A l’occasion de la parution du livre, L’Opinion, ça se travaille, coécrit par Serge Halimi et Dominique Vidal, rencontre avec Serge Halimi, qui nous entraîne sur les chemins tortueux de la propagande et de la manipulation, dans les méandres et les impasses du métier de journaliste…


Chronic’art : Vous êtes journaliste au Monde diplomatique. En vérité, qu’est-ce qu’un journaliste ?

Serge Halimi : C’est quelqu’un qui se donne pour principale mission de rendre compte de ce qui se passe, et qui veut informer la population, par quelque média que ce soit -presse écrite en ce qui me concerne. Les gens qui le lisent ou l’écoutent doivent pouvoir se faire une opinion aussi précise que possible de la réalité, pour, le cas échéant, transformer cette réalité si elle est inacceptable.

Dans ce livre il est question de journalisme, plus exactement de la couverture médiatique des événements qui ont eu lieu au Kosovo l’année dernière. Souvenons-nous qu’il y a un an, l’Otan intervenait…

L’Otan a été créé en 1949. Sa mission : prévenir une attaque de l’Union soviétique et de ses alliés, le pacte de Varsovie. Ce dernier ayant été créé, après l’Otan, en 1955. Mais ce que l’on appelait à l’époque « le Bloc soviétique » et au départ l’Otan étaient conçus comme une alliance strictement défensive. L’article 5 de la Charte de l’Otan, signé le 4 Avril 1949 à Washington, prévoyait qu’une attaque de l’Union soviétique et de ses alliés dirigée contre un ou plusieurs des membres de l’Otan serait considérée comme une attaque contre toutes les parties. Evidemment, c’est un cas de figure qui n’avait plus aucune raison d’être depuis la fin de la guerre froide, depuis la chute du mur de Berlin. L’idée qu’un des membres de l’Otan puisse être attaqué par l’Union soviétique, ou par l’un de ses alliés -alors même que le pacte de Varsovie avait été dissous, et que trois de ses anciens membres avaient déjà rejoint l’Otan-, n’était plus du tout d’actualité.

Une organisation devenue caduque en somme, mais à laquelle il faut malgré tout donner du sens. D’où cette intervention ?

L’intervention qui a eu lieu en 1999 au Kosovo n’était clairement pas conforme avec les statuts de l’Otan puisqu’il s’agissait non pas d’intervenir pour défendre un Etat de l’Otan attaqué, mais d’intervenir contre un pays qui ne faisait pas partie du pacte de Varsovie, dissous j’insiste.
A travers cette intervention, justifiée par des raisons humanitaires, par un sentiment d’urgence, et très largement manipulé par les médias, me semble-t-il, on a vu s’élaborer un nouveau prétexte d’interventions de l’Otan. On a estimé qu’en cas d’urgence, les pays membres de l’Otan pouvaient intervenir, non seulement en Europe, mais ailleurs, pour faire face à une situation qui exigeait une réaction immédiate. Or cette idée, au moment où la guerre de Yougoslavie a éclaté, ne faisait pas l’unanimité des membres de l’Otan. La France notamment, qui hésitait en se demandent si elle pouvait donner cette espèce d’accord aux Etats-Unis. Soyons clairs : c’est une alliance largement dirigée par les Etats-Unis, pour intervenir, avec le concours de leurs alliés européens, un peu partout dans le monde. En quelque sorte, l’affaire du Kosovo a permis de faire passer la pilule. Une fois que la France et d’autres pays européens ont finalement accepté l’intervention, il était entendu que le rôle de l’Otan n’avait plus besoin d’aucune justification. Plus question de voir en l’Otan une organisation caduque.

L’intervention de l’Otan a eu lieu sans l’accord préalable de l’Onu…

Contre l’avis de l’Onu en vérité ! Car lorsque les Etats-Unis et les puissances occidentales ont cherché à obtenir l’aval du Conseil de Sécurité, ils se sont heurtés à l’opposition déterminée de la Russie et de la Chine. Rappellons que la Chine a elle-même, pendant la guerre, subit le bombardement de son ambassade, c’est-à-dire, en droit international, le bombardement de son territoire par des troupes étrangères, dans une situation de guerre illégale. Imaginons l’inverse : une guerre déclarée de manière illégale par la Chine qui bombarderait l’ambassade des Etats-Unis, c’est-à-dire le territoire américain ! Que n’eût-on entendu alors… ?

