Chaque année, France Culture organise dans la cour du Musée Calvet d’Avignon des manifestations (lectures, spectacles, débats, émissions) diffusées en direct ou en différé sur l’antenne nationale.

Cette année, les 15 jours d’ »invitation au voyage » comme l’appelle Laure Adler, (la nouvelle directrice de France Culture), se partageaient en deux semaines aux thématiques différentes. La première, du 12 au 16 juillet, a laissé la parole aux femmes et plus spécifiquement à La Violence féminine des textes de Chantal Akerman, Danièle Sallenave, Marie Ndiaye, Marguerite Duras, Christine Angot lus par des actrices (Aurore Clément, Myriam Boyer, Anne Alvaro, Anouk Grinberg, Dominique Valadié, entre autres…) et quelques acteurs.
La deuxième semaine, du 19 au 23 juillet, sur laquelle nous nous pencherons plus ici (car nous y étions pour tout vous dire), était plutôt musicale : France Culture a organisé des soirées de Théâtre-cabaret avec des comédiens chanteurs comme Philippe Léotard, Olivier Py ou Jane Birkin. Cette semaine a également vu la rituelle série de lectures Texte nu, créée il y a quelques années par Jean-Claude Carrière, coproduite par la SACD et France Culture. Nous y reviendrons.

Théâtre-cabaret

Dans cette magnifique cour du musée Calvet, cinq soirs de suite, à 23h (vous avez peut-être suivi ces concerts diffusés en direct), nous avons pu profiter de mini spectacles musicaux fort chaleureux. A l’évidence, la liberté était assez grande pour chaque artiste : chaque « cabaret » était unique et personnel. Philippe Léotard, accompagné de son fidèle accordéoniste Philippe Servain a entonné de sa voix plus rocailleuse que jamais quelques morceaux de choix comme Graine d’ananar ou le Bateau ivre, sans oublier d’agrémenter le tout de quelques histoires drôles ! La forme -courte- du spectacle, le petit nombre de spectateurs (les gradins ne peuvent en contenir plus de 250), le lieu lui-même, ont apporté, dès le premier soir avec Philippe Léotard, une ambiance intime (Ah les bonnes vannes de Philippe sur François !). De ces soirées qui vous font penser que le moment est privilégié, court et rare.

De l’émotion il y en avait aussi, beaucoup, dans le cabaret d’Olivier Py : Les Ballades de Miss Knife. Dans la plus pure tradition du cabaret -c’est le seul de la série qui répondra exactement à l’appellation « cabaret »- Olivier Py, comédien, metteur en scène et auteur de théâtre apparaît en travesti et démontre qu’il est décidément fait pour la scène et les paillettes. Sa Miss Knife tout droit sortie du cabaret berlinois des années 20, dont la voix est belle et ample, est accompagnée de deux acolytes : Matthieu Dalle, le frère d’Irina, à la contrebasse, et Jean-Yves Rivaud, qui a composé toutes les mélodies, au piano. Olivier Py, qui a lui-même écrit les textes des chansons, présente ainsi les Ballades : « Nous n’avons retenu pour ce récital que les ballades et les chansons tristes, car rien ne se chante comme le désir inassouvi, l’implacable issue ou le regret sempiternel de sa jeunesse (…) Ainsi ces refrains qui font mal et qu’on voudrait toujours entendre sont une sorte de grand monologue de Miss Knife, allégorie de l’art mineur et des paradis de tristesse, en un mot, de music-hall ». La présence, très généreuse, d’Olivier-Miss Knife, a le don de nous transporter, à son gré, de l’humour désenchanté (Un Jour mon prince viendra, chanté avec ardeur) à l’émotion pure, lorsque, des larmes dans la voix, il susurre une chanson écrite à la mémoire de sa grand-mère. Un Théâtre-cabaret intense, très riche : inspiré.

