Déjà star dans les festivals souterrains grâce à quelques amitiés solides (dont Greg de Deerhoof), cet insolite trio formé de l’Américain francophile McCloud Zicmuse (alias Le Ton Mité, barge parmi les barges de K Records depuis le milieu des années 80), du plasticien français François Schulz et de l’activiste belge Maxime Lê Hùng joue sur une batterie d’instruments inventés des chansons formidablement accrocheuses, dansantes et hirsutes qui ont toutes quelque chose à voir avec la grande Belgique – de Charleroi à l’Abbaye d’Orval en passant Benny B. Un premier album enfin en poche (« Belgotronics », chez Crammed), ils jouent désormais leurs concerts devant un public conquis d’avance.

Chronic’art : A la base de Hoquets, il y a plusieurs idées fortes : la Belgique comme thème exclusif, les instruments inventés, le nom du groupe. Laquelle avez-vous trouvé en premier ?

McCloud Zicmuse : Au début, il y avait les premier hoquets à cordes, comme le « iaen iaen » – que j’ai appelé comme ça à cause du genre de sons qu’il produit – mais je ne les avais pas conçus pour un projet spécifique. Et puis Maxime est venu jammer à la maison, et on s’est retrouvés à jouer avec et à taper des rythmes sur les palettes qui traînaient sur la terrasse de ma maison, à Bruxelles. Ce jour là, Maxime avait aussi avec lui un petit fascicule explicatif sur les institutions belges et sur sa géographie. On a commencé à chanter « 3 régions, 3 communautés » comme ça, sans réfléchir.

Maxime Hùng : C’est la première chanson qu’on a composée, le premier jour où a joué ensemble. Le reste est venu tout seul : essayer de faire des chansons dansantes, qui parleraient toutes de la Belgique, mais expliquée aux nuls.

McCloud Zicmuse : On a du composer au moins trois chansons supplémentaires dès la deuxième répétition. Quand on a fait notre premier concert un mois plus tard, on avait déjà notre tube, Couque de dinant.

Et pour le nom du groupe ?

McCloud Zicmuse : Ca faisait longtemps que je rêvais de jouer dans un groupe qui s’appellerait Hoquets. Mais comme les autres n’étaient pas d’accord, ça s’est décidé au bras de fer. C’est toujours comme ça que j’impose mes idées.

Le fait que vous soyez de trois nationalités différentes – américaine, belge et française – a-t-il été décisif dans le fait de se pencher sur le cas de la Belgique et de ses trois communautés ?

McCloud Zicmuse : Notre secret, c’est qu’on habite tous les trois à Bruxelles. Et qu’on aime tous les trois la musique. Tu aimes la musique, n’est-ce pas, Maxime ?

Maxime Hùng : On se croisait souvent dans les concerts.

McCloud Zicmuse : Une fois on s’est vus à Tourcoing, à un concert de Kasai All Stars. Mais on est vraiment devenus amis la fois où on a fait le trajet ensemble pour aller voir 3 groupes affiliés à Congotronics au Cabaret Sauvage, à Paris.

Maxime Hùng : On est un bon reflet de ce qu’est Bruxelles aujourd’hui : une multitude de nationalités, et plus du tout une majorité de francophones et une minorité de néerlandophones. Il y a aussi de plus en plus de Français aussi qui ont emménagé et qui organisent des concerts, qui gèrent des lieux… Un des groupes qui marche le mieux en Belgique en ce moment, Puggy, est formé d’un Anglais avec un Français et un je-sais-plus-quoi. Ils se disent belges parce qu’ils habitent à Bruxelles. C’est pas anodin.

Le fait qu’un seul d’entre vous trois soit vraiment belge vous simplifie-t-il la tâche pour écrire sur la culture du pays ?

McCloud Zicmuse : Ca dépend des sujets qu’on aborde. Il y a des choses typiquement belges connues de tout le monde, d’autres qui sont en train de disparaître dans l’oubli. En général, les Belges ne s’intéressent pas à leur pays. Les étrangers ne s’intéressent pas trop à la Belgique non plus. Mais moi, parce que je suis immigré, tout est exotique et tout m’intéresse : les accents que j’entends, les villes que je visite, les plats que je mange pour la première fois… Tous les jours je découvre un nouveau sujet potentiel de chanson. Ca m’intéresse plus que les sujets habituels de la pop, comme l’amour ou la guerre.

Au tout début du disque, vous commencez par une liste de clichés répandus sur le pays, avant de déclarer que « c’est beaucoup plus compliqué ».

Maxime Hùng : Tout le principe du projet et entre ces deux extrémités. Il y a plein de niveaux de lecture différents, et comprenne qui peut. On est très heureux quand les gens s’en rendent compte. Ceux qui s’arrêtent au niveau de lecture le plus basique et qui pensent qu’on est seulement un groupe dansant et rigolo, c’est très bien aussi.

McCloud Zicmuse : On s’identifie beaucoup au hip-hop : ce n’est pas parce qu’on ne dénonce pas une réalité grise que la réalité dont on rend compte est toute rose à nos yeux. Nos sujets ne sont pas très profonds en apparence, mais le simple fait de rapporter l’existence de choses en voie de disparition exprime quelque chose de très intense. Prend les couques de Dinan : pourquoi ce truc existe ? Qui a eu l’idée de mélanger du miel et de la farine de cette manière ? C’est un objet d’une grande beauté.