Pour justifier ce sentiment d’urgence, l’opinion publique va être manipulée via les médias, au niveau de l’image, mais aussi au niveau du langage utilisé. C’est ce que l’on va découvrir pendant la guerre. Plutôt que de parler de « bombardement », on parlera de « frappes ».

L’opinion, au départ, ne sait pas vraiment de quoi il s’agit, parce qu’en période de paix, lorsqu’il n’y a aucune tension qui risque d’impliquer des soldats occidentaux, les médias ne s’intéressent pas du tout à la politique étrangère. Lorsque la guerre est décidée, il est important de la vendre, il est important de la rendre nécessaire, et les techniques employées sont assez simples : vous stigmatisez l’ennemi, et vous euphémisez tous les torts que vous pouvez causer à des populations civiles. Effectivement, si vous parlez de « frappes », « pertes collatérales », ça a un côté presque chirurgical, propre, cour de récrée quasiment. Alors qu’il s’agit bien de bombardements, de gens amputés, brûlés vifs, tués. Quand vous employez le mot « bombardements », les gens associent davantage la mort, la souffrance, l’amputation. Inversement, lorsqu’il s’agira des exactions de Milosevic, des exactions des paramilitaires serbes, dont personne ne niera l’existence, il faudra que ces exactions soient présentées par rapport, et en référence, à l’exaction suprême, le crime du siècle, c’est-à-dire le génocide nazi.

Mais en même temps, ces mots, « pertes collatérales », etc., ne nous sont pas inconnus. Lors de la guerre du Golfe, sous mandat de l’Onu, ce vocabulaire avait déjà été abondamment utilisé…

Avec des résultats qui ont été jugés tellement probants qu’on a repris la même technique. Une autre technique consiste, par exemple, à parler des forces alliées. Alliés, pour ceux qui sont allés à l’école primaire, c’est la grande alliance de la Seconde Guerre mondiale contre les nazis, et, justement, c’était les alliés contre les nouveaux nazis, à savoir les supposées forces serbes, stigmatisées collectivement. Autant en tant que forces armées qu’en tant que peuple, rouge-brun, pour ne pas dire nazi. Face à eux, les forces du bien, de la vérité, de la précision chirurgicale, lorsqu’ils bombardent, lorsqu’ils tuent et lorsqu’ils mutilent.

Pour convaincre l’opinion, les politiques vont nous parler mais aussi manipuler le droit à l’autodétermination, une des grandes idées du siècle qui s’achève…

Il y a cette volonté de faire croire que l’on se bat pour l’autodétermination, alors que la plupart des puissances européennes ne la souhaitent pas et redoutent même les conséquences qu’une telle autodétermination pourrait avoir ailleurs si chaque minorité, chaque province d’un Etat constitué, réclamait à son tour le droit à l’autodétermination. Ici, on est dans une situation un peu paradoxale : la Yougoslavie est censée avoir la juridiction sur le Kosovo, alors même que le Kosovo est administré par l’Otan (40 000 soldats). L’Onu a avalisé l’opération qui garantit l’ordre dans ce territoire. Or, les choses vont mal et ce territoire est censé appartenir à la République de Yougoslavie. Les pays membres de l’Otan admettent que le Kosovo est une province yougoslave, mais n’envisagent nullement le droit à l’autodétermination pour celle-ci.

Dans ces contradictions, il y a aussi celle des Etats-Unis avec Madeleine Allbright, la nouvelle égérie de l’UCK ?

Je ne sais pas qui est l’égérie de qui, mais là, en tout cas, on a un retournement idéologique de l’un et de l’autre. Pendant très longtemps, comme vous le savez, les Etats-Unis ont considéré l’UCK comme une organisation terroriste, et c’est subitement qu’elle est devenue l’organisation de défense d’un peuple, et, en quelque sorte, l’illustration de son droit à l’autodétermination.

En fait, par cette guerre au Kosovo, une nouvelle virginité est donnée à l’Otan : une sorte de gendarme humanitaire de toutes les causes en Europe et de par le monde.

« Gendarme humanitaire », il faudrait vraiment être un journaliste très docile, et je sais qu’il y en a un certain nombre, pour présenter l’Otan comme une organisation humanitaire. Mais il est vrai qu’à partir du moment où Serge July, directeur de Libération, a inventé le concept de « guerre humanitaire », on peut traiter l’Otan de Médecins sans frontières pour la paix dans le monde…

Un an plus tard, on constate que l’Otan n’a pas accompli sa mission. A savoir intervenir en Tchétchénie, au Timor Oriental…

Bien sûr, l’Otan n’a pas accompli la mission que lui ont assignée les plus naïfs, pour ne pas dire les plus jobards d’entre nous, mais elle a accompli sa mission, si cette mission consistait bien à s’installer durablement dans les Balkans.