Jane Birkin, avec son air toujours intact de petit oiseau fragile, avait imaginé pour sa soirée spéciale de cabaret un double programme : une première partie accompagnée d’un pianiste : Pierre Michel Sivadier ; une seconde en compagnie d’un trio (« Djam and Fam ») d’instruments arabes : Oud, luth et violon… Cet air tout neuf donné à des chansons que l’on connaît assez bien avait quelque chose d’émouvant, comme si l’on assistait à des variations sur le même thème… La chanteuse et comédienne a aussi lu quelques textes (de Gainsbourg et d’autres)… ce qui donnait au mot cabaret un côté sobre et assez rangé, par rapport à la Miss Knife de la veille ! Comme elle sait si bien le faire, alors que les rappels se faisaient pressants, Jane Birkin a terminé son récital (beaucoup trop court…) par une Javanaise a capela bouleversante.

Pour ne pas tomber dans l’ingratitude ou l’oubli facile, mentionnons les deux autres soirées de Théâtre-cabaret : Mona Heftre chantant Rezvani et la dernière soirée : Les Voix du cœur, avec des chanteuses d’Algérie, du Mali et de Bolivie. Autant Jane Birkin fait presque oublier qu’elle n’a écrit aucune des chansons qu’elle interprète, tant elle marque de sa personnalité tout ce qu’elle dit ou chante, autant, il faut bien l’avouer, le récital de Mona Heftre manquait de caractère et de chair.
Citons par ailleurs les interprètes Mah Demba, chanteuse malienne ; Markunda Aurès et Houria Aïchi, algériennes et Luzmilo Carpio, bolivienne.

Pour résumer : en marge des grosses manifestations du Festival D’Avignon, France Culture, année après année, nous concocte de petits bijoux : elle provoque des rencontres artistiques fructueuses. Le but n’est pas de mettre en marche une grosse machine, mais d’aider à la création de petits objets qui ne sont censés vivre que dans cet instant unique, à Avignon. De quoi donner envie d’y être… Il est assez délicieux de revenir pendant une semaine chaque jour, à la même heure, dans le même endroit, lié par un certain rendez-vous dans une cour d’Avignon. Ce fut le cas pour une autre manifestation, toujours organisée par France Culture : Texte nu.

Texte nu

Instaurées par Jean-Claude Carrière, les lectures Texte nu ont commencé à Avignon en 1986, et furent tout d’abord présentées par Claude Santelli. A l’initiative de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, Texte nu permet la rencontre entre des comédiens (assez célèbres, en général) et des textes. Fait intéressant : depuis deux ans, les textes proviennent d’auteurs contemporains vivants… Ca vaut la peine d’être souligné, ce que ne s’est pas privé de faire Jean-Michel Ribes (membre de la commission théâtre à la SACD) qui présentait chacune des cinq lectures. Coproduite par France Culture, la série sera diffusée prochainement.
Toujours dans cette belle cour du Musée Calvet d’Avignon, nous avons pu suivre du 19 au 23 juillet à 19h les lectures de Charles Berling, Lambert Wilson, Isabelle Carré, Marilù Marini et Christiane Cohendy.

Seul un texte était véritablement théâtral –Déluges 2e de Joël Jouanneau-, donc pour plusieurs personnages. On peut remarquer combien, malgré le talent d’Isabelle Carré, il est difficile de suivre la lecture, statique, à une voix, d’un texte foisonnant de personnages et de situations. Le principe de Texte nu est de rechercher la sobriété pour faire entendre le plus simplement possible le texte choisi. Ca fonctionne à merveille… surtout avec les monologues.

