Interviewé en tant que co-responsable du label MP3 Evénement (en marge de Clapping Music), My Jazzy Child aka Damien Poncet nous parle de la nouvelle économie de la musique sur le Net, alors que la crise du secteur touche durement les labels indépendants… en complément de notre dossier publié dans Chronic’art #13, en kiosque.

Chronic’art : Comment se positionne aujourd’hui un label MP3 comme Evénement, quand la plupart de ses artistes représentés participent également de projets musicaux plus professionnels, sur de vrais labels avec des vrais disques et des enjeux économiques différents ? Toi par exemple, entre My Jazzy Child et Evénement, fais-tu une distinction (éthique par exemple) entre ta production sur Clapping Music et celle sur Evénement ?

Damien Poncet : Concrètement, ni moi ni les différents artistes affiliés à Evénement ne nous posons la question de cette façon. Evénement est aujourd’hui plus proche d’un collectif d’artistes que d’un véritable label. Evénement n’est finalement qu’un nom qui permet a notre musique de se diffuser, dans un premier temps a travers les CDRs, complétés plus tard par le site Internet et le catalogue téléchargeable. Artistiquement, Evénement est plus enclin à diffuser des projets plus électroniques, « expérimentaux », ou improvisés… mais c’est aussi une question de moyens. Nous essayons d’éviter au maximum les questions d’argent avec Evénement, qui n’a de toute façon aucune forme juridique, ce qui nous permet de nous concentrer sur la musique uniquement. Je pense que les artistes y participent dans cet esprit là, une sorte de cour de récréation un peu bordélique et utopique. Pour être franc, je ne me suis jamais posé de question « éthique » en faisant à la fois Evénement et Clapping. Des questions artistiques peut-être, mais cela va de soi, ce ne sont pas les même envies musicales, ni les mêmes buts pour Clapping et Evénement.

Qu’est-ce qui a motivé la création de Evénement à l’époque ?

Evénement est né en même temps que Clapping Music, quand on s’est rendu compte de ce qu’impliquait le fait de sortir un disque de manière « traditionnelle ». L’envie assez naïve de sortir de beaux disques faits main sans contrainte économique, en mettant immédiatement de côté les questions d’argent, dans la lignée directe du « DIY ».

Est-ce que ton point de vue sur les labels MP3 a changé depuis sa création ?

Je ne sais pas vraiment en fait. Je suis loin d’être un fouineur sur le Net, je télécharge peu de musique. Leur multiplication est totalement logique, un ordinateur relié à Internet, et c’est parti… Mais mon point de vue est finalement toujours le même : un label MP3 est avant tout un formidable moyen de diffusion. Dans le cas d’Evénement, le site est arrivé 1 an et demi après la création en 1999 du label, pour palier aux 99 exemplaires des CDRs… ça permettait de rendre accessible notre musique au delà des cercles d’amis et d' »initiés ». Aujourd’hui, on en est à un peu plus de 12 000 fichiers MP3 téléchargés depuis 2 ans, donc ça fonctionne. Cela dit il est clair que les labels MP3 sont globalement dirigés vers la musique électronique, pour des raisons pratiques. Et c’est artistiquement que ça commence peut-être à tourner en rond…

Est-ce que le label MP3 et la gratuité ne signifient pas également moins d’exigence en terme de qualité ?

J’ai un peu répondu ci-dessus, je crois que ça dépend surtout des gens qui font ces labels.
La démocratisation des moyens informatique fait que plein de gens peuvent aujourd’hui créer un label, faire de la musique, la diffuser, et c’est certain que tous ne sont pas bons. Mais je ne crois pas que ce soit le format ou l’économie qui rende une musique moins bonne. De mon côté, je suis très content des disques que nous avons diffusé via Evénement, ainsi que des compilations… parce que les artistes qui y participent sont, à mon sens, tous doués et surprenants. Idem pour le label italien tu-Mp3 par exemple… Leur catalogue, très ouvert, avec certaines « pointures » en fait un label artistiquement irréprochable…

A terme, comment vois-tu l’évolution de l’industrie discographique ? Quelle place penses-tu pouvoir y jouer, en tant qu’artiste et label ?

On vend moins de disques aujourd’hui, et c’est clairement lié à Internet, aux CDRs et au MP3… je crois que tous les acteurs de cette industrie avancent sans vraiment savoir quelle carte jouer… Le plus dur, c’est que ce sont les labels indépendants qui tombent en premier, et c’est artistiquement inquiétant. Les labels MP3 sont un vrai nouveau moyen de diffusion, qu’il s’agisse de téléchargement gratuit ou payant, mais je doute qu’ils puissent fournir le travail d’un label plus classique, en terme de moyens de production et de communication. La non-économie des label MP3 est certes une solution à la diffusion, mais elle ne permet évidemment pas aux artistes d’envisager le moindre frais lié à leur musique, qu’il s agisse de mixer quand on ne sait pas le faire, entrer en studio pour enregistrer, acheter du nouveau matériel ou des instruments, etc. Et puis personnellement, j’ai toujours été fan de labels, et tout ce qui va autour (image, pochette, album, avoir un « son »…), qu’il s agisse de Tzadik, Sub Pop, Warp, Factory, SST, Thrill Jockey ou Domino. J’ai du mal à imaginer l’industrie du disque réduite à Internet, je ne l’espère pas en tout cas… En tant qu’artiste, cela me conforte dans l’importance du live.

Les projets du label ?

Le site n’est finalement qu un lieu de téléchargement du catalogue et d’archivage des différents event que nous réalisons ou organisons : les disques, les soirées ou les performances… il est le reflet de nos activités, et nous ne sommes pas pressés… On ne veut pas se forcer à faire vivre Evénement au jour le jour, le site vit sa vie -il y a chaque jour depuis 2 ans des MP3s téléchargés sur le site- et nous sommes assez flemmards… Mais on revendique ce côté flemmard ! Cela dit, nous partons pour Gand réaliser l’event20, qui sera donc disponible sur le site en février (2004, ndlr). Domotic, Davide Balula, Noak Katoi, Organ, Erich Zahn, O.lamm, Hypo, MJC, Emmanuelle de Héricourt et des artistes de Gand vont jouer, improviser trois journées pendant 8 heures par jour au Vooruit Center. Tout sera enregistré et édité parallèlement pour ensuite sélectionner les meilleurs morceaux qui seront gravés à 99 exemplaires le quatrième jour et mis à la disposition du public. L’objectif étant de créer et diffuser un disque (y compris sur le Net) en quatre jours… on verra bien. Tout ça pour dire que le projet immédiat du label est l’Event20 au Vooruit Center. Autre projet qui prend du temps, mais comme je l’ai dit, on est pas spécialement pressés, c’est l’intégrale du duo Organ, sous forme d’un coffret 10 CDs…

Propos recueillis par

Voir le site du label Evénement.
Lire notre dossier « Au-delà des majors… et du Peer-to-peer », dans Chronic’art #13, en kiosque.
Lire notre chronique de Sada soul de My Jazzy Child