Pour créer un nouveau marché pour l’Europe et les Etats-Unis ?

Pour créer un nouveau rapport de forces, et prévenir, parce que c’est un peu l’obsession des stratèges occidentaux : tout retour en force de la Russie en Europe.

Aujourd’hui, on est dans une situation où l’Onu est chargée de gérer la crise…

Avec les résultats qu’on connaît… C’est-à-dire que depuis août 1999, plus de 500 meurtres ont été commis au Kosovo, très majoritairement des Serbes. Evidemment, ça fait rarement la une des journaux parce que l’on a pris l’habitude de considérer que les Serbes sont étrangers au Kosovo. Or il y a des populations d’origine serbe qui sont au Kosovo depuis des siècles ! Elles étaient certes minoritaires, mais on a toujours considéré que les populations minoritaires n’ont pas vocation à être expulsées. Par ailleurs, on a toujours considéré que l’épuration ethnique était aussi scandaleuse dans un cas comme dans l’autre. Celle-ci, une contre-épuration ethnique a eu lieu depuis un an, et elle ne s’est pas passée dans des conditions d’apaisement total. Des centaines de meurtres sont traités par les grands médias occidentaux avec la plus grande une discrétion. Rappelons-nous ce qui s’est passé l’année dernière. On pourrait très bien voir des journaux télévisés qui débutent avec des images de populations serbes en pleurs, expliquant qu’untel ou untel a été massacré, et qu’elles quittent le territoire où elles ont vécu depuis des décennies. Parce qu’elles ne peuvent plus y vivre ; après, on imagine les commentaires apitoyés des journalistes… Je constate que, dans ce cas, ce genre de choses nous est épargné. Alors je dis, c’est peut-être très bien, c’est peut-être très mal, mais il y a un genre d’asymétrie qui est assez révélatrice.

On ne peut plus parler de Kosovo multiethnique, si tant est qu’il ait jamais existé…

Il reste encore quelques Serbes, quelques Tziganes, mais effectivement, une bonne partie d’entre eux a quitté le Kosovo. Soit parce que leur maison a été brûlée, soit parce qu’ils ont eu assez légitimement peur des exactions que d’autres Serbes ou d’autres Tziganes avaient subies. Je ne sais pas, en revanche, si on peut comparer le sort qui a été le leur à celui des Albanais du Kosovo, puisque les violences dont ils sont victimes ne s’appuient pas sur un appareil militaire institutionnel organisé, lorsque les troupes serbes, ou les organisations paramilitaires serbes, soutenaient ou participaient à ces exactions.

Voyons un peu, maintenant, comment les médias ont traité cette période. Depuis un an jusqu’à aujourd’hui, on dispose d’une analyse qui s’est faite sur le vif, pendant la guerre du Kosovo, et d’une autre, bénéficiant d’un certain recul, après cette guerre.

Effectivement, il y a de quoi dire…

Le langage des médias est le même que celui tenu par les militaires…

On emploie l’adjectif « chirurgical », ce qui est quand même une prouesse rhétorique assez exceptionnelle. Le problème, me semble-t-il, et c’est absolument scandaleux, c’est que ce discours d’euphémisation, dont on comprend tout à fait qu’il soit le fait des militaires, ait été repris avec une telle docilité, pour ne pas dire avec une telle servilité, par les grands médias -normalement contre-pouvoir- à nous donner, à nous, citoyens, des éléments d’information nous permettant, le cas échéant, de penser contre la volonté de nos gouvernants.
Ce qui n’est pas sans rappeler la guerre du Golfe, à une nuance près : les journalistes utilisent le conditionnel…

