Dans une chambre d’hôtel bondée (une femme, un bébé, des amis qui jouent de la guitare) et entre deux tasses de thé, le fondateur et parolier de Giant Sand, Howe Gelb, relate à l’occasion de la sortie de Selections Circa 1990 – 2000 la carrière magnifique quoique confidentielle de son groupe.

Chronic’art : Qui a eu l’idée de cette compilation ?

Howe Gelb : Un type nommée Tom Bridgewater, de Londres. Il a beaucoup insisté pour que ce projet se monte, alors que j’avais plusieurs disques en cours. Il y avait cet album solo qui doit sortir en avril chez Pias, Confluences ; ainsi qu’un album de morceaux joués au piano, sans paroles ; en même temps, je travaillais sur un nouveau Giant Sand ; et last but not least, je voulais partir en tournée à ce moment là. Mais comme je n’avais pas de label et donc pas de tour-support, ça ne pouvait pas se faire. Alors je me suis dit « Oh… Il y a ce disque que Tom veut que je fasse. Je pourrais le vendre à V2 et ils organiseront la tournée ». Et c’est ce qui s’est passé. Ce qui est drôle, c’est que ce projet ne devait pas se faire si vite, on a du tout accélérer, sélectionner les morceaux, leur donner, et cinq semaines après, c’était prêt.

Choisir ces morceaux dans le répertoire n’a pas été trop difficile ?

Avant de commencer, je pensais que si. L’enjeu était de remonter dans le temps sans que les disparités du chant ou de la musique soient trop visibles, de manière à ce que l’album sonne comme un tout cohérent, une unité. Je me suis décidé en fonction du chant et des collaborations. Je voulais y voir les gens que j’aimais, comme si j’organisais une grande fête et que j’invitais mes meilleurs amis. Pour lier l’ensemble, j’ai enregistré un CD de sons radios et j’en ai mis des petits bouts dans la compilation, parfois à l’intérieur des morceaux eux-mêmes.

C’est assez typique du son de Giant Sand, cette manière d’insérer des petites dissonances, des perturbations, qui viennent salir l’harmonie de l’ensemble…

Oui, c’est vrai. C’est surtout sur l’album Hisser que j’ai fait ça, à partir de cassettes. D’ailleurs tout cet album était une sorte de célébration de cette manière de travailler et même de voir les choses : comment les imperfections, les dissonances peuvent venir influer le quotidien. Les gens veulent toujours un beau son propre et lisse, c’est dommage… J’aime bien écouter des vieux disques pour la même raison, pour leurs particularités sonores, leurs craquements, la production de l’époque…
Tu as l’impression de faire partie d’une certaine tradition de la musique américaine ?

Je pense que nous construisons notre propre tradition. La tradition, c’est la famille, les valeurs familiales. Tout le monde fait son truc dans son cercle de famille, d’amis, de relations. Le fait qu’on ait repris Lee Hazelwood ou les Byrds ne signifie pas qu’on veut s’inscrire dans les traces de ces gens là. On a fait ces reprises parce qu’elles étaient faciles à faire, parce qu’on les faisait spontanément, entre nous, pour le plaisir. Parce qu’on les aimait et qu’elles nous parlaient suffisamment pour qu’on en fasse quelque chose qui nous soit propre.

Pour les français, l’intérêt de groupes comme Giant Sand ou Calexico tient à leur côté exotique, américain…

Oui, je peux le comprendre. Mais notre musique ne se revendique pas comme américaine. C’est une question de proximité plus que de choix. Il se trouve que nous sommes nés en Amérique…

Quel genre de musique écoutes-tu ?

La plupart du temps, ce que les gens me donnent ou me conseillent. Récemment, j’ai bien aimé Goldfrapp. On fait une reprise de Goldfrapp pour notre prochain album. Il y a définitivement quelque chose de cinématique, d’effrayant et de « creepy » dans leur musique.

Tu pourrais mettre de l’électronique dans ta musique ?

On le fait parfois. Mais je ne veux pas mettre trop de machines. Sinon, les machines prennent le pas sur les paroles ou l’émotion, et le cerveau devient faible et paresseux. Je préfère me demander comment utiliser les machines plutôt que d’être utilisée par elles.

Le son de Giant Sand est toujours très clair, les instruments sont toujours bien séparés, distincts. Tu es soucieux de la production de ta musique ?

On joue des choses de plus en plus lentes, ce qui explique peut-être ce que tu évoques : la musicalité, la clarté. Avant, on mélangeait tout et on était incapable à l’écoute de savoir d’où venait tel ou tel son. On enregistre aussi moins en live, mais on s’arrête, on essaye une pédale, une guitare, l’enregistrement est plus déstructuré. J’aime bien utiliser les petites machines aussi, comme les walkman, ou le minidisc… Le tien est pas mal d’ailleurs… Tu l’as payé cher ce micro ? J’ai l’habitude de faire de l’editing sur minidisc, quand je suis en voiture, c’est comme ça que j’ai fait le track-listing de notre dernier album. En voiture. Mais ma femme n’aime pas trop ça…
Est-ce que Giant Sand est très connu aux Etats-Unis ?

Nous sommes connus dans certaines villes. En fait sur la côte Est, New-York, et la côte Ouest, la Californie, Los Angeles, Tucson. Et au Canada aussi. Mais c’est un territoire tellement important qu’on ne peut pas tourner autant qu’on le voudrait. On fait les deux bouts des Etats-Unis, mais on n’est pas connu au centre du pays.

C’est étrange qu’après 20 ans de carrière, Giant Sand ne soit pas plus connu…

En fait, c’est vraiment une chance. Je me demande pourquoi certains artistes veulent toujours être plus connus… C’est tellement d’inconvénients. Je pense qu’il faut un juste milieu. Il faut être assez connu pour faire des tournées. Parce que c’est là que se font les morceaux. Et c’est ce qui te permet de vivre financièrement. 500 personnes, c’est notre public moyen quand on fait des concerts, depuis les années 80. Ca n’a pas baissé ni augmenté. Et c’est parfait comme ça. Quand je vois que Calexico sont obligés de toujours faire les mêmes choses qu’ils ne désirent pas, à cause de leur célébrité grandissante, je suis content d’être juste assez connu pour pouvoir continuer ainsi. Faire des interviews n’est pas la chose la pire, ça fait partie du quotidien maintenant.

« Tucson, Arizona » est écrit sur la pochette du disque. Tu n’as pas peur que ça devienne une sorte de « trademark » ?

Pour pleins de raisons, les gens semblent aimer l’image véhiculée par cette ville. Ca en fait effectivement une sorte de trademark. Peut-être ont-ils raison d’aimer… Tucson est une ville très agréable, très lente. On a toujours beaucoup de temps. Ce n’est pas cher. Il y a de très bons haricots.

Il y a beaucoup de groupes français qui vont enregistrer à Tucson. Comment l’expliques-tu ?

Ils vont chez Jim Waters, que je connais bien. J’en ai rencontré quelques uns. Gene Luis Mourat, les Rabbits, les Married Monks… Ils viennent parce qu’il fait bon. Il fait chaud et sec. Je suis sûr qu’ils se disent : « Là où on va enregistrer, il va faire beau et chaud… » (rires)

Propos recueillis par

Lire notre chronique de l’album de Giant Sand