Dans le bar ouvert d’un banal hôtel parisien, rencontre avec l’un des producteurs les plus doués et sollicités (PJ Harvey, Eels, Sparklehorse, Goldfrapp, Giant Sand…) de sa génération. Réservé, policé, visiblement encore plus fan de musique qu’artiste à part entière, John Parish reste un honnête homme, comme ils se font si rares aujourd’hui dans le milieu musical.

Chronic’art : Avais-tu en tête de faire How animals move lors de ces différentes sessions d’enregistrement qui composent l’album ?

John Parish : Non, du moins pas au début. Cet album est apparu en tant que tel après que j’ai enregistré ces différents morceaux. Pour les premiers titres que j’ai enregistrés, ça s’est passé de manière très spontanée. J’ai eu une idée et je l’ai retranscrite sur bande. A la fin de l’année 2000, j’ai rassemblé ces différentes sessions d’enregistrement et elles ont commencé à prendre forme pour un éventuel album. J’ai alors enregistré les morceaux pouvant faire le liant sur ce disque au lieu de poursuivre de manière disparate. Cependant, on ne retrouve ici aucun ordre chronologique. Les dates d’enregistrement sont éparses mais pour moi, ça a un sens musicalement dans cet ordre, ça représente mes différentes approches.

Comment s’est fait le choix des morceaux ?

Il y a quelques morceaux que je n’ai pas utilisés au final. J’ai évidemment écrit pas mal de morceaux durant le laps de temps de ces sessions. J’ai composé la bande originale de Rosie et aussi écrit pas mal de morceaux pour l’album de Eels. Lorsque j’écris, je sais ce qui me va bien et ce qui conviendrait parfaitement à d’autres artistes.

Ton travail en solo a-t-il bénéficié des influences des gens que tu as produit, de PJ Harvey à Eels en passant par Goldfrapp ou Sparklehorse ?

Oui, d’une certaine manière. Car j’apprends lors de chaque session. J’ai beaucoup appris de ces grands artistes. Ca vous rend plus rigoureux en ce qui concerne les idées à explorer et à ne pas explorer…

Des gens comme Howe Gelb ou Adrian Utley font-ils partie de ton entourage proche ?

Oui, j’admire énormément Howe. C’est un génie, je m’entends parfaitement avec la vaste famille Giant Sand. J’aime son éthique. C’est chouette de l’avoir eu sur ce disque. Il intervient à sa manière. Il en est de même pour Adrian. Il est très proche et motivant pour l’inspiration. Je trouve beaucoup de satisfaction à travailler avec des artistes comme lui.

Autour de qui tourne ton groupe ?

Je préfère le voir comme une famille étendue et fluide, où tout le monde peut intervenir. Il me paraît difficile de ne pas jouer ou enregistrer avec Clare McTaggart, car le violon représente l’une des composantes essentielles de ma musique. C’est l’instrument mélodique qui prévaut sur How animals move. Je travaille aussi avec Jeremy Hogg, un guitariste slide. Certaines personnes sont ainsi indissociables de ma musique, d’autres y participent ponctuellement et sont heureux ainsi, ils sont libres. C’est comme dans un club non exclusif !
A quel moment estimes-tu être passé de producteur à artiste à part entière ?

Je pense que ça s’est passé de manière inverse. J’ai commencé en tant qu’artiste et je suis ensuite devenu producteur. Et je ne me suis jamais considéré comme n’étant pas un artiste à part entière. Le fait est que je suis devenu plus largement connu en tant que producteur. Les gens me voient juste ainsi. En ce qui me concerne, je me vois juste comme un musicien.

C’est grâce à Howe Gelb que tu as atterri sur Thrill Jockey ?

Oui, effectivement, Howe m’a fait rencontrer Bettina au Rainbow Bar à Chicago. Elle servait là-bas, des tequilas très fortes. Lorsque cet album a pris forme, Thrill Jockey est apparu comme le seul label sur lequel je voulais que sorte mon disque. Il y a très peu de chant, lorsqu’il y en a, ça ne correspond pas à la chanson précédente. Thrill Jockey prospère en sortant des disques que d’autres jugent « difficiles ». J’ai entendu une interview de Bettina à la radio qui disait que « certains disques que l’on publie sont difficiles mais pour [elle], ils sont magnifiques ». Si elle les trouve beaux, alors d’autres peuvent aussi les apprécier ainsi. C’est une philosophie simple et efficace qui me convient tout à fait : faire de la musique intéressante qui ne soit pas comme celle des autres. Forcément, des gens s’identifient à cette musique, même si certaines personnes ne sont pas habituées au genre. Certains des disques soi-disant les plus difficiles des années passées deviennent des classiques au fil des ans… Par le passé, j’avais sorti un disque sur Island avec PJ Harvey, ça s’était très bien passé. Certaines personnes chez V2 étaient aussi intéressées mais je suis très heureux que Thrill Jockey sorte le disque partout dans le monde. Ca me met à l’aise d’être avec eux. Ma vie est assez confuse alors je n’ai pas à avoir plusieurs labels différents. Je suis très confiant car j’ai leur respect.

