Compte-rendu du Festival Mo’Fo 2005 à Mains d’Oeuvre (Saint-Ouen) par notre gonzo-chroniqueur en chef, Wilfried Paris. Première soirée (30.06.05 – lire le compte-rendu de la deuxième soirée et celui de la soirée suivante).

Arrivé sous la pluie à St-Ouen, je croise Stephen Pastel dans la rue qui tire un peu la tronche : la grise banlieue parisienne n’a pas l’air de l’inspirer. J’espère que cette humeur morose ne l’empêchera pas de faire un bon concert ce soir, pour ses retrouvailles avec le public parisien (les Pastels ne sont pas venus jouer à Paris depuis au moins dix ans). Mais surtout je me réjouis d’être d’entrée dans le bain du Mo’Fo, un des rares festival de rock indé où les stars du rock côtoient en toute simplicité les spectateurs, chacun venu pour son seul amour de la musique, pour assister à de bons concerts, dans une ambiance fraternelle et conviviale. Dans le bar voisin, je prends d’ailleurs un sandwich-Amstel en compagnie de Ben de Cyann & Benn et Mehdi aka Fugu qui me raconte avoir fait une tournée japonaise avec les Tahiti 80 et finir son nouvel album, à paraître en septembre sur 3rd Side. Mehdi me reconnaît tout de suite quoique je l’ai interviewé il y a au moins trois bonnes années, pour un très joli premier album, Fugu1 sous influences Love-Beach Boys. Il semble content d’être là, malgré son éternel air d’adolescent timide et taciturne. Je dis à la serveuse : « Il va y avoir un festival pendant trois jours, vous feriez mieux de continuer à faire des crêpes pour les clients, vous allez faire du chiffre », elle me répond : « Ah non, nous on ne fait pas de crêpes ». Je laisse tomber, on se dirige vers l’entrée du Mo’Fo avec Ben, je passe en fraude une bouteille d’eau mélangée à du Ricard, me fait remettre un ticket d’entrée par la charmante Magali Terrier et rentre dans l’espace aménagé de Mains d’œuvres, deux grandes salles de concert et un bar, décorés par David Ivar Herman Düne, parrain du festival et dessinateur de comics sensass. Charlie O, clavier de Mendelson nous accueille avec son gimmick habituel : « Ca va, bon week-end ? » question qu’il pose à chaque bonjour, et à laquelle je réponds invariablement « merci, mais il ne fait que commencer ». Puis il est déjà 19h00 et c’est l’heure du Club des chats, premier concert devant une salle clairsemée. Le club des chats, c’est Guillaume à la batterie, Drôminique au chant et Maïa à la guitare, un formule minimaliste et punk qui débute à merveille le festival, quelque part dans la ligné Shaggs-Jad fair-God is my copilot, agrémentée de la simplicité groovy d’ESG et du credo punk des Raincoats : des morceaux courts à la chaîne, entre comptines enfantines excitées et miaulements. La chanteuse est toute petite, je crois d’abord que c’est une pré-ado, elle chante en regardant ses deux compère, le batteur moustachu, au jeu très varié, qui double parfois la voix, et la guitariste stoicienne qui fixe son instrument et joue avec deux ou trois doigts maximum. Simple et efficace, on se dira plus tard que c’était le meilleur concert de la soirée. En tout cas, ça plait beaucoup à Julie Doiron, qui est là avec son tee-shirt Herman Düne et son petit accent québecois, trois jours avant son passage sur scène, pour voir tous les autres groupes. Cette fille est adorable, elle peut dire sans détour des choses très personnelles comme « j’adore accoucher », elle garde une intense innocence face au monde qui l’entoure.

