Avec leur deuxième album Sur les traces de Black Eskimo, le trio le plus vagabond de Montréal, Les Georges Leningrad, brise le silence et entame l’expédition hors des glaces éternelles. Avant leur concert parisien vendredi 3 juin au Point Ephémère, interview.

Chronic’art : Petite question biographique : quand avez-vous commencé le groupe ?

Mingo : Si je me souviens bien, malgré ma mémoire défectueuse, j’étais avec l’aide de Bobo en train de réparer une table quand une petite fille aux cheveux noirs et brillants est apparue devant nous. Elle sifflait un air de musique connu d’un film noir français. Nous nous sommes moi et Bobo mis tout de go à nos instrument de torture et avons suivi son air si mélancolique mais très spirituel en même temps. C’était le début d’une épopée qui dure et qui persiste dans nos têtes. C’était bien avant l’hiver…

Bobo : Notre orchestre a vu le jour le 25 décembre 1999. Nous étions quatre, au départ, unis comme les cinq doigts de la main. Deux couples et huit bras, plus un fantôme, égal cinq. Nous étions cinq avant la soustraction.

Qui fait quoi dans le groupe ? Comment composez-vous ? Comment enregistrez-vous ?

Mingo : Nous sommes trois et parfois 33. Comme l’âge du Christ est un symbole fort et magistral, nous ne pouvons que composer ensemble et à notre manière. La composition se fait comme le trait d’un feutre sur une feuille blanche et limpide. En gros, l’enregistrement se fait de lui-même comme un micro-onde prend soin de chauffer notre nourriture.

Bobo : Nous sommes maintenant trois. Cinq en ajoutant notre petit frère Jimmy qui a toujours faim et notre gérant bien-aimé, Ti-Père, qui habite présentement sur un nénuphar. Je joue essentiellement de la batterie. J’ai le rythme dans le sang. Je suis plein de fureur. Je chante et je fais du bruit avec l’aide d’une petite machine que je traîne partout avec moi. Sur les albums, je touche à la guitare et aux synthétiseurs. Nous composons tous ensemble de façon instinctive. Nous enregistrons humblement dans des endroits lugubres et froids. Mingo a une expertise certaine dans le domaine du son et de la technologie. Le Snow-fi, c’est nous.

Eskimo est un « classique » des Residents. Intituler votre album « Sur les traces de black eskimo » était une façon de leur rendre hommage ? Vous êtes fans des Residents ?

Mingo : Les Residents sont pour moi une source d’inspiration profonde. Il nous est impossible de leur rendre hommage comme il est impossible de rendre hommage à qui que ce soit. Les Residents ont amorcé et inventé une manière d’être et de jouer. Nous ne pouvons que suivre notre route. Mais de toute façon tous les chemins mène à Rome, alors…

Bobo : Je crois qu’il y avait de la part de Mingo un petit clin d’oeil charmant et hommagieux. Je ne suis pas un fan des Residents. Par contre, je suis obsédé par

le nord, le vide et la solitude. Il y a du sang esquimau qui coule dans mes veines.

Comme Les Residents, vous vous déguisez sur scène. Quelle est la fonction de ces déguisements ? Jouer de manière plus libérée ? Créer une identité singulière ?

Mingo : Le déguisement est un appel à la libération de toutes huiles visqueuses qui s’échappent de mon corps. Elle me permet d’accéder à un niveau que je ne pourrais atteindre en n’étant qu’un simple mortel. Nous avons une identité très forte à trois comme la sainte-Trinité peut l’être.

Bobo : Nous sommes des enfants et nous débordons de fantaisie. Nous aimons jouer sur la scène pour le plaisir de faire un beau voyage (comme dirait mon père). Cette façon de nous créer des personnages nous est venue naturellement.
Nous nous dépossédons. Un petit côté tapette nous a penché sur le berceau du travestissement, la confection de postiches et de costumes. Nous devenons sur la scène une série de carte à collectionner. C’est une manière d’être universel. Nous sommes laids. Nous sommes émouvants et nous marchons à tâtons dans le noir, les bras tendus.

Vous avez de vrais « tubes » sur votre nouvel album, et vous vous faites remixer par Akufen ou Magas. Est-ce que faire danser le public est une des fonctions de votre musique ?

Mingo : Non. Je crois que les tubes comme tu dis ne sont là que par hasard. Il est vrai que j’aime bien voir les gens danser devant moi, mais l’important, je crois, c’est de créer une entité avec cette foule qui carbure au iPod de nos vies.

Bobo : Bien sûr. Le rythme et la danse vont très bien ensemble. C’est agréable de bouger dans tous les sens.

Certaines parties instrumentales, ou « atmosphériques » ont un côté angoissant, un peu flippant. Est-ce que créer un effroi fait partie de vos intentions envers votre public ? La bio parle de « musique sadique »…

Mingo : L’angoisse fait partie de ma vie de tous les jours. Sûrement aussi de tes jours à toi. Je ne trouve pas que l’angoisse soit « flippante » pour reprendre ton mot. Oui, notre musique est sadique, mais la lueur du soir peu toujours transpercer ce sadisme.

Bobo : Souffler sur les chandelles. Se cacher dans la garde-robe. Raser les murs. Manger du chien, du chat et des enfants. Parler la bouche pleine, l’air solennel. Transformer le vin en Coca-Cola, la vie quotidiennement, la perle aux pourceaux, la morve au nez.

Vous considérez-vous comme un groupe pop ?

Mingo : Pop, punk, nucléaire, jazz, etc. Ce mélange s’appelle du rock pétrochimique, comme le dit si bien Bobo.

Bobo : Tout à fait. Nous ne sommes pas dans la norme actuelle. Nous ne cherchons pas à plaire. Je considère tout de même que notre musique est franche et directe.

Quelles sont vos influences passées et présentes ? Quels disques écoutez-vous en ce moment ?

Mingo : J’écoute ces temps-ci beaucoup de Luc Ferrari et de la musique électroacoustique. J’ai des goûts assez variés qui vont de Georges Brassens en passant par Syd Barrett et de Claude Lelouch en passant par Robert Morin… C’est l’angoisse totale.

Bobo : Je suis obsédé par la musique des Germs (hardcore-punk américain 77-80).

J’écoute les disques (GI et What we do is secret) plusieurs fois par jour. Le punk rural des Crucifucks. Je m’inspire de la vie merveilleuse des animaux. Je suis très agile et téméraire. La littérature dangereuse de Céline et Bernhard, Beckett et Faulkner. Les

insectes. Le tout-petit. Le plus grand que nature. Je chante dans un duo art-punk, complété par Xavier Caféine, nommé The Funeral Kids. Ce garçon m’inspire grandement et nous fomentons des plans pas très catholique. Nous sommes religieux par la violence de notre foi. J’aime beaucoup la musique liturgique d’Olivier Messiaen.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Sur les traces de Black Eskimo
Les Georges Leningrad sont en concert à Paris vendredi 3 juin à 20h30 au Point Ephémère. Plus d’infos ici.