Punks à chiens, professionnels de la profession et stars du rock réunis dans un même combat festif pour une des meilleures programmations festivalières de l’hexagone : le Printemps de Bourges marie chèvre et choux, mainstream et underground, pour ados babas et vieux rockers. Compte-rendu non exhaustif.

Arrivés seulement vendredi dans la 205 rouge sale de Jérôme Laperruque à Bourges pour son Printemps, on aura juste loupé Massive Attack, Beck et ce bon vieux Renaud. Pas d’affolement, donc, dans l’espace pro où je retire auprès de la belle Annabelle nos accréditations, ces petits pass verts autour du cou que certains régionaux enivrés voudront nous dérober plus tard, les naïfs. Comme s’il y avait là privilège, quand c’est simple contrat. Après tractations avec divers services d’ordre pour parquer la caisse dans un coin tranquille à côté d’une Twingo, nous voilà battant le pavé de la foire commerciale qui constitue le véritable « off » du printemps, à la queue derrière un char « fluo », la « nouvelle » boisson Perrier au goût de Lexomil, où une farandole de jeunes filles en survêt’ blancs offre de petits verres plastiques à foison. Plus loin le podium Kit-kat fait du rap engagé en faisant répéter après un Mc dont on se demande combien il est payé aux foules solitaires les slogans de la barre chocolatée. Les bras chargés de ces cadeaux régressifs, échouons avec Jean-Vic Chapus, éminent confrère de Rock & Folk, new comer et j’en passe, à l’euro-bar, où nos premières bières se paient en euros. Après avoir récolté les infos cruciales (« Les filles de l’organisation sont vraiment mimi » ou « Renaud est toujours de gauche »), nous dégotons une chambre d’hôtel, on ne vous dira comment, et repartons le pas déjà moins ferme vers le concert de Death In Vegas.

Où l’on s’ennuie ferme justement, malgré l’apport d’un mélange vodka-lemon tonic du meilleur effet. On n’est même pas sûr que Richard Fearless soit sur scène, et le groupe enfile les hymnes techno-rock comme sur une chaîne de montage Peugeot. Le public semble moyennement preneur, nous fuyons. Direction la taverne de maître Kanter locale, sorte de Macdo gastronomique strasbourgeois déterritorialisé, où nous mangeons un tartare de saumon en compagnie de Damien Almira, éminent confrère de Rock & Folk, Trax et j’en passe. Nous revenons pour le set des 2 Many Dj’s, le temps de trouver de la drogue chimique et de croiser leur attaché de presse Pias, Christophe, dans un couloir, qui s’inquiète de les entendre mais de ne pas les voir présents sur scène. Il semble que ce soit sur le CD de la soirée Trax de l’autre soir à Paris que tout le monde danse. Que nenni me dit Cécile un peu plus loin, autre attachée de presse Pias, qui m’explique que les deux belges mixent bien en direct, mais dans la fosse, au plus près de leur public. Et en effet, après un petit détour par une jeune fille en rouge avec des dreadlocks, je les distingue juste en bas de la scène, derrière la sécurité. Et je me mets à danser. Je ne peux pas m’empêcher de danser. Impossible de ne pas danser. Mes pieds et mes jambes bougent et je ne peux plus les arrêter. Je ne pense plus qu’à une chose : danser. Les Dj’s les plus post-modernes de l’univers savent même agrémenter leur set d’incursions nationales, en y glissant un peu de Cargo de nuit et de Joe le taxi, qui flatte nos échines. On s’amuse bien et il est déjà minuit passé, grand temps d’aller à la salle dite « Le 22 », voir Hoggboy. Après errance longuette, on trouve finalement porte close et on se rabat sur le club adjacent, le Magic Mirror, dédié aux accrédités, où les deux « trop de Dj’s » de tout à l’heure se sont remis au travail.
Donc, on redanse. On reboit. On tombe amoureux toutes les deux minutes. Un peu plus longtemps même pour Laurence, troisième attaché de presse Pias de la soirée, dont les yeux pétillent avec inquiétude que c’en est touchant. On finit avec Jérôme on ne sait comment dans l’Etap’Hôtel de la route de Chateauroux.

Avec tout ça, on a loupé Abstrackt Keal Agram, Nils Peter Molvaer et l’immense Pascal Comelade. Mais on ne s’affole pas, on reste professionnels et après douches, café et galettes St-Michel, on retourne voir la belle Annabelle pour caler l’interview des new-yorkais Black Dice. Elle consulte le « dossier Paris » d’un air entendu et rendez-vous est pris. Hors du festival, Bourges le samedi semble ville morte, comme si tous les locaux avaient quitté la ville juste cette semaine-là, ou comme un épisode d’X-files. Après le show au millimètre du chanteur français doué Yan Savel (dans la sélection « Découvertes », sans doute pourtant l’estampille la plus décrédibilisante pour un artiste), on marche jusqu’au Palais Jacques-Coeur, bâtisse médiévale à la jolie cour de gargouilles et déambulatoires, où une certaine Marie prépare un brunch goûteux, tandis qu’une amie journaliste, ou attachée de presse (quelle différence de toute façon ?), me recommande le bloody-marie maison. Après les sets de Jean-Charles Baroche (Active Suspension, il me met la pression gentiment sur sa prochaine sortie, Davide Balula, mais je sais que j’aime déjà), et Dave Howell (Fat Cat), les Black Dice font trembler les vieilles pierres dans une configuration originale de guitare detunée, batterie saturée et effets en abîmes, deux membres du groupe s’activant sur des tables de mixage grouillant de multiples câbles colorés, pour produire un set progressif et psychédélique qui nous laissera oreilles sifflantes et jambes bourdonnantes. Jack Lang, toujours à la pointe, restera cinq minutes. Après retour au bar pro, interview du quatuor dans la foulée, on débarque sous le plus grand chapiteau de Bourges applaudir Interpol, toujours parfaits après deux ans de tournée non stop (le groupe avait déjà fait ses bagages pour repartir sitôt la fin du concert pour participer à un festival en Californie le lendemain soir). La vodka-tonic opérant, on se prend à sautiller sur les blues explosions de Dionysos, groupe populaire mais de bon goût. A la différence de Emilie Simon et de Keren Ann, qu’on n’ira pas voir, quoique Dominique Marie nous ait conté monts et merveilles du décolleté de la première. On marche plutôt vers Le 22, accompagné par l’écho du concert de Placebo, qui rebondit lourd contre les murs de la rue. M83, dans une nouvelle formation avec bassiste et batteur en suppléments font doucement monter le public, Black Strobe le stabilise un peu, et Zongamin finit par lui ouvrir le cerveau : les plus belles lignes de basse et les plus beaux breaks de batterie du festival résonnent ici en dérives abstraites, contre-pieds groovy et digressions rythmiques. Sorte de Senor Coconut post-funk, le groupe en chapeaux blancs produit la musique la plus intelligente et la plus dansante de la soirée. On se finira tranquillement au Magic Mirror où Damien Almira travaille en vain Laetitia-Tripsichord au corps, où Nicolas-Guinguette pogote en mangeant une pomme, où Jérôme fait des bises à Gaby-Coda, et où j’ai l’impression de me suicider professionnellement en buvant dans les verres de tout le monde, en embrassant tout le monde, en aimant tout le monde. La société du spectacle me le rendra, j’en suis sûr.