareil : on reprend les thèmes musicaux d’origine pour que les gens reconnaissent les morceaux, mais toutes les phases d’auto-sampling sont uniques et différentes chaque soir. C’est très aléatoire : les tempos, les boucles, les bruits ambiants ne seront jamais les mêmes. Et c’est pour ça aussi qu’on ne fera pas de tournées, parce qu’on veut préserver la fraîcheur, la spontanéité et le plaisir de jouer ensemble.

On a l’impression qu’il y a des récurrences formelles entre les morceaux et que le tout est assez unifié, forme une espèce de système circulaire.

Nicolas : Je trouve qu’il y a des doublons, même s’ils sont cousins, ou frères, on retrouve certaines tonalités, certaines émotions. Il y a des creux et des moments plus exaltés, c’est contrasté. Mais les moments vraiment narratifs ou expressionnistes me semblent assez rares.

Fabrice : C’est suffisamment abstrait pour permettre aux gens d’y projeter leurs propres images, leurs propres histoires. On n’a rien fixé au départ, on a improvisé sans même avoir les images des films supposés servir de supports. On n’a rien prémédité. Mais peut-être que les gens à l’écoute ne s’en rendent pas compte.

De toute façon, la possibilité de créations d’images est empêchée par la durée des morceaux, très courts, et la matérialité du son…

Fabrice : Oui, et puis il n’y a pas de titres pour donner des pistes ou des interprétations.

Nicolas : Pour nous, l’idée de ne pas mettre de titres, c’était un moyen de simplifier l’écoute. On ne voulait pas donner d’images. Be careful with that axe Eugene, qui est pour moi le meilleur morceau des Pink Floyd, ça veut tout dire, c’est un titre très signifiant, on voulait éviter ça pour NLF.

Fabrice : C’est un disque un peu long à assimiler et il y a des gens qui ne prennent pas le temps de l’écouter en entier. Mais, en même temps, c’est un disque que tu peux mettre en fond sonore, et je suis très fier de ça : tu peux l’écouter fort ou pas, en faisant autre chose en même temps.

Nicolas : Quand tu l’écoutes très bas, ça peut être une musique d’ambiance, une nappe sonore. C’est en cela qu’il y a des points communs avec la musique électronique.

Fabrice : Avec la notion de risque en plus. Ce qui me dérange dans la musique électronique en live, c’est l’absence de toucher.

Propos recueillis par

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