Disponible depuis peu dans toutes les bonnes boutiques d’imports, le DVD de « Mes voisins les Yamada », édité par Ghibli a de sacrés atouts pour séduire les profanes et les anime-fans les plus réfractaires à la langue nipponne avec ses impeccables sous-titres en français*. L’occasion de revenir sur un des animes les plus audacieux de ces dernières années.

Isao Takahata est un réalisateur volatile. Après Le Tombeau des lucioles, magnifique mélodrame dans la lignée esthétique de Miyazaki et cinématographique d’Ozu, il signe une adaptation d’un comic-strip de Hisaishi Ishii au graphisme nettement moins léché. Néanmoins, il ne faut pas se fier aux apparences : malgré son aspect « esquisse aquarellée », Mes voisins les Yamadas** est le premier long métrage Ghibli entièrement réalisé sur ordinateur. A la fois simpliste dans son trait et souvent très complexe dans son animation, l’anime est une merveille visuelle, terriblement audacieuse, surtout pour un long métrage destiné aux salles de cinéma et donc à une large audience. De plus, la vision du film balaie immédiatement les préjugés selon lesquels sa « nipponitude » exacerbée le réserverait à un public exclusivement japonais. Pas de chance : dans les faits, coincé entre deux gros blockbusters –Pokemon et La Menace fantôme-, Mes voisins les Yamadas n’a pas réitéré le succès de Princesse Mononoke dans les salles japonaises…

Takashi, Matsuko, Shige et les autres…

Découpé en multiples saynètes indépendantes, Mes voisins les Yamadas narre le quotidien d’une famille japonaise moyenne -le père, la mère, le fils, la fille, la grand-mère et un chien… un peu neurasthénique. Rien de bien dépaysant finalement. Les tracas journaliers des Japonais ne sont pas si éloignés des nôtres. A quelques exceptions près, la plupart des gags qui parsèment le film ont une portée universelle qui va bien au-delà du simple cercle familial nippon. La femme au foyer ne se casse pas la tête pour les menus, elle est traitée comme une servante par son mari exténué par son travail, le fils est un cancre… Des soucis très proches de ceux que connaissent les Occidentaux, mais c’est peut-être ce que reproche Takahata à sa famille cobaye. Certains clichés prennent parfois une tournure pittoresque -une bataille de télécommande chorégraphiée comme une démonstration d’arts martiaux-, rien qui puisse dérouter le public européen. Si ce n’est un humour nippon assez particulier, souvent absurde, un peu à froid, voire parfois légèrement laborieux -l’épisode dit du « petit-déjeuner au gingembre » basé sur des oublis à répétition. C’est bien simple, parfois on pourrait croire à une relecture japonaise des Simpson.
Simpson made in Japan ?

L’analogie avec la série de Matt Groening est effectivement sans doute plus pertinente qu’il n’y paraît. A l’instar des Simpson, Mes voisins les Yamadas est une apologie déguisée de la famille contre une société parfois castratrice et despotique. Un peu réac certes, mais le retour à l' »humain » prôné par l’anime, contre une société du travail et le culte de l’entreprise, cadre plutôt bien avec la grogne générale contre la suprématie des multinationales. Tout aussi crétins et « tordus » qu’ils soient -selon les dires du fils Noburo en plein âge ingrat-, les Yamada forment une microsociété soudée malgré leurs différends. Et la maison prend des allures de refuge contre l’angoisse et le stress extérieurs. C’est dire si le film ne se limite pas qu’à son aspect satirique. Chaque saynète se clôt d’ailleurs sur des haïkus de poètes nippons célèbres (Bashô, notamment) censée les illustrer et révéler leur profondeur. Dès le milieu du film, le ton se fait par ailleurs plus grave, voire franchement existentialiste. Pour évoquer le fossé des générations, la vacuité de la vie de femme au foyer, mais aussi la vieillesse, le temps qui passe, la mort (cf. l’épisode à l’hôpital au cours duquel Shige, la grand-mère, rend visite à une amie malade, particulièrement bien construit et bouleversant).

Ruptures

Cette rupture de ton se manifeste particulièrement lors d’une scène a priori anodine. Le chef de famille doit affronter une bande de motards bruyants et agressifs, se réfugie dans une lâcheté conciliante et pathétique. L’esthétique du film passe alors brutalement, et sans raison valable du quasi-superdéformé (SD) à un trait plus réaliste quoique toujours aussi esquissé, qui exalte le malaise endémique de la scène. Dès lors qu’intervient Shige, qui règle le conflit avec humour et intelligence, les choses reviennent à la normale, et la scène se clôt par un pur fantasme du père qui se rêve en superhéros sauvant sa petite famille de gangsters ersatz des Blues Brothers…
Le but de Takahata n’est donc pas tant de pointer la médiocrité de la famille Yamada -d’où seule surnage la petite Nonoko, « narratrice » officieuse, mais beaucoup plus effacée que ses parents-, qu’un contexte brutal et harassant qui pousse à la lâcheté, et à la paresse.
Ca n’est d’ailleurs pas un hasard si le film débute et se clôt sur un discours de mariage poussant à affronter l’adversité de la vie de couple. Au final, le constat sur la famille est plutôt bienveillant, et l’hilarante dernière scène, un karaoké géant où tous les personnages entonnent une version japonaise de Que sera, que sera revêt un caractère ouvertement optimiste. Sans doute plus audacieux sur la forme que sur le fond, Mes voisins les Yamadas demeure tout de même un véritable petit chef-d’œuvre et un démenti formel aux accusations de standardisation visuelle de l’animation japonaise. Son relatif échec au Japon n’incitera peut-être pas Ghibli à persévérer dans cette voie expérimentale. Raison de plus pour ne pas attendre une hypothétique sortie en salles françaises et se précipiter vers le magasin spécialisé le plus proche.

* A noter que les menus sont en japonais… Quelques tâtonnements en perspective pour les non-initiés.

** Hôhokekyo tonari no Yamada-kun dans le texte, soit, à peu de chose près, « cui-cui mes voisins les Yamada ».

Quelques liens :
Le toujours impeccable Nausicaa.net. Un site de fan, un peu isolé malheureusement, en anglais et japonais