Au moment de la guerre du Golfe, on nous donnait des informations à l’indicatif, dont on se rendait compte après coup, qu’elles étaient fausses, mais nous les avions répercutées à l’indicatif. On a donc privilégié le conditionnel, parce qu’il nous était impossible de vérifier l’information. Oui, la solution consistait à employer le conditionnel, et de répondre, si l’information s’avérait fausse, que nous n’avions seulement pu rapporter ce qu’on nous disait, en s’engageant au minimum. Le seul problème, c’est qu’il n’y avait pas de conditionnel en face. Le seul conditionnel dont nous disposions, c’était l’écho d’informations mensongères, concoctées par l’Alliance atlantique, avec le concours de spécialistes en communication qui avaient été délégués par Bruxelles pour vendre la guerre à un moment où une partie de l’opinion commençait à être réticente. Car elle voyait que les bavures étaient assez nombreuses, et que la guerre avait été conduite de telle manière qu’elle devait épargner la vie de tout soldat de l’Otan.
On a eu ici une stratégie délibérée de l’Otan : une guerre de la communication, une guerre militaire dont le principal objectif était de ne provoquer aucune perte d’un soldat de l’Otan, en prenant le risque de sacrifier la vie de centaines de civils yougoslaves, ou albanais, ou serbes du Kosovo. Ceci, en espérant voir naître une espèce de soulèvement de la population yougoslave contre le régime de Milosevic.

Les seules informations concernant ces bavures étaient les communiqués de Jamie Shea, porte-parole de l’Otan. Lors de ses interventions télévisées, il annonçait chaque fois qu’une enquête était en cours. Vous relevez un témoignage dans votre livre à ce propos.

Oui, il s’agit du témoignage d’une personne qui nous dit que ces interventions télévisées concernant les bavures et annonçant une enquête, ne servaient qu’à se dire que lorsque les résultats seraient publiés, plus personne ne s’en soucierait. Ca entrait encore dans le processus de propagande. Le problème étant que trop souvent l’information s’est contenter de n’être que de la communication. C’est ce que l’on a vu avec les images de l’Otan et de Jamie Shea, tout comme les autres images immédiatement disponibles, celles des réfugiés arrivant en Albanie ou en Macédoine. Pendant un mois, on a baigné dans une espèce de glu compassionnelle, avec tous les soirs un quart d’heure avec des réfugiés qui nous racontaient ce qu’ils avaient subi. Ce qui était évidemment très éprouvant, et provoquait chez nous de la sympathie à leur égard. Mais est-ce que le sujet méritait un quart d’heure tous les soirs au JT ? Non ! D’autant plus que d’autres aspects de la guerre étaient, eux, systématiquement occultés : notamment ceux que l’on a abordés plus haut, soit les véritables motifs de l’opération…

On découvre aussi qu’il y a beaucoup de journalistes qui se rendent « sur le terrain », si l’on peut dire, et qui se retrouvent tous dans le même hôtel. De là, ils reçoivent tous la même information, à partir de laquelle ils doivent rédiger leurs articles…

Oui. On avait d’ailleurs déjà constaté ça au moment de la guerre du Golfe, où pendant des heures, voire des jours, la seule chose que l’on savait à propos de Bagdad correspondait à ce que l’équipe de CNN voyait de sa chambre d’hôtel. Et ça passait pour un grand progrès, un bond en avant de l’information, parce que là, on avait des images en temps réel. Le problème, c’est que ces images n’avaient aucun intérêt, aucune signification puisque la guerre se passait surtout ailleurs. Mais comme vous aviez des images en temps réel, spectaculaires, on avait l’impression de vivre la réalité « sur le terrain ».

Pourtant, certains journalistes, qui ont couvert la guerre du Kosovo, avaient déjà couvert la guerre du Golfe ; ils avaient certainement déjà dû s’apercevoir de cette manipulation…

Sauf que là, ils avaient quand même accès à un grand nombre d’images, celles des réfugiés. Ils avaient donc très légitimement tendance à penser que l’histoire de la guerre, c’était d’abord l’histoire de l’exode de ces réfugiés. Or ils étaient justement sur place pour montrer cet exode. Ils pouvaient les accueillir à la frontière. Sans savoir que la guerre battait son plein au Kosovo, ils s’en remettaient aux témoignages des réfugiés. L’ennui, c’est que ceux-ci ne sont pas fiables car les réfugiés n’ont vu que ce qu’ils ont vu, ou ce qu’ils voulaient bien voir. Et très souvent, on a eu affaire à des réfugiés racontant qu’ils avaient été bombardés par des avions serbes, et non pas par des avions de l’Otan. De fait, ils n’avaient aucun moyen de distinguer un avion serbe d’un avion de l’Otan à une telle altitude. En vérité, il y avait aussi de leur côté la volonté de mobiliser l’opinion occidentale, et de faire savoir à quel point leur souffrance était atroce. Et donc d’exonérer l’Otan à chaque fois qu’une bavure se produisait, de l’imputer aux Serbes pour des raisons politiquement tout à fait compréhensibles. Les journalistes n’ont pas perçu ça, ils ont eu tendance à penser que ces récits appuyaient la description de l’Histoire qu’ils avaient déjà dans la tête. Une information fausse qui allait dans le sens d’une autre information, fausse également. Deux sources pour une même information, ça paraît crédible apparemment…

Mais n’y avait-il pas des journalistes présents au Kosovo ?

