L’association du vieux routier du r’n’b -Andre Williams, 62 ans de méfaits musicaux (Shake a tail feather, Jailbait, etc.)- et des garageux rockabillistes Countdowns n’en finit pas de fructifier. Après une tournée en ouverture du Blues Explosion, les revoilà sur les routes d’Europe. Avant la sortie d’un album mis en boîte ensemble, Williams parle, entre autres, de Red dirt, son opus 100% country. Et laisse parfois intervenir le Countdown Brian Waters (guitare, voix)…


Chronic’art : Vous venez de sortir un album de country, ce qui peut surprendre a priori…

Andre Williams : Tout d’abord, je regrette que cet album n’ait pas été enregistré avec les Countdowns, mais c’était impossible… J’ai été élevé au son de la country music, dans le sud des USA. Mes grands-parents, des baptistes purs et durs, nous interdisaient le rhythm’n’blues. La première fois que j’en ai entendu, j’avais 12 ans. Gamin, je bossais dans les champs et mon grand-père -un exploitant agricole- venait nous apporter de l’eau et le repas de midi tous les jours. Il laissait ouverte la porte de sa camionnette et j’entendais sa radio, toujours réglée sur la station de country. C’est ainsi que j’ai adoré Patsy Cline, Hank Williams et tous ces artistes… Je chantais leurs chansons en labourant. Tu serais surprise de réaliser à quel point le blues et la country sont proches. Les accords utilisés diffèrent, mais les histoires sont les mêmes : des femmes abandonnées, les misères du white trash et du nègre fauché… Maintenant que le r’n’b a disparu -ce qu’on appelle comme ça est du hip hop- la country a tout récupéré, les accords et le reste, et est devenue un style très populaire. C’est là où se trouvent les meilleures histoires, les paroles authentiques. Tout au long de ma carrière de producteur, y compris pendant les années Motown, on me reprochait de créer des morceaux trop élaborés.

Oui, mais Motown, c’était de la musique noire pour les blancs.

Andre : Complètement. Motown visait le marché pop. Le responsable des ventes chez Motown, Barney Ellis, un blanc, a convaincu Gordy de s’ouvrir à ce marché. Il négociait avec les distributeurs et les DJs et a expliqué à Berry la clé du succès : « Always have a hit in the can » (avoir toujours un hit en boîte). Lorsqu’un label sort un disque qui marche, les fabricants et distributeurs sont payés avant lui et s’en mettent plein les poches. La ruse de Barney était de garder son prochain hit jusqu’à ce qu’il soit payé. A chaque réunion, les producteurs qui avaient un hit se plaignaient que Berry garde leur prochain disque sous le coude. Et il leur répondait : « je n’ai pas eu mon futur hit. Enregistre encore »… On passait donc notre vie à enregistrer comme des fous. Pendant les réunions, Berry énumérait les artistes en mal de hits. Du genre : les Temptations ont besoin d’un nouveau single d’ici six semaines. Tous les producteurs s’y mettaient et quand les Temptations rentraient de tournée, ils ajoutaient leurs vocaux à une vingtaine de chansons. On votait ensuite pour élire notre préférée et on invitait un lycée à écouter et donner son avis…

Brian Waters : Et les albums ? Il n’y avait pas que des singles quand même…

Andre : Il n’y avait pas de LP avant qu’un artiste ait percé sur le marché du single. En général, à ce stade-là, on avait 20 morceaux en boîte. Mais comme il fallait un futur hit, on continuait à enregistrer. Ces séances étant déduites en frais sur les comptes du producteur et de l’artiste, il fallait bosser comme quatre pour gagner sa vie.

Brian : Et aucun artiste ne touchait de droits d’auteur.

Andre : Non. Le seul à s’enrichir était Berry. Un génie dans ce domaine. Quand un artiste avait du succès, Berry achetait une limousine, une maison et les lui louait ! On a beaucoup copié la méthode de Berry, son usine à faire des stars. Quand les copieurs marchaient, il les rachetait et éliminait la concurrence.

Brian : Prenait-il Stax comme une menace ?

Andre : Non. Stax visait uniquement le marché du r’n’b. Il n’y avait pas beaucoup de titres de Stax dans le Billboard 100, alors que Motown occupait toute l’année les dix premières places. Dès qu’un disque s’essoufflait, Berry en balançait un nouveau pour ne pas perdre cette place. Puff Daddy opère de cette façon. Il fait du hip hop pour le marché pop. Il a copié l’attitude des mecs de Death Row, en l’adaptant pour un marché plus large. Rien n’a changé. Ça fait six mois que je dis à Brian qu’il faut que les Countdowns enregistrent. Il faut du Countdown dans les rayons ! Ils devraient avoir 3 albums au moins à différents stades de gestation.

Brian : On en a deux.

Andre : Il en faudrait trois, sur trois labels. Regarde Garth Brooks : il a de quoi alimenter les rayons d’un magasin de disques ! Aujourd’hui, les gens n’écoutent plus la radio. Ils vont dans les magasins, et, s’ils sont amoureux de musique, y passent des heures à lire les crédits sur les pochettes, à remarquer qu’untel joue de la batterie là…

Ce que je fais !

Brian : Moi aussi !

Le deuxième album des Countdowns a-t-il subi l’influence d’Andre ?

Brian : Oh oui ! On va à l’école avec lui et les cours ne sont pas faciles.

Andre : Ce que je veux, c’est qu’un jour, les Countdowns entrent en studio sans rien de prêt. On ne se prépare pas à faire l’amour. On ferme la porte de la chambre et c’est tout.

Brian : On y est arrivés. On a écrit ainsi 5 morceaux avec Andre.

Andre : Brian a baptisé ce disque The Black godfather.

Brian : En résumé, nous avons deux albums en route : un chez Scooch Pooch, un sur In The Red. Ça devrait sortir d’ici janvier ou février.

Comment avez-vous réalisé que vous pourriez fonctionner ensemble en tournée ?

Brian : Le patron du label In The Red, Larry Hardy, est un copain et aime notre groupe. Quand Andre Williams a enregistré l’album Silky sur In The Red, il a travaillé avec des musiciens qui ne tenaient pas à partir sur la route. A l’origine, on nous a proposé de faire deux semaines sur la Côte-Ouest des USA. Etant donné que je suis un fan d’Andre, j’ai considéré cela comme un honneur. On a su que ça collerait dès le premier show, un concert à LA avec Guitarwolf. Pendant les répétitions, nous étions pétrifiés par Andre. Il flottait une énergie incroyable. Sur la route, Andre nous a appris à vivre comme si nous étions une armée. Il nous attribue des postes, avec lui, c’est nous contre le monde.

Andre : Quand j’ai rencontré Brian, il connaissait mes vieux trucs. Au début, c’était bizarre, je devais me faire ma place, faire fonctionner cette équipe-là, ce black entouré de petits jeunots blancs. La relation s’est développée, mais au départ, j’étais trop paternel. Je les étouffais, les traitait en gamins. Il a fallu que je leur laisse leur espace. Entre-temps, j’avais réalisé que j’avais des petits génies autour de moi. Ils m’impressionnent dès qu’ils posent le pied sur scène. J’ai les ingrédients pour une bombe atomique !