Pour Julien Ribot, c’est Noël : son album Hôtel Bocchi est l’une des grosses sorties de la rentrée, avec packaging luxueux, cautions prestigieuses, accueil chaleureux. Il découvre sa nouvelle vie les yeux écarquillés, comme un gosse devant un cadeau un peu trop gros pour lui. Qu’on lui rende ce qui lui appartient : ses chansons méritent d’être applaudies. On l’a rencontré : avec ses faux airs de John Lennon, une légère tendance à l’autosatisfaction, tempérée par une naïveté touchante, il est enthousiaste et ambigu comme son disque peut l’être. Mais très sympathique.

Julien Ribot : J’ai commencé le piano vers l’âge de 8 ans, avec une prof de musique qui venait chez moi. C’était une vieille dame, très ouverte, qui me faisait travailler autant les valses de Chopin que du Count Basie, ou plus tard, des partitions de Bowie. J’ai fait du piano pendant 10 ans, jusqu’à ce que je parte à Paris pour faire des études d’illustrateur. Mais tout de suite j’ai voulu composer. Ca me semblait naturel de faire moi-même ma valse à la manière de Chopin, même si c’était très loin de ce que lui faisait. Chopin m’a beaucoup influencé pour le côté romantique, les descentes chromatiques, les envolées lyriques. Puis j’ai fait de la musique sur ordinateur très rapidement, vers 11-12 ans, parce que j’ai eu très tôt un Amiga 500, un Atari ST, tous les premiers ordinateurs sur lesquels il y a avait des sons pas trop mal… Après, je me voyais plutôt ingénieur en informatique, jusqu’à ce que je rencontre Fabrice Maria, qui m’a donné le goût du dessin (il dessinait sur les tables pendant les cours) et de la musique pop : Bowie, les Beatles… Et c’est aussi l’époque où j’ai découvert les disques de Brel, que mon père avait en vinyle chez nous. Je revoie encore la scène dans le salon familial, où je pleurais en découvrant Brel… En venant à Paris, je me suis mis à la guitare, je me suis acheté un quatre pistes, et j’ai commencé à écrire des chansons. Après des expériences en groupes infructueuses, des groupes de rock en anglais, à la Pavement, Sonic Youth, des trucs violents aux structures très compliqués, mais qui n’ont jamais rien donné, je me suis décidé à écrire pour moi, et sur les conseils de ma copine, à faire des chansons en français. J’avais vu une émission avec Gainsbourg, qui racontait comment il essayait de mélanger la langue française à la pop anglo-saxonne, et ça me semblait effectivement une bonne idée. Comme je n’avais jamais vraiment écrit en français, je me suis intéressé à la poésie il y a 2-3 ans, Desnos, Baudelaire, ou Jim Harrisson. Puis j’ai commencé à faire des textes en cut-ups, du montage de mots, à la manière d’un sampling.

Tes chansons tournent beaucoup autour de l’idée de mémoire, de souvenirs, d’inconscient.

J’ai perdu mes grand-parents maternels vers 8-9 ans, c’étaient des gens dont j’étais très proche, Une Maison connue leur est dédiée. Ce titre évoque leur maison : j’allais y passer les vacances. En retrouvant des albums photos, je regrette de ne pas avoir pu parler davantage avec eux. J’évoque aussi un très bon copain, disparu dans un accident de voiture. Ces personnes que je ne reverrai plus jamais ressortent comme ça dans mes chansons, ces morts doivent faire travailler un peu l’inconscient.
Il y a toujours dans tes chansons ce côté un peu sombre et onirique, à la Tim Burton…

Je ne sais pas pourquoi je suis si sensible aux univers de Lynch ou Tim Burton. L’Etrange Noël de Mr Jack est un film qui m’a beaucoup marqué. J’adore la naïveté de ce personnage qui veut prendre la place du Père Noël, et qui ne se rend pas compte que les poupées qu’il veut offrir ont les yeux sortis de leurs orbites, ou que les rênes qui tirent le traîneau sont des squelettes… La B.O. est géniale également. J’ai passé 5 années dans une école d’illustration, donc évidemment tout ça se mélange, cette sensibilité de dessinateur se retrouve sans aucun doute dans la musique.

