La sortie du remarquable film de Hou Hsiao Hsien Les Fleurs de Shanghai le 18 novembre, nous a donné l’envie d’en savoir un peu plus sur le cinéma asiatique actuel. Hubert Niogret, critique à Positif, spécialiste du genre, et par ailleurs producteur, évoque les particularités et fait tomber certains clichés…


Chronic’art : Vous avez écrit de nombreux articles pour Positif concernant le cinéma asiatique. D’où vient votre intérêt pour ce cinéma ?

Hubert Niogret : C’est un peu difficile à définir, mais disons qu’un des cinéastes qui m’a le plus marqué quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma est Kurosawa. Cela a déterminé beaucoup de choses, c’était un film intitulé Chien enragé et j’ai eu envie d’en savoir plus sur Kurosawa et le cinéma japonais. Là, j’ai été fasciné par ce que je découvrais. C’est une culture dans laquelle je me suis peu à peu immergé. A partir du moment où je me suis intéressé au Japon évidemment j’ai élargi ma curiosité aux autres pays d’Asie.
Depuis deux ou trois ans on remarque un attrait pour le cinéma asiatique dans le milieu cinéphile mais aussi commercial, avec John Woo qui fait maintenant des films à Hollywood.

Est-ce que vous pensez que c’est un effet de mode ?

Je ne pense pas du tout que cela soit un effet de mode. Je suis profondément convaincu, depuis une bonne dizaine d’années, qu’il y a dans cette région de l’Asie qui s’arrête au Japon (Hong Kong, Taiwan, la Corée du Nord), une source de créativité et d’originalité comme il n’y en a pas ailleurs. Ce sont des gens qui ont abordé le cinéma, la narration notamment, sur des modes extrêmement audacieux et modernes et je pense que cela n’existe que là-bas. La critique commence à s’en rendre compte, mais pour le public c’est plus difficile. Le cinéma taiwanais ne rencontre pas un franc succès commercial, contrairement à Hong Kong. A ce propos il est curieux de constater que les films que nous considérons comme « art et essai » ne sont pas du tout vécus comme tels là-bas.

C’est très surprenant, pouvez-vous nous donner un exemple ?

Les films de Hou Hsiao Hsien marchent très bien à Taiwan. Cela tient au fait que ses films sont souvent une réflexion sur l’histoire et les racines du pays. Ce sont des aspects que nous autres, Européens, ne pouvons pas percevoir. Nous manquons d’informations, et puis bien sûr il y a un attachement personnel à son pays.

Pourtant un auteur aussi confirmé que l’est Hou Hsiao Hsien déclare avoir monté le film grâce à des capitaux japonais (la Shoshiku) et étrangers. N’est-il pas soutenu par son pays ?

Non ce n’est pas le problème, ici il s’agit d’un cas particulier. Les films de Hou Hsiao Hsien ont régulièrement été produits par des fonds taiwanais, ensuite il a intéressé des producteurs qui travaillaient à l’échelle internationale. Le Japon intervient souvent pour des raisons de qualité technique ; les films à Taiwan sont finis là-bas car ils ont des laboratoires d’excellente qualité.

En l’occurrence, Les fleurs de Shanghai est un film à gros budget.

Oui, dans ce cas c’est une raison financière. Dans les petits pays, passé un certain budget, on est obligé de faire appel à des capitaux étrangers.

Mais ce n’est pas là un phénomène strictement asiatique. Que pensez-vous de l’état du cinéma taiwanais ? On parle souvent d’une concurrence de Hong Kong qui l’aurait amoindri, est-ce exact ?

Il y a à la fois concurrence et complémentarité. Il y a toujours eu un mouvement entre Taiwan et Hong Kong en ce sens qu’il y avait toujours des cinéastes et des acteurs de Hong-Kong qui allaient faire des films à Taiwan.

Comme par exemple Tony Leung Chiu-wai et Carina Lau chez Hou Hsiao Hsien ?

