Ian McDonald vient de remporter, lors du festival Les Etonnants Voyageurs, le Grand Prix de l’imaginaire 2011 du roman étranger pour Le Fleuve des dieux, une oeuvre dont nous avions dit le plus grand bien. Voici quelques mots de présentation du livre et de sont auteur, recueillis auprès de l’intéressé pendant Les Utopiales 2010, à Nantes.

Ian McDonald : J’ai vécu en Irlande du Nord quasiment toute ma vie. Ca a été un apprentissage de ce qui allait se passer au XXIe siècle : les contrôles, les interrogatoires liés au terrorisme, tout cela, nous l’avons pratiqué bien avant le reste du monde. Par ailleurs, j’ai un boulot, je travaille pour une société de production télévisuelle, deux jours par semaine. Je suis dans le développement de programmes – je discute d’idées de programmes pour plusieurs networks, BBC, Channel 4, Discovery Channel, partout où l’on peut vendre nos idées. En un sens, j’ai donc toujours oeuvré dans les futilités, que ce soit avec la science-fiction (enfin, c’est toujours ainsi que certaines personnes le perçoivent) ou à la télévision, qui est un milieu très, très superficiel…

Chronic’art : Parlons de votre impressionnant Fleuve des dieux (Denoël, 2010)… Pour les lecteurs français, il faut avouer que la traduction est superbe.

En bien, elle n’est pas seulement superbe, c’est aussi la seule version définitive du livre. Quand Gilles Goulet a commencé à traduire Le Fleuve des dieux, il m’a envoyé des mails pour me demander pourquoi certains passages ne voulaient rien dire, ou pourquoi d’autres se contredisaient. A la base, c’était un livre bien plus gros. Mon éditeur, Simon & Schuster, l’a lu deux fois, et m’a dit de couper tel ou tel passage, de déplacer tel autre – à juste titre d’ailleurs. Toutefois, il restait des coquilles, des absurdités, que ni moi, ni l’éditeur, ni l’imprimeur, n’avions vues sur les épreuves, et que seul Gilles a vues, parce qu’il les a lues quatre fois. Donc voilà, l’édition Denoël est la seule définitive.

Cela dit, cela reste assez difficile à lire. Il y a beaucoup de termes hindous non-traduits, d’abréviations non-explicitées… N’avez-vous pas peur de perdre des lecteurs en route ?

Oui, on me pose souvent la question – notamment parce que, apparemment, il y a un glossaire à la fin du livre qui n’est pas exhaustif. Il faut dire qu’en Irlande et en Angleterre, nous connaissons bien la culture indienne, nous la côtoyons de près. Et sans doute tenons-nous certaines choses (le vocabulaire, les façons de pensée) pour acquises, et n’éprouvons-nous pas le besoin de les expliciter. Les brahmanes, les jâdhis, les intouchables, tous ces mots sont courants pour nous. Mais au-delà de ça, j’ai un ennemi en littérature, c’est le lecteur rapide, pressé, qui avale les livres en quatrième vitesse avant de les reposer sur leur pile. On ne lit pas un livre pour arriver le plus rapidement possible à la fin, de même qu’on ne vit pas en se précipitant vers la fin. Un livre, cela demande du temps, de la patience, une familiarisation qui passe par l’établissement d’une relation privilégiée avec l’objet. Et oui, cela peut demander du travail, comme dans toute relation, mais au moins, ce n’est pas un rapport rapide, surfait. Moi-même, je lis un livre sur l’ex-Yougoslavie en ce moment, et je dois vérifier des trucs sur Wikipedia en permanence. J’apprends des choses, qui me renvoient à d’autres… Je me cultive, quoi.

Oui, enfin du coup, on met trois semaines à lire le livre…

Oui, plus j’y pense, plus je me dis que je devrais quand même ajouter un index des personnages, un glossaire plus complet, une petite carte du Nord de l’inde… C’est vrai que ça fait beaucoup d’informations à intégrer.

Mais c’est aussi une technique narrative, non ? Ces néologismes, ces abréviations étranges, cette densité du récit… Cela rappelle Neuromancien de William Gibson. J’ai l’impression qu’il faut déjà être familier à la science-fiction pour lire et comprendre Le Fleuve des dieux

Peut-être, mais j’ai tendance à penser le contraire. Quand Le Fleuve des dieux est paru en Angleterre, il était censé sortir sous le label « Earthlight », qui était la branche SF de Simon & Schuster, dans laquelle j’avais publié le roman précédent, Ares express. Mais l’éditeur a décidé de fermer cette branche, et le roman est paru sans la mention « science-fiction ». Il a été placé en librairie et vendu comme un roman sur l’Inde… Certes, l’action se déroule en 2050, mais le terme « SF » n’apparaît nulle part sur la couverture. Et c’est la meilleure chose qui pouvait arriver au livre, car cela lui a évité d’être relégué au fond des libraires, avec les autres livres de SF. Il a été vendu sur les étals d’entrée, là où on pouvait acheter trois livres pour le prix de deux – le genre de promotions qui booste les nouveautés. Les gens le lisaient, et disaient « mais c’est de la science-fiction ! », et puis : « en fait, j’aime bien la science-fiction… » (Rires). Les principaux soutiens que j’ai eus dans la presse venaient de gens du mainstream, et ça a fait énormément de bien au livre.

Je connais des gens qui ont lu vingt pages du livre, et qui ont laissé tomber…

Eh oui, je comprends. Encore une fois, cela demande un travail de documentation et d’immersion dans un univers nouveau que tout le monde n’est pas prêt à faire. Bon, en même temps c’est l’Inde, pas une planète reculée de la Voie Lactée… Ca existe ici, sur cette planète à une demi-journée d’avion de chez vous… Mais globalement les réactions les plus fréquentes ont été l’adoration ou le rejet. Ca me va comme ça.

Propos recueillis par

Le Fleuve des dieux, de Ian McDonald
(Denoël)