Le Mo’Fo a donc commencé et les concerts vont s’enchaîner, chacun leur tour dans les deux salles. Le concert du Club des chats à peine fini salle Mo, commence celui des Da Brasilians dans la salle Fo. On y arrive après une rasade de pastis, trois mots échangés avec Jean Philippe Talaga, de Gooom, qui porte une cravate noire sur une chemise noire, et deux mots avec Monsieur Dubois des disques Euro-visions, qui me file des badges de ses artistes (sur les badges il y a l’adresse web de son label, je trouve ça assez moche comme marketing).
On tombe sur un groove à la Curtis Mayfield, ils sont sept sur scène, dont une sorte de Bez à lunettes qui danse et tape sur une darbouka même pas sonorisée. Il y a une fille genre groupie bordelaise (elle a une frange, toutes les bordelaises ont des franges) qui danse au premier rang et prend toute la place, on la pousse un peu du coude et on regarde un chouette concert, très gai, très enlevé, avec des petits rythmiques Jackson Five, des guitares wha wha, des bongos et des harmonies vocales très San Francisco. Ces jeunes de St Lo sont bourrés de talent (comme beaucoup de jeunes de St Lo : on se demande ce qui se passe dans cette ville, pour une telle génération de musiciens talentueux -renseignez-vous sur la compilation Collection 2005 du label Ra’n’Bo), ils mériteraient une bonne production, un bon contrat, et seront sans doute aussi gros dans quelques années que Tahiti 80 ou Phoenix, dans le même registre soul-indie en anglais. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Après les Brasilians normands, on va voir Fugu, et là, petite déception : Mehdi est seul sur un Wurlitzer, quand ses morceaux enregistrés sont riches d’arrangements variés, il chante plutôt pas très bien, et on s’ennuie assez vite. Mon ami Flop, résident à Mains d’œuvres et chanteur qui mériterait plus de succès me dit « Apparemment, il chante mieux ses anciens morceaux que ses nouveaux, sans doute parce qu’il les connaît plus… ». J’acquiesce à cette pertinente analyse. Etienne Jaumet, saxo de Flop, des Married Monk et synthé des fabuleux Zombie, nous dit « Mouais, c’est le genre de musique, sans les arrangements, y a plus rien ». Ce qui me semble un peu dur comme assertion. Bref, je me casse et vais voir le bar se remplir des éternels même fans d’indie-rock, les mêmes à tous les concerts, mais que des gens charmants soyez-en sûrs. Je file ma démo (je cherche une maison de disques -avis aux producteurs) aux responsables du label Asphalt Duchess, qui ont sorti le très bel album de Manuel Bienvenu (sous influence Robert Wyatt, recommandé et bientôt chroniqué sur ce site), je bois un peu de pastis et on décide avec Flop et ce cher Jérôme Laperruque, de zapper le concert des Patriotic Sundays et d’aller voir Luz, au taquet, faire son petit spectacle de rétro-projections dans la salle Star Trek.

La salle Star Trek est la salle de conférences de Mains D’œuvres, un très bel espace avec des fauteuils rembourrés (avec tables pivotantes) une déco 70’s orange et Luz au milieu qui fait défiler ses images sur un écran derrière lui, pendant que sa copine fait la djette. On voit James Murphy accueillir chez lui les deux Daft Punk, les yeux exorbités tandis que les deux robots cassent tous dans la maison, pendant bien sûr Daft Punk are playing in my house, et on voit une longue séquence hilarante « quand deux chiens… (se rencontrent chez le vétérinaire, se croisent dans l’escalier, tirent sur leur laisse, sont fatigués, sont tout fous, etc)… ils se reniflent les fesses », sur un morceau ambient bruitiste animal très amusant. Un bon moment. Luz est content. Nous aussi.

Après cette petite sieste, on descend voir les Pastels, dans la salle Mo qui est montée à environ 40° de température à mesure que le public affluait. Elle contient normalement environ 400 personnes alors que la jauge avoisine les 700 spectateurs ce soir, obligeant les retardataires à se replier sur la salle Fo, où le spectacle est diffusé sur écran vidéo. Du coup, je n’ai même pas pu inviter ma copine ce soir, qui est restée à la porte, malgré mes suppliques à une Magali Terrier intraitable.

Bref, les Pastels : Stephen, Aggi et je ne sais même pas s’il y a encore Katrina Mitchell dans le groupe. Ils sont cinq sur scène, dont une flûte traversière au premier plan, dans une salle chauffée à blanc, pour un concert événement. Si l’option pop (période Sittin pretty, Up for a bit) n’est pas retenue par le groupe, c’est au profit de morceaux généralement instrumentaux et atmosphériques, assez longs, où les guitares claires bousculent doucement les flûtes, où la batterie se fait jazzy, la basse ronde, plus proches de Yo La Tengo que de Franz Ferdinand.
Ce n’est pas déplaisant, ce n’est pas non plus fascinant, et comme il fait une chaleur éreintante, qu’on tient à peine debout, on se replie doucement vers le bar. Désolé, mais les Pastels en concert en 2005, c’est un peu mou. Je les aurais plus apprécié dans la salle Star Trek.