Oui, Tony Leung a souvent tourné à Taiwan. Ca existe depuis très longtemps. Il y a toujours eu un échange entre les deux pays. Bien avant Hou Hsiao Hsien, il y avait une véritable industrie du cinéma à Taiwan. Elle a été décliné pour le cinéma de genre commercial qui reprenait beaucoup de codes et de clichés contre lesquels la « nouvelle vague » taiwanaise dans les années 70 s’est un peu insurgée. Ce cinéma de genre s’est appauvri, et est devenu moins efficace par rapport à Hong Kong. Mais le cinéma national demeure, il y a même une très grande société de production dirigée par l’état qui aide à la création.

Pouvez-vous nous citer des cinéastes représentatifs du cinéma taiwanais ?

Les deux cinéastes qui dominent selon moi sont Hou Hsiao Hsien et Edward Yang. Ils font partie des réalisateurs de la « nouvelle vague » et sont très liés. D’ailleurs tous les auteurs de ce mouvement sont liés, ils jouent souvent les uns dans les films des autres. C’étaient des gens qui faisaient partie de la même génération et qui ont été confrontés aux mêmes problèmes.

Quels sont vos cinéastes favoris parmi ceux qui ont émergé ces dernières années ?

Je pense qu’Hou Hsiao Hsien et Edward Yang sont de très grands cinéastes. Mais il y a aussi Tsai Ming-Liang, Wong Kar-waï. Dans le cinéma plus commercial il y a par exemple John Woo. Les vrais talents sont très nombreux. Je pense que parmi les jeunes, Tsai Ming Liang est un immense cinéaste malheureusement encore inconnu du public.

Les cinématographies d’Asie sont peu connues du grand public, pensez-vous que cela soit dû à une carence de la distribution ?

Oui mais vous savez, c’est un problème qui concerne de nombreux pays. Il est vrai que ce sont des films difficiles. Quand Hou Hsiao Hsien a fait La Cité des douleurs, -lion d’or à Venise-, le film a mis un an à trouver un distributeur en France. L’un des problèmes majeures, c’est le prix demandé par les distributeurs asiatiques. Comme les films ont eu un succès public dans leur pays d’origine, ils pensent juste à demander un prix élevé, mais ils ne se rendent pas compte que le public européen est plus restreint et surtout différent. Quand La Cité des douleurs est sorti, le film a fait peu d’entrées, en tout cas beaucoup moins qu’à Taiwan. C’est le problème des cinéastes de cultures très éloignées, qui ont du mal à créer des dynamiques autour d’eux hors de leur frontières d’origine. Seul le chinois Zang Ymou a connu quelques succès commerciaux en France, Chen Kaige aussi.

Vous pensez que c’était dû à une sorte d’attrait de l’exotisme ?

Je pense que leur faculté de séduction est plus grande, la beauté plastique de leurs films est plus facile à percevoir. Les cinéastes cités précédemment sont plus rigoureux, plus austères. Leur récit sont plus elliptiques et donc plus difficiles à comprendre quand on n’a pas un minimum d’informations sur l’histoire et sur la culture. Les films de Hou Hsiao Hsien par exemple couvrent souvent de longues périodes contrairement aux films de Zang Ymou qui portent sur des sujets plus précis et des périodes nettement plus courtes.

Est-ce que ces cinématographies ont le même problème que nous avec la concurrence des États-Unis ?

Aucun. Le problème ne se pose même pas, ils n’en ont rien à faire du cinéma américain. L’Asie c’est deux milliards de spectateurs. Ils n’ont pas besoin du cinéma américain qui n’a pas la même prise là-bas. Ce sont de vrais concurrents pour le cinéma américain parce qu’en Asie les gens veulent voir les films asiatiques. Il y a une vraie résistance au cinéma américain de par le poids des différentes cinématographies et leur dynamisme. A Hong Kong ce qui marche, ce sont les films Hong-Kongais !

Est-ce que la rétrocession de Hong-Kong à la Chine va changer la donne ?

Je suis allé à Hong Kong récemment et on ne sentait rein, aucune différence. Je crois que la Chine a besoin de ces territoires. De plus la Chine a modifié son attitude vis à vis de l’argent, elle est plus ambiguë.

Pour finir, pourrait-on avoir votre avis sur Les Fleurs de Shanghai ?

J’ai énormément aimé, c’est un film magnifique. Plastiquement, il y a un aboutissement avec les lumières, les décors, les costumes… Mais je pense que c’est un film aussi formidable que les précédents !

Propos recueillis par

La critique du film sur Chronic’art.