Est-ce qu’il vous arrive de vous fixer des limites ? Le morceau « Sois béni Benny B » par exemple fait presque sortir le projet de son côté ambigu ?

Maxime Hùng : Une fois, on a eu une critique de concert très intéressante : le journaliste nous plaçait à mi-chemin entre le génie et la débilité totale. On est sur le fil, c’est certain.

McCloud Zicmuse : Je suis américain, donc forcément, Benny B reste assez mystérieux et exotique pour moi. Ils n’ont pas traumatisé ma jeunesse. Mais les paroles allaient bien avec le rythme. Et on commence toujours par les rythmes.

Vous aviez des références en tête en composant ? En écoutant le disque on pense à quelques groupes qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, ni avec la Belgique. Comme Gang of Four.

Maxime Hùng : J’adore Gang of Four, et on a essayé de faire du punk funk avec François. Comme on essayait de faire de la musique dansante, ça semble logique que l’influence de Gang of Four se retrouve là. C’est la quintessence de ce que je voulais faire : des éléments très simples, un message, c’est increvable.

McCloud Zicmuse : Moi, ma référence absolue pour Hoquets c’est The Message de Grandmaster Flash. Les gens qui m’inspirent le plus sont toujours Charles Ives, Moondog, Sun Ra, mais la musique que j’entends dans ma tête quand je fais du vélo, c’est le r’n’b et le hip-hop. C’est cette part là de mon caractère que je voulais qu’on exprime dans Hoquets.

Curieusement, on ne pense absolument pas à la musique de Konono n°1.

Maxime Hùng : Nous non plus (rires). On n’aurait pas osé le clin d’œil si on ne s’était pas retrouvés sur le même label (Crammed, ndlr). Ce qu’on retient des groupes congolais, c’est la jouissance, l’excitation. Dans nos rêves les plus fous, on aimerait beaucoup créer ce genre d’enthousiasme chez les gens qui nous écoutent.

McCloud Zicmuse : La référence à Congotronics, outre le fait qu’on adore tous les trois cette musique, c’est qu’on utilise des instruments inventés à partir d’éléments de notre environnement immédiat : des boîtes de conserve de cassoulet, des planches trouvées dans la rue… Congotronics aussi. Notre vie quotidienne et notre environnement de vie étant absolument différents de ceux des gens affiliés à Congotronics, notre musique ne pouvait pas être la même. Aussi, à la base de ce projet et de la plupart des projets auxquels j’ai participé dans ma carrière, il y a vraiment un ras-le-bol des règles implicites de la pop actuelle, comme « achète une guitare », « porte les cheveux courts », « habille toi en noir », « chante en anglais ». On a voulu inventer nos propres règles. Prendre du recul. Voir ce qu’on pouvait faire avec ce qu’on avait envie de faire. Voir ce qu’on devait apprendre à faire pour y arriver. Grâce à ça, on apprend tous les jours. La prochaine étape, c’est arriver à fabriquer nos propres amplis.

Vous avez tout de même repris un morceau de Konono pour la compilation Tradi mod vs. rockers

McCloud Zicmuse : Oui, c’est une reprise du groupe, qu’on chante dans un yaourt africain vraiment limite. Mais on s’est lancé, malgré les résonances de ce colonialisme qui existe toujours, il n’existe pas vraiment dans notre quotidien.

Maxime Hùng : C’est surtout qu’on ne voit pas bien quel message on pourrait faire passer sur le colonialisme, à part « c’est pas bien ». Mais on connaît bien l’histoire de la musique congolaise, et les interactions qu’il y a eu entre le Congo Belge et la métropole. La rhubma congolaise, c’est d’abord les Belges qui ont débarqué avec leurs guitares et les noirs qui s’en sont inspirés. Ensuite, dans les années 60, il y a eu plusieurs groupes d’étudiants congolais venus étudier en Belgique et qui ont eu beaucoup de succès en Europe. C’est via ce succès que les premiers groupes de rhumba électrique se sont formés au Congo-Kinshasa. Zaiko Langa Langa, qui est historiquement le premier groupe à avoir accéléré le tempo et à rajouter des solos de guitare, c’est-à-dire à jouer la rhuma congolaise comme on la connaît aujourd’hui, se sont formés en réaction à ces « Belgicains », qui faisaient des concerts en Belgique et qui se tapaient toutes les filles quand ils rentraient au pays.

Rajouter des guitares africaines comme le font la plupart des groupes d’indie américains branchés, ça aurait été le succès assuré.

McCloud Zicmuse : Quelle horreur.

Maxime Hùng : Dans les choses qui nous rassemblent, il y a spécifiquement notre allergie pour les guitares africaines dans l’indie rock. Que dis-je, notre haine.

Que feriez vous si la Belgique disparaissait finalement ?

Maxime Hùng : Je continue à croire que ça n’arrivera pas.

McCloud Zicmuse : Je ne sais pas si on continuerait à chanter sur la Belgique. D’ailleurs, je ne sais pas si on va continuer à parler de la Belgique dans nos nouveaux morceaux. La suite est encore très mystérieuse. Mais même si la Belgique se séparait, ça ne se ferait pas du jour au lendemain. On aurait le temps de se retourner, et de trouver une porte de sortie.

Maxime Hùng : Eurotronics ! On ferait le premier disque officiel de l’Europe des régions.

Propos recueillis par

Hoquets – Belgotronics (Crammed/Pias)
Voir le site officiel du groupe