En l’espace d’une quinzaine d’années, le label Fonal a ouvert la voie à une scène finlandaise jusque là confinée à un underground aussi fréquenté que les steppes arctiques. En complément de notre article paru sur l’excellent Kemialliset Ystävät en décembre 2010 (« Chronic’art #69 » – cf. aussi notre Top 10 2010), rencontre avec Sami Sänpäkkilä, parrain d’une famille haute en couleurs, inondant le monde de ses productions audiovisuelles depuis son QG de Tampere.

Depuis 1995, Sami Sänpäkkilä sculpte avec une patience d’artisan l’identité de ce label hors-normes, grâce à une communauté d’artistes aux confins de l’avant-folk, du minimalisme post-Terri Riley et de la musique expérimentale la plus freaky. Que ce soit la dream machine sonore de Shogun Kunitoki, l’electro-acoustique bien givrée de Kemialliset Ystävät, les jam-sessions illuminées de Paavoharju ou la pop ensorcelante de Islaja, tous partagent le même goût pour un psychédélisme déluré teinté de spiritualité animiste. Cette confrérie de musiciens, doublés de plasticiens pour la plupart, élabore aussi bien des dispositifs visuels qui transparaissent dans des disques aux pochettes bigarrées, à se procurer de préférence en format vinyle. Rencontre avec le parrain d’une famille haute en couleurs, inondant le monde de ses productions audiovisuelles depuis son QG de Tampere. Entretien.

Chronic’art : Fonal a débuté en 1995, comme un micro-label qui sortait des cassettes auto-produites. Quelles étaient tes motivations quand tu as créé ce label ?

Sami Sänpäkkilä : J’ai démarré à l’origine Fonal pour sortir ma propre musique. J’ai toujours voulu m’occuper de tout moi-même et ça a commencé comme un hobby. Je n’avais pas la moindre idée de ce vers quoi je me dirigeais et ma seule motivation était le besoin de m’exprimer et de créer.

Etais-tu connecté à cette époque à la scène underground finlandaise? A des labels comme Sähko ou Bad Vugum ?

Non, pas vraiment. Je n’ai rencontré les fondateurs de ces labels il y a seulement deux-trois ans. J’ai beaucoup écouté tous ces artistes, je les admirais beaucoup à l’époque et ils ont eu une très grande influence sur moi. Mon propre label n’aurait jamais existé sans eux.

Les français connaissent mal toutes ces micro-scènes underground qui grouillent en Finlande depuis les années 1970. Du compositeur Edward Vesala à Avarus en passant par Ma Numminen, The Sperm, Keijo, Keukhot, Circle, Bangkok Impact, sans oublier Pan Sonic et Jimi Tenor… Tous ces artistes sont-ils connectés entre eux ?

Plus ou moins, oui. Etant donnés que la Finlande est un pays où tout se passe dans un périmètre minuscule, tous les gens connectés à la musique expérimentale et acteurs de cette scène se connaissent d’une manière ou d’une autre. Les groupes locaux qui m’ont motivé en premier lieu étaient Circle, Keukhot, Sweetheart et Deep Turtle. Il y en avait d’autres, bien entendu, mais ceux-là étaient mes principales influences. Tous étaient d’ailleurs sur le label Bad Vugum !

Pas mal de musiciens finlandais ont préferé partir à l’étranger dès qu’ils ont commencé à avoir un peu de succès, comme Vladislav Delay, Jimi Tenor ou Pan Sonic. A l’inverse, j’ai l’impression que Fonal est très ancré dans un état d’esprit communautaire qui a ses attaches à Tampere.

Je suis absolument ravi d’habiter à Tampere et je n’ai aucune envie d’en bouger. Au demeurant, je suis né à Ulvila, mes racines sont sur la côte ouest de la Finlande.

Fonal serait-il prêt à signer un groupe non-finlandais ?

Je ne me fixe aucune règle quant à la nationalité des musiciens sur mon label. Si je n’ai sorti que des disques d’artistes finlandais jusqu’à présent, ce n’est qu’un concours de circonstances. Je ne sors jamais de musiciens sur la seule foi d’une démo par exemple. J’ai besoin de me familiariser avec la musique et la (ou les) personnes qui se trouvent derrière, il est donc plus naturel que cela arrive avec des artistes qui vivent en Finlande et que je suis susceptible de côtoyer.

Tampere est parfois surnommée la « Manchester de Finlande ». Pourquoi une telle comparaison selon toi ?

Je suppose que c’est parce que ce sont toutes les deux des villes industrielles. Il y a énormément d’usines dans le coin.

Rien à voir avec la scène musicale, donc…. Noues-tu des relations avec les mouvances underground des pays voisins comme la Suède, la Norvège ou l’Islande, dont on connaît finalement peu les productions expérimentales ?

Je pense que la musique, et en particulier la musique expérimentale, n’a plus de limite géographique de nos jours. Il n’y a aucune frontière sur internet ou sur les réseaux sociaux. Les gens du monde entier peuvent communiquer entre eux facilement. Je trouve ça génial.

L’aspect visuel joue un rôle important dans l’esthétique de Fonal…

Oui, l’artwork compte autant pour moi que la musique. Les pochettes sont en général conçues et réalisées par les artistes eux-mêmes et je me charge du graphisme et de la mise en page pour la plupart d’entre elles. Cela fait partie intégrante du « package » Fonal.

La nature et la spiritualité semblent intrinsèquement liés à la ligne esthétique de Fonal. La mythologie de l’arctique et ses racines païennes et animistes ont-elles une influence consciente sur les artistes du label ?

Ce n’est pas vraiment conscient, non. Ce sont mes origines, je ne vais donc pas les cacher, mais je préférerais que chaque auditeur y entende ce qu’il a envie, en fonction de sa propre imagination.

Dans un sens, ce romantisme nordique se rapproche de celui du Black Metal. Si ce n’est que chez Fonal, une forme d’espièglerie enfantine et de douce euphorie psychédélique supplante la colère et la misanthropie…

Eh bien je n’aurais certainement jamais pensé à cela ! Mais tu peux l’exprimer de cette manière. D’un autre côté, cela peut s’appliquer à tout ce qui présente une alternative à la société classique.

L’épiphanie chrétienne de Jan Aderzen de Kemialliset Ystävät est-elle véridique ou est-ce un canular ?

C’est la plus pure vérité !

J’ai vu récemment le documentaire Steam of life qui montre les saunas finlandais comme des lieux rituels, où les hommes se livrent entre eux à des confidences existentielles. Est-ce un stéréotype de la Finlande ou est-ce vraiment le cas ?

Pour certaines personnes, cela s’apparente en effet à une coutume rituelle, y compris pour moi-même. C’est un lieu d’intimité où l’on se dénude, au sens littéral et figuré. C’est un endroit qui favorise le dialogue et instaure un lien privilégié entre les gens qui s’y réunissent.

Propos recueillis par