Texte nu 1999 a débuté avec un excellent comédien de théâtre et de cinéma : Charles Berling a lu J’ai tout de Christian Illouz. Connaissez-vous Christian Illouz ? Non bien sûr… Jusqu’au 19 juillet, pas grand monde ne connaissait cet auteur. Cette lecture a permis, pour la première fois, à Illouz d’être lu en public. On se réjouit pour lui que cela se soit produit dans le cadre de cette manifestation et avec Berling ! Paradoxalement, J’ai tout ressemble à tout sauf à un premier texte maladroit. Il témoigne d’une grande maîtrise de l’écriture (mais il faut rendre justice à l’auteur : il a beaucoup écrit jusqu’à ce jour), d’un sens du rythme et de la construction remarquable. Charles Berling -le seul de la série- a choisi de mettre en scène cette lecture. Sobrement. Assis sur une chaise haute, de dos, il la (et se) déplacera à plusieurs reprises, décrivant un cercle, pour finalement nous faire face. Il y est question d’un homme qui, agacé au plus haut point par l’Autre (mystérieusement silencieux) qui se trouve en face de lui, monologue, cherche à lui prouver qu’il a « tout », qu’il est un géant et l’Autre un ridicule brin d’herbe. Comme on peut l’imaginer, toutes ces démonstrations verbales de force et de supériorité se révèlent plutôt être un aveu de faiblesse et de lâcheté. J’ai tout est une réelle découverte de ce Texte nu 1999.

Par ailleurs, nous avons eu droit à des lectures qui permettaient de suivre quelques auteurs contemporains qui montent : Lambert Wilson a lu Lettre ouverte à Pinochet de Marc Antonio de la Parra, cet auteur chilien dont quatre pièces ont déjà été jouées en France –Dostoïevski va à la plage, par exemple- et dont Lucrèce et Judith, publié en France aux Editions Théâtrales, a été lu cette année dans le cadre des Lectures du sud des Amériques (sous la direction de Michel Didym) de ce même Festival d’Avignon. La Lettre ouverte est un monologue engagé que Lambert Wilson, tout en sobriété, a bien servi.

Beaucoup plus riches de possibilités pour les comédiens étaient les deux autres textes : C’est à dire de Christian Rullier, lu par Christiane Cohendy, et surtout La Priapée des écrevisses de Christian Siméon, lu par l’égérie d’Alfredo Arias, Marilù Marini. Le texte de Christian Rullier ressemble à une grande mise en abyme de l’auteur qui se regarde en train d’écrire et qui s’interroge sur le langage. Le style est souvent plein de drôlerie et l’on se régale à écouter Christiane Cohendy, habituée des lectures et des auteurs contemporains, habiter ces mots.
Christian Siméon était présent l’année dernière au Festival d’Avignon (à l’espace Saint Bénezet) pour Hyènes, interprété par Michel Fau et mis en scène par Jean Macqueron. Cette année, à l’occasion de Texte nu, il a donné naissance à la Priapée des écrevisses, monologue imaginaire de Marguerite Steinheil, celle dans les bras de qui un certain Félix Faure est mort un jour de 1899 en plein orgasme. Imaginez Marguerite Steinheil avec le tempérament de feu et l’accent chantant de Marilù Marini ! Cette lecture était un pur délice. Plein d’humour et admirablement construit dans un aller-retour permanent entre les histoires d’amour (et de justice !) de Marguerite, et la cuisine : les écrevisses à la présidente que Félix adorait, et qu’elle confectionne devant nous. Les premiers mots de Christian Siméon, après la lecture, ont été en direction de la comédienne, la remerciant de s’être approprié le texte comme elle l’a fait. A vrai dire, pour les spectateurs, Marguerite était Marilù et Marilù était Marguerite. Comme si le texte avait été écrit pour elle. Ou si elle l’avait écrit. Quoi de plus plaisant pour un auteur ?


A lire aussi à propos du festival d’Avignon : Les Lectures hommages à Paul Puaux à la Maison Jean Vilar ; Littoral ; Personne n’épouse les méduses ; The Living museum of art.

France Culture rediffusera, dans le courrant de la saison 1999-2000, La Violence féminine, Théâtre-cabaret et Texte Nu