On a l’impression que c’est un disque qui s’ouvre peu à peu, qui commence en huis-clos, et s’ouvre progressivement vers l’extérieur.

Je ne sais pas. C’est Stéphane Grégoire, le boss de Ici d’ailleurs qui a fait le track-listing. Peut-être que c’est effectivement l’effet qu’il a voulu rendre. Moi je n’arrivais pas à le faire, mais j’étais content de l’ordre qu’il a définit. Le dernier morceau est très calme. Je l’avais écrit pour Kahimi Karie, qui ne l’a pas pris finalement. La chanson parle d’une fille qui serait dans un hôpital psychiatrique, qui se dédouble. Mais moi-même, je ne sais pas trop ce que je raconte. Même si j’ai toujours besoin d’une trame pour composer : des images, peut-être un peu obscures à la première écoute, mais pour moi, c’est quand même un enchaînement logique.

C’est surtout un disque d’arrangeur…

Oui, c’est ça qui me plait. J’adorerais faire des musiques de films. Par rapport à ce que je faisais avant en groupe, j’ai quand même essayé de simplifier les structures pour faire quelque chose de plus accessible, de plus populaire, sans me compromettre. Mais si les textes sont un peu imperméables, comme ça, je crois que c’est parce que je n’ai pas de véritable discours à proposer, de théorisation, je préfère utiliser les mots pour provoquer des images. Je ne viens pas d’un milieu difficile, je suis plutôt quelqu’un d’heureux, donc je ne vais pas faire des textes revendicatifs, engagés, j’ai tendance à faire des choses plus cinématographiques, moins signifiantes. C’est ce que faisaient aussi les Beatles : ils s’amusaient avec les sons, les mots, et les rapports entre les deux, c’est aussi ça qui me plaît.
Comment s’est faite la rencontre avec Françoiz Breut ?

J’adore être dans un studio, faire chanter quelqu’un. Françoiz Breut est arrivé au dernier moment pour chanter sur l’album. Cette chanson était destinée au départ à Kahimi Karie, suite à une conversation qu’on a eue ensemble, où elle me disait ses difficultés à imposer à son label autre chose qu’une image de baby-doll, alors qu’elle a 30 ans. Ca m’a donné l’idée d’écrire cette chanson pour elle, sur le passage de l’enfance à l’âge adulte… Finalement, Françoiz Breut l’a chanté. Elle était contente parce qu’elle a réussi à chanter assez haut sur ce titre, alors qu’elle a toujours peur de chanter haut. En vérité, elle fait ça très bien. C’est le label qui l’a contactée. J’ai toujours beaucoup aimé ce qu’elle fait, ainsi que Dominique A. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle vienne chanter. Idem pour Katerine. Je suis ravi.

C’est un disque qui oscille sans cesse entre le home-recording, la lo-fi, et le travail studio, les arrangements…

Les morceaux n’ont pas été enregistrés tous en même temps. J’en ai fait certains chez moi, sur mon ordinateur. 7000 dollars a été enregistré dans le studio Real World de Peter Gabriel, suite à un concours que j’avais gagné. D’autres morceaux ont été enregistrés en studio, notamment ceux que j’avais fait pour Kahimi Karie. Mais on ne sent pas trop la différence, parce que tout a été mixé ensuite par Fabrice Maria, ingénieur du son au Studio de la Seine. Quelqu’un de très pro, de bon conseil. Il a fait un super mixage. Il y a des morceaux très arrangés avec 60 pistes de petits sons, qu’il a réussi à bien équilibrer.

Le futur ?

Des concerts, un deuxième album qui, je l’espère, se fera plus rapidement que celui-ci. Mais je réalise à peine la sortie du premier, avec ce packaging, le clip qui va venir, les tournées…Le disque s’est vendu au Japon d’abord. Pas mal, on en a vendu 1 500 là-bas ! Il y en a aussi aux Etats-Unis. J’ai reçu un mail d’un américain qui me disait que mon disque l’avait réconforté, suite aux événements là-bas… Ca m’a fait plaisir.

Propos recueillis par

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