Les enregistrements de terrain sont-ils importants pour toi ? On retrouve notamment une voix de bébé et des jeunes filles espagnoles chantant sur la plage au travers de ce disque. Ils donnent un caractère organique à l’ensemble…

Je ne pense pas que ces enregistrements sur le terrain soient si importants. Ils procurent juste une atmosphère à l’album. Je ne me promène pas avec mon magnétophone en permanence. Parfois, je le regrette. Si j’entends quelque chose d’intéressant, je l’enregistre et je l’incorpore à la musique. J’aime le contraste entre différentes sources d’enregistrement et diverses qualités sonores. Un disque parfaitement enregistré d’un bout à l’autre ne m’intéresse guère, c’est plutôt généralement ennuyeux. Tout comme un disque lo-fi peut aussi être irritant. J’aime la combinaison entre des enregistrements soniques très denses, comme c’est le cas avec un groupe de onze personnes et des morceaux au violon, beaucoup plus fins.

Comment écris-tu ta musique ?

Ca dépend des morceaux. Souvent, la part consacrée à l’improvisation est importante et parfois les morceaux sont écrits avec attention. J’ai écrit How animals move en ayant à l’esprit ce groupe qui m’accompagne, notamment cet orchestre à cordes. Je savais que ça fonctionnerait. Pour les autres compositions, c’était plus spontané.
J’aimerais beaucoup construire un morceau à partir d’un harmonica, je ne sais pas en jouer, ni du violon, ni des cuivres d’ailleurs. Je joue de la guitare, de la basse, de la batterie et je me débrouille au piano. Je sais pertinemment ce qui peut fonctionner avec d’autres instruments. Je sais si les lignes mélodiques seront bonnes. Je n’aime pas être enfermé dans une catégorie, je veux être surpris par les choses. C’est chouette comme impression de se dire que tel instrument peut fonctionner sur tel morceau. Lorsqu’on l’écoute et que ça marche, on est ravi du résultat.

Ce disque constitue t-il quelque chose d’important pour toi ?

J’aimerais dire que c’est ce que j’ai fait de mieux jusqu’à présent mais je suis sûr que bon nombre d’artistes disent ça pour chaque nouvel album. Je ne sais pas à quoi comparer ça car c’est tout de même le premier disque qui sort sous mon propre nom, exception faite de cette bande originale de film. Si je devais faire un autre album, il serait fort différent de celui-ci. Je n’ai aucun intérêt à explorer les mêmes territoires deux fois de suite. Je pense que je ne ferai certainement pas un autre disque instrumental en utilisant le même type d’instruments. Ca ne serait pas intéressant, il me semble. Mon prochain disque n’est pas pour tout de suite car je ferai des albums avec d’autres personnes d’ici là. Qui sait ce qui se passera…

Ton nom est associé avec une musique de qualité ?

Oui, mais je dois refuser certaines choses… On m’avait demandé de mixer le deuxième album de Françoiz Breut, mais j’étais déjà avec Sparklehorse en studio… Peut-être que ça se fera un jour. J’ai hésité concernant Sparklehorse car j’étais un fan absolu et j’avais peur de gâcher le mythe en quelque sorte. Tout s’est finalement bien passé. Ca peut être nuisible ceci dit de travailler avec ses artistes favoris car les deux approches ne correspondent pas forcément. Je suis fier de ce que j’ai fait avec Sparklehorse mais je n’écoute pas autant ce disque que les deux précédents. Parfois, pour préserver la personnalité d’un groupe ou d’un artiste qu’on admire, mieux vaut ne pas travailler avec. Ainsi je n’ai rien fait avec Howe Gelb et Giant Sand. On ne peut pas produire Howe comme on produirait un autre artiste. Ca correspond à une réelle expérience de field recording que de produire Giant Sand. Je n’écoute pas ce disque comme j’en écouterai d’autres. Il appartient à une classe à part.

Quels sont tes artistes favoris ?

Il est difficile de penser que l’on puisse faire un disque plus surprenant et génial que Trout Mask Replica de Captain Beefheart, en prenant en compte la manière dont ce disque a été fait, à l’époque où il a été fait. C’était sans précédent. Tout le monde dit qu’il a piqué son chant à Howlin’ Wolf et sa musique à la peinture abstraite, mais il a fait un disque incroyable, unique. Ses autres albums sont aussi géniaux. Safe as milk, Ice cream for crow, Shiny beast, Doc at the radar station sont aussi géniaux. Il s’est ensuite arrêté, alors il n’a jamais traversé cette période de déclin. Les premiers albums de T-Rex avec Tony Visconti comme producteur sont formidables, Electric warrior en particulier. Ceux de Bowie aussi. Visconti est mon producteur préféré. J’aime aussi Mitchell Froom, en particulier son album avec les Latin Playboys. Cela dit, je n’achète pas les disques en fonction du producteur, mais plutôt des artistes.

Propos recueillis par

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