Les journalistes qui sont restés sur place au Kosovo étaient assez peu nombreux, et leur travail était présenté comme sujet à caution puisqu’ils opéraient dans un pays soumis à la censure militaire. On accueillait donc leurs informations avec une certaine circonspection, alors même que l’on accordait un crédit total à l’information de l’Otan. Hélas, elle était parfois aussi propagandiste que l’information serbe.

Tous ces gens présents, que ce soit à Bagdad comme au Kosovo, sont des journalistes ; comment ont-ils pu se laisser manipuler à ce point ?

Je crois qu’il y a eu une très grande prédisposition à être manipulé, parce que les journalistes qui sont allés là-bas avaient déjà en tête des idées préconçues. Pour eux, il s’agissait d’une guerre juste, d’une « guerre humanitaire » pour reprendre l’expression imbécile de Serge July, et il n’était donc pas du tout scandaleux de leur part de mobiliser l’opinion autour de cette juste cause. Il faut rappeler qu’en France, et dans la plupart des pays occidentaux, la cause apparaissait d’autant plus juste qu’elle faisait union nationale, un peu comme pour la Guerre de 14 ; ce fut l’union sacrée. Chirac et Jospin, les deux chefs de l’exécutif, ensemble. Droite et gauche mêlées, cherchant à sauver le petit peuple des Albanais du Kosovo, menacé de génocide. Face à une cause présentée de telle manière à des journalistes qui très souvent n’ont pas une connaissance très précise des Balkans, -la plupart de ceux qui ont débarqué sur le terrain n’étaient pas des spécialistes de la région (il en y avait, mais ce n’est pas ceux qu’on entendait le plus…), vous vous dites que vous allez montrer la détresse des Albanais du Kosovo, les atrocités commises par les Serbes, et que vous allez mobiliser l’opinion au service de cette guerre, afin que ces souffrances cessent. Pour que le bien l’emportent sur le mal, tout simplement.

En vous lisant, on s’interroge sur les notions de « communication » et d' »information »…

La communication, ce n’est rien d’autre que de la propagande. Ca peut être la communication de l’armée, propagande militaire, la communication d’entreprise, propagande commerciale. Il ne s’agit pas de nous informer, mais de nous vendre un message favorable à la cause défendue. Or, par définition, ça ne correspond en rien au travail du journaliste. Lui ne va pas au Kosovo pour défendre le point de vue du gouvernant, il n’y va pas non plus pour illustrer le point de vue de l’éditorialiste de son journal, ou du directeur de la rédaction qui l’y envoie. En tout cas, ce devrait être la règle. Il faut reconnaître qu’en France, la plupart des journalistes qui sont allés sur le terrain l’ont fait pour avaliser la position du gouvernement et des grands titres de la presse.

Pourtant les journalistes ont considéré qu’ils avaient très bien fait leur travail, contrairement à ce qui s’était passé pour la guerre du Golfe, qu’ils n’avaient pas été manipulés…

Dans le livre, on cite un nombre confondant d’éditoriaux qui disent que, cette fois-ci, les journalistes ont été bons. C’est le cas de Laurent Joffrin par exemple (directeur de la rédaction du Nouvel Observateur). Entre autres… Il leur est donc absolument impossible maintenant d’avaler leurs erreurs et la désinformation, de dire : « reconnaissons les choses: nous nous sommes trompés, et notre traitement de cette guerre a été lamentable ». Il est plus important, maintenant, de parler de la Coupe d’Europe de football, en attendant les jeux Olympiques, plutôt que de faire de la publicité autour du rapport d’Amnesty International qui parle de crimes de guerre dans le cas des bombardements de l’Otan…

Propos recueillis par

L’opinion, ça se travaille… (Les médias, l’Otan et la guerre du Kosovo) de Serge Halimi et Dominique Vidal (éditions Agone – 94 p, 35 F)
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