22h environ, direction salle Fo pour voir Monade, deuxième meilleur concert de la soirée. Personnellement, j’aime beaucoup la complexité des chansons de Laetitia Sadier, leur imprévisibilité, la naïveté gracieuse qui en émane, une certaine classe et une singularité totale chez Laetitia, acquises à force d’expériences musicales de longue haleine (dans Stereolab, mais aussi avec le premier album de Monade). Laetitia joue quasiment l’intégralité de son dernier album A few steps more, armée d’une belle Stratocaster rouge, accompagnée de Marie à la guitare « baryton » (comme me l’explique l’avisé Flop : une guitare six cordes qui permet en général de doubler les accords de guitare avec une texture plus grave), un clavier discret (au Nordelectro) et un batteur adroit. Franchement musical, le set pâtit un peu des voix en retrait (Laetitia n’a jamais été une grande chanteuse, même si le grain unique de sa voix la rend entre toutes reconnaissable). Inserts percussifs brésiliens, petites spirales de guitares, tentations prog-rock discrètes. Après les Pastels, on se dit qu’on a eu là deux groupes successifs qui ont su produire en plusieurs années (décennies) de carrière un véritable caractère musicale, une identité propre et distincte, qui ne ressemble à rien d’autre, immédiatement identifiable, qui aura marqué pour de bon l’histoire de la pop.

Enfin, avant le concert des Teenage Fanclub, on décide avec Flop d’aller fumer une cigarette qui fait rire dans un des studios de Mains d’œuvre où il a sa résidence. Il me joue un morceau de sa composition au ukulele, d’après le Giant steps de Coltrane, m’explique-t-il. Je n’en reviens pas de l’érudition de ce garçon. Pendant ce temps, Turner Cody, héros lo-fi de la scène antifolk new-yorkaise, répète dans les couloirs, préparant son concert du lendemain, un brin bourré. Avec ses cheveux longs qui lui donnent un petit air de Brian Jones, ses lunettes fumées, ses bottes de cuir, son pantalon serré et sa vieille chemise sale, il a tout de la future rock-star que j’espère le voir un jour devenir. Ce garçon est insupportable, mais il a beaucoup de talent. Après nous être ressourcés, je monte voir les vieux écossais de Teenage Fanclub. Julie Doiron m’avertit : « à l’entrée, ça va, mais si tu fais deux pas dans la salle, la température augemente considérablement ». En effet, c’est comme une chape de sueur et de buée qui s’et posée sur les centaines de spectateurs présents. Teenage fanclub porte désormais assez mal son nom : les membres du groupe ressemblent plutôt à des cadres commerciaux et à des profs d’histoire-géo qu’a de jeunes adolescents fougueux. Il n’empêche, leur musique et leur énergie n’a pas pris une ride et voilà le troisième meilleur concert de la soirée : un son parfait, juste assez fort, très clair, pour des morceaux joués sans aucune hésitation, carrés d’un bout à l’autre du répertoire, une succession de tubes issus de la discographie récente (Man-made, 2005) et ancienne (Bandwagonesque, 1991). Leur rock spontané, effervescent, inspiré autant des Byrds (harmonies vocales) que de Big star (le sens du tube) sonne comme au milieu des années 90 et respire la joie, la simplicité, la franchise. Le public est radieux, saute dans tous les sens, et je vois Etienne Greib, mon pigiste favori de chez Magic (également guitariste de talent chez Temple Temple) sortir de la « fosse » trempé de la tête au pieds, mais avec un sourire qui en dit long sur le plaisir éprouvé par les vieux fans du TFC…

Voilà, la soirée est finie, on va sécher nos vêtements près du marché aux puces, avant de rentrer dormir un peu. Avant le compte-rendu et une autre soirée prometteuse : demain, Bonnie Prince Billy, Herman Düne, Calvin Johnson notamment… La soirée s’annonce bien.

Lire le compte-rendu de la deuxième soirée (01.07.05) et celui de la soirée suivante (02.07.05)